Dévoreur de pellicule monomaniaque, ce blog servira à commenter pour ceux que cela intéresse tout mes visionnages de classiques, coup de coeur et curiosités. Je vais tenter le défi de la chronique journalière histoire de justifier le titre du blog donc chaque jour nouveau film et nouveau topo plus ou moins long selon l'inspiration. Bonne lecture et plein de découvertes j'espère! Vous pouvez me contacter à justinkwedi@gmail.com, sur twitter et instagram

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mardi 30 septembre 2025

La Corruption de Chris Miller - La corrupción de Chris Miller, Juan Antonio Bardem (1973)

Années 1970, dans le Pays basque espagnol - Ruth Miller réside dans sa propriété avec sa belle-fille, Chris, psychologiquement instable suite à un viol. Ruth, quant à elle, souffre de névrose après avoir été abandonnée par son mari. Les deux femmes vivent dans un climat de peur, d'autant que, depuis plusieurs mois, la région est le théâtre d'une série de meurtres. Lors d'une nuit d'orage, un vagabond, Barney Webster, vient se réfugier dans la grange des Miller. Après un moment d'hésitation, Ruth l'engage comme homme à tout faire. Très vite, Barney va se livrer à un jeu de séduction auprès des deux femmes. Et s'il était le tueur ?

Juan Antonio Bardem fut une des figures majeures du cinéma d’auteur espagnol, et un des plus virulents détracteurs du régime franquiste à travers ses œuvres et son engagement politique. Des satires comme Bienvenue Mr Marshall (1952) ou encore Mort d’un cycliste (1954), critiques de la bourgeoisie franquiste, agacèrent le pouvoir au point d’entraîner l’arrestation du réalisateur et son emprisonnement en 1956. Après cette déconvenue, et ce tout en parvenant encore à signer des œuvres marquantes comme Les Pianos mécaniques (1965), sa marge de manœuvre se trouva restreinte par la censure et il rencontra de plus en plus de difficultés à financer ses projets. 

Dès lors il va devoir s’atteler à des projets plus commerciaux pour subsister, notamment en participant à la coproduction télévisée européenne adaptant L’île mystérieuse de Jules Verne en 1973, avec Omar Sharif. La Corruption de Chris Miller s’inscrit dans ce mouvement, pur film d’exploitation lorgnant sur la vogue du giallo et du thriller domestique. Le cinéma de genre pu être un refuge pour d’habiles allégories politiques passant les mailles de la censure, mais ce n’est pas forcément le cas de La Corruption de Chris Miller dans lequel il semble plus hasardeux de chercher un sous-texte.

Formellement splendide, le film semble dans son ensemble appliquer de façon un peu arbitraire les tendances du moment. La scène d’ouverture, habilement déroutante, installe une atmosphère surréaliste avec son tueur déguisé en Charlot et adepte brutal du ciseau comme arme blanche. La suite est plus convenue. Les deux femmes isolées et aux relations troubles entraînées dans un vénéneux triangle amoureux par un intrus, est un argument lorgnant en partie sur Les Diaboliques de Henri-Georges Clouzot ou du plus récent Les Proies de Don Siegel, voire des méconnus La Force des ténèbres de Karel Reisz (1963) et Twisted Nerve de Roy Boulting (1968). 

La formule pourrait néanmoins donner un thriller efficace, mais le scénario charge la mule avec la menace d’un serial-killer rodant dans la région, et le trauma psychologique de la jeune Chris (Marisol) fragmenté à outrance dans le récit afin de créer du mystère alors que sa nature est assez claire. L’absence et l’attente du père/mari crée aussi une atmosphère ambiguë entre Ruth (Jean Seberg) et sa belle-fille Chris, mais cela semble davantage exister pour lorgner sur une attirance lesbienne plutôt que d’apporter un fond psychologique plus fouillé.

Tout le film souffre de ce problème, des éléments thématiques intéressants introduits, et quelques morceaux de bravoure remarquablement exécutés, mais il y a un manque de liant à force de courir trop de lièvre à la fois. Ainsi une brillante scène de massacre d’une famille oscille entre giallo et slasher mais dilue trop la révélation qu’elle questionne – et lorsque celle-ci arrive, au lieu de finir sur son choc le récit se traîne encore inutilement. Trop de films différents se disputent pour pleinement convaincre, alors que les qualités sont là. 

