Dévoreur de pellicule monomaniaque, ce blog servira à commenter pour ceux que cela intéresse tout mes visionnages de classiques, coup de coeur et curiosités. Je vais tenter le défi de la chronique journalière histoire de justifier le titre du blog donc chaque jour nouveau film et nouveau topo plus ou moins long selon l'inspiration. Bonne lecture et plein de découvertes j'espère! Vous pouvez me contacter à justinkwedi@gmail.com, sur twitter et instagram

Pages

vendredi 31 mars 2023

La Rivière Dotonbori - Dotonborigawa, Kinji Fukasaku (1982)


 Kunihiko est un jeune homme réservé qui passe le plus clair de son temps à peindre les rives de la rivière Dotonbori et à travailler au salon de thé où il a été engagé par son maître, Tetsuo Takeuchi, ancien joueur de billard professionnel. Un beau jour, alors qu'il s'adonne à son art, il fait la rencontre de la charmante Machiko, une femme distinguée qui dénote dans le paysage froid et violent d'Osaka. Les deux tombent progressivement amoureux malgré le fait que dix années les séparent, mais Kunihiko est inquiet: alors qu'il voit tous ses proches plonger dans le vice, emportés par la folie latente de cette ville corrompue, il souhaite à tout prix protéger sa bien-aimée.

La Rivière Dotonbori est un mélodrame urbain et feutré qui dénote dans la filmographie habituellement plus portée sur l'action de Kinji Fukasaku. Le film est l'adaptation d'un roman de Teru Miyamoto publié en 1978. Ce dernier constituait dans l'œuvre de l'auteur le dernier volet de sa "trilogie des rivières". Les précédents figuraient parmi les premiers écrits publiés de Teru Miyamoto à travers courts romans (ou longues nouvelles) confrontant l'innocence de l'enfance et un environnement social sordide. Le premier volet La Rivière aux lucioles fut publié en 1977, suivi quelques mois plus tard par Le Fleuve de boue, magnifiquement adapté au cinéma par Kōhei Oguri avec La Rivière de boue (1981) - les deux romans étant publiés en France aux éditions Picquier. Ce film ayant remporté un grand succès commercial et connu une vraie reconnaissance critique au Japon et à l'international (nommé à l'Oscar du meilleur film étranger, vainqueur du Prix du film Mainichi et prix d'argent au Festival international du film de Moscou en 1981), on peut imaginer qu'il éveilla l'attention d'autres studios pour l'œuvre de Teru Miyamoto avec La Rivière Dotonbori produit par la Shoshiku - autre adaptation plus tardive et connue de Miyamoto, Maboroshi (1995) le premier film de Hirokazu Kore-eda.

L'histoire ne suit pas deux jeunes enfants comme dans La Rivière aux lucioles et Le Fleuve de boue mais l'on reste néanmoins dans cette continuité de récit initiatique. Kunihiki (Hiroyuki Sanada) est un jeune homme de dix-neuf ans venant de perdre sa mère et qui est employé et hébergé par Tetsuo Takeuchi (Tsutomu Yamazaki) dans son salon de thé. Ce dernier est le père de Masao (Kōichi Satō), ancien camarade de classe de Kunihiki et cherchant à suivre un chemin fuit par son père en devenant joueur de billard professionnel. Tout le récit oscille pour les protagonistes entre une fuite des bas-fonds pour ceux les ayant connu et leur attrait malsain pour ceux recherchant la vie facile. Dans la première catégorie on trouve donc Takeuchi dont la carrière de joueur de billard lui a fait perdre sa femme et qui désespère de voir son fils prendre la même voie. Il y a également Machiko (Keiko Matsuzaka) une femme de vingt-neuf ans dont Kunihiki va tomber amoureux. Cette dernière est une ancienne geisha qui a été racheté par un bienfaiteur lui ayant offert le bar qu'elle gère seule. 

La "respectabilité" de Machiko est ainsi encore lié à son passé dévoyé et la place sous la dépendance de ce mécène et amant. La rencontre et romance avec Kunihiki lui permet donc paradoxalement de goûter à la vraie et pure romance de la jeune fille qu'elle n'a jamais pu vraiment être, ce qui offre de très beaux moments de sentimentalité candide puisque Kunihiki vit là aussi ses premiers émois. Ce lien à la fois romantique et maternel se ressent d'ailleurs dans la magnifique scène de sexe où Machiko se fait à la fois initiatrice du novice Kunihiki, tout en faisant montre d'un abandon que Fukasaku filme comme une libération, comme si c'était la première fois qu'elle effectuait l'acte par amour. L'intrigue se déroule à Osaka et le réalisateur capture la ville dans cette même dualité morale que celle qui déchire les personnages. 

