ûsuke Mamiana, un homme d’âge moyen, arrive dans une ville
portuaire de campagne. Laid et antipathique, ses affaires ne marchent
pas et ses relations avec les gens sont tout aussi chaotiques. N’ayant
nulle part où aller, il retourne dans sa ville natale où il a été
abandonné très jeune par ses parents. Personne ne se souvient de lui et
tous le regardent avec suspicion. Seule Kyôko semble avoir de
l’affection pour lui. Cette jeune femme au visage marqué cherche un peu
d’amour dans cet homme déchiré. Ne sachant comment réagir, Yûsuke répond
par le sexe et la violence. Bien qu’elle soit dégoûtée par lui, Kyôko
continue malgré tout à le voir car elle se sent enfin traitée comme une
femme désirable.
Surtout connu en France pour ses rôles dans le cinéma bis déjanté (notamment chez Ryuhei Kitamura dans Versus, Alive ou encore Azumi), Hideo Sakaki mène en parallèle une carrière plus exigeante et proche de sa sensibilité dans le cinéma d’auteur en tant qu’acteur (Carte des sons de Tokyo ou plus récemment Still the water) mais également en tant que réalisateur. Disregarded People est ainsi son cinquième film.
Le film est une adaptation d’un manga de George Akiyama, produit et scénarisé par son propre fils Inochi Akiyama. C’est suite à une conversation avec ce dernier, désireux de voir transposer à l’écran les œuvres de son père, que Sakaki se lance dans ce projet dont les thèmes lui parlent intimement. Les disregarded people - laissés
pour compte – du titre seront deux âmes errantes d’une ville portuaire
japonaise (à la géographie incertaine dans le manga et que Sakaki situe dans sa ville natale au sein d’une des îles de Gotô), Yûsuke Mamiana (Nao Ômori) et Kyoko Okab (Hitomi Miwa).
Le premier revient dans la ville de son enfance où l’on devine des
souvenirs douloureux et, désabusé et dépressif comme il semble le
paraître, ce retour est synonyme d’une attente placide de la mort. A
l’inverse, Kyoko incarne une présence lumineuse et positive, souriante
et constamment soucieuse des autres.
Ces attitudes dissimulent des fêlures qui exploseront dans la rencontre
des deux personnages. Totalement éteint émotionnellement, Mamiana ne
sait plus qu’exprimer ses sentiments de façon bestiale, par ses regards
lourdement insistants et attitudes brutales envers les femmes. A
l’inverse, Kyoko, tout à sa plénitude spirituelle, méprise tout
rapprochement charnel, complexée par la tâche de naissance lui marquant
le visage. Sakaki dépeint ces traits de caractères
d’abord de façon comique (les attitudes ahuries de Mamiana et Kyoko
semblant assaillie le sexe partout où elle passe) mais cela prend un
tour nettement plus intense dans la confrontation des deux personnages.
En poussant à l’extrême leurs natures respectives, le réalisateur crée
un malaise où le comportement des héros contredit des séquences très
agressives dans leur traitement.
Ce seront d’abord les attouchements
très impudiques de Mamiana sur Kyoko en pleine rue, puis carrément un
viol. Le besoin d’amour de Mamiana se devine sous cette brutalité qui
est son seul moyen d’expression tandis que le désir et la frustration
s’expriment dans les refus de Kyoko. Ces nuances ne se révèlent qu’au
fil de l’intrigue mais dans un premier temps ces moments provoquent un
véritable choc recherché par le réalisateur. Ces êtres au banc de la
société n’ont appris à manifester l’expression de leur désir que par
l’outrance, la chasteté masquant la frustration pour Kyoko et la
violence révélant la passion pour Mamiana. L’introspection de l’un le
rend égoïste et fait imposer ses pulsions, la dévotion de l’autre
l’amène à subir.
Les deux vont devoir apprendre à s’apprivoiser pour faire de leur
relation dysfonctionnelle une véritable histoire d’amour. La compassion
et l’empathie constante qu’exprime le réalisateur envers ses personnages
finit par progressivement nous ôter les œillères morales qu’avaient pu
éveiller les premières scènes chocs. Nous nous attachons donc à ces
marginaux tandis que parallèlement, les couples « légitimes » dans leur
union et leurs statuts sociaux montreront leurs failles entre adultère,
mensonges et hypocrisie.
Tout d’un bloc, Mamiana et Kyoko ne
s’embarrassent pas de ces nuances et seront toujours extrêmes dans la
passion comme dans la haine. Une fausse conclusion leur laisse ainsi une
porte de sortie avec l’espoir représenté par un enfant. Les symboles et
tirades bouddhistes qui parcourent le film dans ces moments plus
contemplatifs trouvent pourtant une explication dans un épilogue plus
ambigu montrant le couple quelques années plus tard. L’enfant symbolise
l’espoir mais aussi une destinée inéluctable condamnant à reproduire les
mêmes erreurs. Qu’en sera-t-il de nos héros ? Sakaki laisse la question en suspens dans une magnifique conclusion douce-amère… Une œuvre intense, charnelle et surtout sincère.
Récemment récompensé au festival de cinéma Japonais Kinotayo et uniquement disponible en dvd japonais, peut être une sortie française à espérer
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