Parmi elle l’interprétation remarquable de Jean Seberg, entre figure autoritaire autonome et manipulatrice, et femme esseulée dépendante. La mise en scène de Bardem est souvent inspirée, par ses cadrages rendant gothique cet espace de maison de campagne, mais aussi ses éclairs de violence dont un moment de sororité sanglant et un jeu hypnotique sur l’ombre et la lumière à travers la photo de Juan Gelpí. En l’état un thriller plutôt réussi, mais trop codifié pour se hisser dans les sommets de l’époque malgré le talent de Bardem.

Sorti en bluray français chez Le Chat qui fume 

lundi 29 septembre 2025

Vivre en paix - Vivere in pace, Luigi Zampa (1947)

 En 1944, dans un village italien qui pourrait s'imaginer épargné par la guerre, un fermier, l'oncle Tigna, héberge en cachette deux soldats américains. L'un d'eux, un Noir, est grièvement blessé. Un médecin soignera le blessé.

Vivre en paix est pour Luigi Zampa une œuvre poursuivant la démarche de L’Honorable Angelina, sorti la même année, en mélangeant tonalité de comédie, esthétique néoréaliste et vrai propos social. En cette immédiat après-guerre, le scénario a l’originalité de se dérouler durant le conflit, approche bien sûr difficile lorsque l’Italie était alliée de l’Axe puis sous occupation Allemande. Les conséquences matérielles et sociales du conflit ont davantage été filmées à ce moment-là, notamment chez Roberto Rossellini, mais le quotidien des Italiens durant cette période et d’autant plus en milieu rural apporte un regard neuf.

Les premières images et la voix-off apaisée dépeignent le village sous son jour le plus bucolique, au point même de douter de la temporalité du récit puisqu’aucun élément moderne (ne serait-ce qu’une voiture) n’intervient dans cette introduction. La piqûre de rappel interviendra avec la présence d’un caporal allemand en faction, mais ce n’est qu’une réminiscence lointaine du conflit dont les locaux ne semble en apparence guère se préoccuper. Les nuances s’amorcent progressivement, tel ce jeune homme forcé de se cacher pour ne pas être mobilisé par l’armée. La cellule familiale bancale découle aussi de ce contexte avec la jeune Sylvia (Mirella Monti) et son frère hébergé chez leur oncle Tigna (Aldo Fabrizi). Il y a une certaine rudesse dans les rapports humains découlant de ce dénuement (les vociférations de mégères de la tante Corrina (Ave Ninchi)), qui se prolonge par la vision collective, où les fascistes locaux et les militants de gauche font planer une certaine menace quant aux conséquences immédiates et/ou futures de chacun selon les sympathies qu’on lui soupçonne. Par le biais du regard candide des enfants, puis de l’expression de la plus simple humanité, Tigna va se trouver à dissimuler deux soldats américains en fuite, dont un grièvement blessé ayant besoin de soins.

Le choc des cultures amène une drôlerie et vraie truculence dans le récit, entre préjugés (la sidération de partager le quotidien d’un afro-américain) et jolie romance naissance entre Sylvia et le soldat américain aspirant écrivain. Cependant Luigi Zampa va se montrer bien plus subtil durant une scène qui parait au premier abord relever de la comédie la plus grossière. L’intrusion inopinée du caporal allemand à la maison exprime tout d’abord la menace qu’il représente, avant que ses confidences (le mal du pays, la peur pour sa propre famille, la proximité qu’il ressent avec Tigna en tant qu’homme du peuple) l’humanisent et constituent un rapprochement. 

Mieux, l’euphorie avinée aidant, la découverte du soldat noir débouche sur une scène de fête voyant l’alcool estomper tous les clivages d’abord à l’échelle de la maison, puis celle du village. C’est un moment de comédie fabuleux exprimant un humanisme surprenant. On pourrait néanmoins qualifier le film de naïf dans sa vision fraternelle, d’autant que des productions ultérieures montreront une vision bien plus sombre de ce contexte rural italien durant la guerre comme La Ciociara de Vittorio de Sica (1960). Le drame final vient atténuer ce sentiment tout en maintenant cette universalité, pas extensible à tous les adversaires. 

Luigi Zampa, tout en signant une mise en scène sobre à hauteur humaine, s’autorise quelques fulgurances lorgnant sur le western comme l’attente de Tigna fusil à la main alors qu’un soldat allemand de la route face à lui. La candeur du film anticipe le néoréalisme rose des années 50, tout en ne négligeant pas le danger de la période sous cette patine douce. On devine déjà le portraitiste plus ambitieux de l’histoire italienne que sera Luigi Zampa dans ses œuvres suivantes (Les Années difficiles (1948), L’Art de se débrouiller (1955)).