Nous avons d'un côté une pure imagerie noble et contemplative accompagnant les déambulations des amoureux dans des espaces dépouillés et mettant notamment en valeur les vues sur la rivière Dotonburi dont le panorama offrira sera le théâtre du premier baiser du couple. En parallèle nous avons les quartiers des plaisirs noyés sous les néons, les intérieurs tapageurs de cabarets et des salles de billards synonymes de perdition. Les ruelles s'avèrent un entre-deux où se côtoient ce paradis et cet enfer, où déambule une faune interlope et qui voient se déchaîner dans la violence les relations toxiques et dominant/dominés. Fukasaku montre d'ailleurs à quel point les femmes amoureuses et innocentes malgré leurs métiers avilissants sont les éternelles victimes de la mesquinerie des hommes qui les utilisent et s'approprient leurs gains. 

Plusieurs scènes très touchantes traduisent ce désespoir tel ce moment voyant la danseuse Satomi (Yuki Furutachi) improviser un strip-tease dépressif après avoir été quitté par son amant junkie, ou encore la transgenre Kaoru (la vraie actrice japonaise transgenre Maki Carrousel, ce qui témoigne d'une représentation très respectueuse) subir toutes les humiliations de l'attitude passif/agressif de son odieux souteneur. La première heure du film tient ainsi de la tranche de vie qui entremêle ces différentes intrigues et personnages, avant de prendre ensuite un tournant plus explicitement dramatique et captivant. Les enjeux du climax se font plus tragiques, notamment dans la confrontation père/fils (et un duel virtuose au billard anticipant le Scorsese de La Couleur de l'argent (1986)) qui révèle un passé douloureux et le final est aussi inattendu que mélodramatique avec un ultime rebondissement cruel. Une belle réussite et un registre plus retenu qui sied tout aussi bien à Kinji Fukasaku qui remportera d'ailleurs pour le film le Japan Academy Film Prize du meilleur réalisateur.


 Sorti en bluray et dvd japonais

mercredi 29 mars 2023

Dan et Danny : Affair on Nolandia - Dirty Pair: Nolandia no Nazo, Masaharu Okuwaki (1985)


 Dan et Danny sont appelées sur une planète lointaine afin de retrouver une enfant disparue. Parallèlement à cette affaire, elles s'intéressent à la mort de plusieurs scientifiques lors d'étranges accidents.

Affair on Nolandia est un OAV (production destinée au marché vidéo) de la franchise Dirty Pair, un des fleurons de la science-fiction animée japonaise des années 80. Il s’agit à l’origine d’une série de romans écrits par Haruka Takachiho  (et illustré par Yoshikazu Yasuhiko célèbre pour son travail sur la saga Gundam) qui offre là une déclinaison de l’univers d’un autre de ses personnages à succès, Crusher Joe (également adapté en animation avec brio à la même période). Dirty Pair met en scène Yuri et Kei, deux agents spéciaux opérant à travers la galaxie pour mener différentes enquêtes policières. Le tempérament bien trempé du duo a des conséquences dévastatrice lors de leurs différentes aventures, l’élément récurrent étant qu’après leur passage et les rocambolesques péripéties rencontrées les planètes se trouve dans un état de destruction avancés. 

Un running gag forcément exploité dans la série animée de 24 épisodes produites en 1985, qui décevra les fans car adoucissant la férocité des romans mais qui rencontrera un vrai écho chez les geeks anglo-saxon fasciné par l’alliage entre ces héroïnes sexy, la comédie d’action décomplexée et la SF policière hard-boiled. Ainsi la franchise connaîtra une seconde vie aux Etats-Unis avec des adaptations comics écrites et dessinées par Adam Warren et Toren Smith de la fin des années 80 au début des années 2000. En France la série télévisée sera diffusée en 1989 sur France 3 sous le titre Dan et Danny. Deux autres séries produites en 1989 et 1994 verront le jour plus tard mais resteront inédites en France.

