Leonard Zelig est un homme-caméléon :
en présence de gros, il devient gros ; à côté d'un noir, son teint se
fonce ; parmi les médecins, il soutient avoir travaillé à Vienne avec
Freud, etc. Bien sûr, les médecins s'intéressent à son cas sans en
percer le secret, jusqu'au jour où le Dr. Fletcher s'isole avec Zelig et
arrive à le soigner sous hypnose.
Woody Allen aura
promené de bien des façons tout au long de sa filmographie son
personnage récurrent de petit juif hypocondriaque et névrosé, de la plus
tendre, tragique à la plus loufoque.
Zelig
propose une spectaculaire fusion entre la tonalité potache et farceuse
des débuts avec l'émotion dont il est désormais capable depuis les
joyaux que sont
Annie Hall (1977) et
Manhattan
(1979).
Le point de départ est des plus absurde avec cet être étrange
qu'est Leonard Zelig, caméléon humain qui adopte toutes les caractéristiques
physiques et de personnalité de quiconque se trouve en sa présence avec
des résultats spectaculaires et délirant : asiatique quand il se trouve
à Chinatown, trompettiste noir virtuose en présence d'un orchestre de
jazz, médecin plus que convaincant lorsqu'il se trouve dans un
hôpital... Leonard Zelig est à la fois tout le monde et personne.
La forme sera aussi surprenante que le pitch avec ici un faux documentaire faisant dix ans avant
Forrest Gump
voyager son héros naïf à travers les grands évènements de son époque
(les années 20/30) où il fait figure de bête curieuse dans une
illustration oscillant entre recyclage virtuose d'images d'archives,
effets optiques stupéfiants intégrant Zelig au côté de personnalités
majeures, le tout relié par une voix off tour à tour neutre, impliquée
ou farceuse de Patrick Horgan.
Le film adopte ainsi un côté très sérieux
avec ces intervenants et experts réagissant au présent à ces évènements
passés mais qu'Allen conscient de l'absurde de son argument désamorce
toujours à coup de gags plus ou moins discret et souvent liés aux
transformations improbables de son héros.
L'ensemble aurait pu sombrer
dans la seule farce mais Allen parvient finalement à susciter l'émotion à
travers le poignant destin d'un homme qui se cherche. On peut forcément
faire le parallèle entre Zelig et Woody Allen. Même si hypertrophiés,
les complexes et les doutes de Zelig furent forcément ceux d’Allen et
leurs résolutions partielles similaires. Zelig parvient à s'intégrer au
monde en s'identifiant aux autres à l'extrême, Woody Allen gagna
l'admiration et l'affection de ses pairs par son bagout et son humour.
Tous deux réussissent en devenant des hommes-spectacle, la différence
étant que pour Zelig c'est involontaire et qu'il subit cette condition
le transformant en phénomène de foire.
Une telle idée propose
d'infinies possibilités scénaristiques qu'Allen amène de façon inventive
sur ses terrains familiers de l'humour, de la romance et d'une vision
captivante de la psychanalyse. La pathologie de Zelig questionne autant
d'un point de vue universel chez quiconque aura essayé de s'intégrer et
se fondre dans un certain milieu qu'à l'intime et au sociologique avec
cet antisémitisme ordinaire encore vivace et bien connu dans l'Amérique
de l'entre -deux guerre.
La nature changeante des médias et de la
population vous faisant passer d'idole à paria en un rien de temps (ce
qu'allait d'ailleurs vérifier douloureusement Allen quelques années plus
tard) est également largement fustigé, tout en nous faisant néanmoins
savourer le côté enjoué et sautillant des Années Folles.
La tonalité
fantaisiste ne disparait jamais vraiment mais une sourde mélancolie
parcoure ainsi l'ensemble laissant peu à peu poindre les failles sous
les rires avec notamment les entretiens de la chambre blanche où Zelig
tombe le masque et révèle ses peurs. Ainsi mis à nu, le personnage
cesse d'être un sujet d'amusement pour le spectateur et de thèse pour sa
psychanalyste Eudora Fletcher (Mia Farrow) qui émue par cette fragilité
va tomber amoureuse de lui. Et avec l'amour d'une seule personne,
l'opinion de toute les autres n'a plus d'importance semble nous dire
Allen dans le rétablissement sinueux mais spectaculaire de Zelig.
Le
mimétisme entre Woody Allen et Zelig devient total lorsque désormais
pour chacun cette singularité devient synonyme de reconnaissance, dans
le monde du spectacle bien sûr pour le réalisateur et vecteur d'un
exploit final invraisemblable pour notre caméléon au nez et à la barbe
d'Hitler avec un dernier détournement d'image mémorable. Sans doute un
des films les plus personnels de Woody Allen qui y passa près de trois
ans entre l'écriture du scénario en 1980 et les tournages parallèles de
Comédie érotique d'une nuit d'été (1982) et
Broadway Danny Rose (1984), y revenant constamment notamment pour peaufiner les effets visuels.
Sorti en dvd zone 2 français chez MGM
Extrait