 Sorti en bluray français chez Studiocanal 

jeudi 25 septembre 2025

The Homecoming - Peter Hall (1973)

 Dans un appartement morne du nord de Londres, site d'une guerre psychologique perpétuelle, un professeur de philosophie rend visite à sa famille après une absence de neuf ans et présente les quatre hommes, père, oncle et deux frères, à sa femme.

The Homecoming est l’adaptation d’une pièce à succès d’Harold Pinter, écrite en 1964 et, à partir de 1965, jouée sur toutes les grandes scènes du monde, de Londres à Broadway et plusieurs fois en France, récoltant succès et multiples récompenses.  Le film, coproduction anglo-américaine, s’inscrit dans le cadre des American Film Theatre. Ce sigle désigne un vaste projet d’adaptation cinématographique de grandes pièces à succès, entre 1973 et 1975. Treize films seront produits dans ce cadre, bénéficiant d’un budget modeste et d’une approche expérimentale prononcée. The Homecoming est probablement un des plus fameux, notamment grâce à son casting devant et derrière la caméra.

On retrouve en effet Peter Hall à la réalisation, lui qui fut le metteur en scène de la première version théâtrale en 1965. On en retrouve d’ailleurs la plupart des acteurs dans leurs rôles respectifs, à l’exception de John Normington et Michael Bryant, remplacé à l’écran par Cyril Cusack et Michael Jayston. Le film trahit ces origines théâtrales par son dispositif en huis-clos, et par sa construction dramatique très clairement pensée et calquée sur des actes scéniques – même si la pièce n’en comptait que deux alors que la segmentation est plus large ici. Nous allons observer dans un mélange d’absurde, de ressentiment et de colère la confrontation entre les membres masculins d’une famille. Max (Paul Rodgers) est un patriarche hargneux invectivant sa fratrie de fils et son propre frère Sam (Cyril Cusack) avec une cruauté de tous les instants. 

Si l’on devine une crainte enfantine pas encore estompée face à ce père intimidant chez certains (le cadet et pourtant colosse physique Joey (Terence Rigby),) d’autres prennent une revanche au plaisir non dissimulé en rabaissant le désormais vieillard n’ayant plus rien de menaçant, tel le cynique et détaché Lenny (Ian Holm). L’absence de la mère et de façon plus large le manque de présence féminine semble contribuer à un climat hostile renforcé par la mise en scène austère de Peter Hall, au service de l’épure du décor, travaillant le contraste entre les contours sombres des éléments fonctionnels (chaises, meubles, tables) et la blancheur immaculée des murs. Nous sommes clairement dans un espace mental qui va se trouver soudainement bouleversé.

Teddy (Michael Jayston), le fils aîné et le seul semblant avoir vraiment réussi (il est docteur en philosophie dans une université américaine) effectue un retour inattendu au foyer en compagnie de son épouse Ruth (Vivien Merchant). On pourrait penser que ses accomplissements le détachent désormais du climat de haine et de rancœur de la demeure familiale, mais il n’en est rien. Il demeure le garçonnet soumis et craintif lorsqu’il reste sans réaction face à son père injuriant sa femme, et sa nouvelle stature va au contraire montrer une forme de mesquinerie et condescendance. Ruth est une sorte d’élément déclencheur des carences sentimentales, maternelles et en définitive féminine des hommes du foyer. 

Peter Hall ne la place cependant jamais en victime, et au contraire l’attitude de la jeune femme bouleverse la mécanique de menace verbale, ainsi que le dispositif figé du récit. Son verbe cinglant et son attitude renverse une situation la voyant oppressée par Lenny, Peter Hall travaillant grandement ses cadrages et le jeu de champ contre champ pour briser la logique de dominant/dominé régissant cette famille. Même quand la situation semble basculer avec Ruth comme possible objet sexuel pour les hommes, c’est une prise de pouvoir du personnage pour exposer la veulerie masculine. C’est en premier lieu le cas de Teddy, en définitive venu présenter son épouse comme un trophée, mais aussi des autres totalement soumis à la volonté de Ruth.

Cela est à la fois pathétique et touchant, la blessure de l’absence maternelle autant que la frustration sexuelle perturbant les hommes déréglés par cette promiscuité féminine. C’est donc fort intéressant, mais la sécheresse et la froideur de l’ensemble peut néanmoins rebuter, alors que Peter Hall se montrera pourtant capable d’une vraie poésie et émotion avec sa pourtant déjà très austère fable pastorale Akenfield (1974).

Sorti en bluray américain chez Kino 

lundi 22 septembre 2025

Le Grand Inquisiteur - Witchfinder General, Michael Reeves (1968)

Angleterre, 1645. Tandis que la guerre fait rage entre les troupes républicaines de Cromwell et l'armée fidèle au roi Charles II, l'inquisiteur Matthew Hopkins et son redoutable assistant sillonnent les routes du pays, convoqués par les notables des villages pour mettre fin à l'activité de celles ou ceux qu'ils considèrent comme des sorcières et suppôts de Satan. Entre la potence et le bûcher, au terme d'abominables tortures, peu échappent à la sanction suprême. S'estimant au-dessus des lois, Hopkins commet l'erreur de s'attaquer à un prêtre et à sa nièce, dont le fiancé, un soldat, fait vœu de vengeance...

Le Grand Inquisiteur est une des productions Hammer les plus cultes et originales, dont la singularité doit beaucoup au talent de son jeune réalisateur Michael Reeves, véritable étoile filante qui mourra quelques mois après la sortie du film. L’horreur repose ici sur une réalité historique, et plus particulièrement une figure sulfureuse en la personne de l’inquisiteur Matthew Hopkins. Il s’agit d’un chasseur de sorcières ayant « exercé » durant la première révolution anglaise, et dont les méfaits lui valurent de rentrer dans la culture populaire locale. Le film adapte le roman éponyme de Ronald Bassett, spécialiste de la fiction historique. Cette base confère au récit un équilibre solide entre contextualisation historique et pure veine romanesque.

La scène d’ouverture montre ainsi crûment l’exécution par pendaison ordonnée par Matthew Hopkins (Vincent Price), la tonalité hallucinée et « folk horror » tenant au mélange d’ambiance rurale paisible et de violence frontale et hallucinée. Michael Reeves n’introduit aucune notion d’horreur surnaturelle, c’est la folie « normalisée » des hommes qui confère au film sa dimension à la fois excessive et retenue. Le réalisateur eu d’ailleurs maille à partir avec Vincent Price afin de le forcer à une prestation plus sobre que sur ses rôles dans les adaptations d’Edgar Allan Poe pour Roger Corman. 

Productrice de ces dernières et coproductrice avec Hammer de Le Grand Inquisiteur, la firme American International Pictures imposa Price alors que Reeves souhaitait Donald Pleasence. Ce registre retenu, sournois et calculateur rend cependant Hopkins plus glaçant encore, la démence venant de ceux réclamant ses « services » dans les villages visités, ainsi que de son répugnant complice John Steam (Robert Russell détestable à souhait) faisant office de bras armé.

Cette épure fait davantage du film un drame historique qu’un film d’horreur, mais comme souligné plus haut, la dichotomie entre la douceur pastorale et la monstruosité des exactions en font un spectacle assez unique. Cette souillure traverse également les victimes innocentes, tel le soldat valeureux Marshall (Ian Ogilvy) devenant progressivement une bête assoiffée de sang dans sa quête de vengeance. La douce Sara (Hilary Dwyer) subit également tout les outrages et voit clairement son équilibre mental vaciller dans l’éprouvante dernière scène – et un plan fixe mémorable au sein duquel se prolonge son hurlement. 

Les excès graphiques vont graduellement avec le sentiment d’impunité d’Hopkins. Reeves obéit à une certaine réalité historique du processus de torture de l’inquisition (la noyade dont le corps flottant ou non est supposé exprimer la présence de Satan), à la fois sobre dans la mise en scène et éprouvant dans la description crue des brutalités. Ivre de puissance et se sentant intouchable après tout ce à quoi il a échappé, Hopkins affirme donc explicitement et publiquement son sadisme avec une inquisition finale sur le bûcher cette fois précisément dépeinte et filmée avec emphase par Reeves.

Le film transcende sa nature de récit d’exploitation par l’allégorie politique évidente et intemporelle qui peut en être faite. L’exploitation des peurs, la paranoïa, l’opprobre et la persécution lancée sur autrui par malveillance, soif de pouvoir, cela pouvait évoquer le Maccarthysme à la sortie du film, d’autres firent un rapprochement avec la guerre du Vietnam. Décrié à sa sortie, le film a depuis gagné le statut de galon majeur des productions Hammer. On peut vraiment regretter que la disparition prématurée de Michael Reeves (âgé d’à peine 25 ans) l’ait empêché d’offrir d’autres propositions d’horreur au vu du talent déployé ici.

Sorti en bluray français chez BQHL