Affair on Nolandia est donc une déclinaison produite pour la vidéo sortie après la fin de la série animée. Nos héroïnes se rendent ici sur une planète plateforme où elles ont été engagées pour assurer la protection d’un enfant. A leur arrivée l’enfant a disparue et sa mère a été assassinée, parallèlement à la mort mystérieuse de plusieurs scientifique et de l’attitude suspecte de la police locale. La durée assez resserrée (55 minutes) ne permet pas de déployer efficacement ce postulat prometteur, cette durée étant à l’inverse trop étirée pour retrouver l’urgence de la série dont les épisodes ne duraient que 24 minutes. Le film tire donc son épingle du jeu par l’atmosphère, kei et Yuri passant la moitié du récit piégée dans une forêt étrange qui assène d’illusions cauchemardesques ceux qui se risquent à y pénétrer. 

Cela nous vaudra quelques séquences oniriques et inquiétantes, et aussi un travail aussi captivant qu’oppressant sur cet environnement. La flore semble dotée de conscience et prête à attaquer les importuns, les illusions façonnent une faune surnaturelle fascinante et menaçantes (les extraterrestres étant absents du monde de Dirty Pair), la mise en scène et le travail sur les design participant à ce sentiment claustrophobe. Il est dommage que ce segment ne dure pas plus longtemps, tant il est réussi et s’affranchit du décorum habituellement plus futuriste et urbain de Dirty Pair.

La dernière partie est d’avantage sur des rails classiques, mais rondement menés où le duo résout (trop facilement) l’énigme et traque les coupables dans une longue et échevelée course-poursuite. Moyens de transports interchangeables, ville mise à sac et bagarres homériques - avec un jubilatoire clin d'oeil à Terminator - constituent le spectaculaire climax auquel les méchants et la planètes ne survivront pas (retrouvant un poil le ton plus méchant des romans adoucis dans la série tv). On retiendra notamment cette pose héroïque en diable de Yuri tournant le dos à l’avion du méchant s’écrasant alors qu’elle vient de l’abattre d’un coup de fusil lointain. Un bon divertissement donc mais si l’on souhaite voir la meilleure itération de la Dirty Pair, la vision de Dan et Danny : Project Eden (1987) produit deux ans plus tard, est indispensable. Il s’agit d’un pur produit de l’âge d’or de la SF animée japonaise des 80’s doté d’un scénario ambitieux et d’une esthétique exceptionnelle. A la suite de celui-ci une seconde OAV sera produite également en 1990, au design plus proche de la série de 1989.


 Les deux OAV et le film de 1987 sont disponibles chez Dybex, on espère voir la série éditée un jour !

lundi 27 mars 2023

C'était un rêve - Kung Mangarap Ka't Magising, Mike de Leon (1977)

Joey a quitté Manille pour faire ses études à Baguio. Ses cours de biologie ne le passionnent guère, il préfère répéter avec son groupe de musique. Un jour, il fait la rencontre d’Ana, une jeune femme également originaire de la capitale, qui va le bouleverser. Mais Ana est mariée et a un enfant…

A l’instar de son ami Lino Brocka, Mike de Leon a dans ses films la volonté profonde d’équilibrer vraies velléités commerciales avec des œuvres personnelles et sociales. Si chez Lino Brocka cette dimension de film de genre s’exprime par les codes d’un certain cinéma fantastique et la tonalité nerveuse du film d’action ou du thriller, le registre de Mike de Leon est plus varié et imprévisible. Sur le papier, C’était un rêve est une bluette romantique et juvénile à l’écrin chatoyant, illuminé par la photogénie de son couple star Christopher de Leon/Hilda Koronel.

Il s’agit de la première strate destinée à attirer effectivement le grand public mais le film a bien plus de chose à dire que cela. La scène d’ouverture montrant le difficile réveil de Joey (Christopher de Leon) montre à quel point aucune des perspectives de sa journée ne l’incite à se lever. On sent malgré son jeune âge une existence contrainte par les obligations scolaires, sociales… Le début du film et ses interactions joyeuses avec ses camarades nous baignent dans le teen movie insouciant, mais l’on sent qu’il y a comme une épée de Damoclès qui plane sur cette indolence. La suite du récit nous montrera que cette menace est double. Tout d’abord existentielle par l’incertitude de Joey quant à son avenir, lui que le carcan des études empêche d’épanouir son âme plus bohème. Il y a aussi la pression sociale de son milieu bourgeois, simplement représenté ici par une conversation téléphonique avec son père, où tout juste âgé de 23 ans il est sommé de savoir quoi faire de sa vie sous peine de se faire couper les vivres.

Cette castration de la jeunesse s’incarne pour les hommes par une voie forcément tracée, tandis que chez les femmes cela se manifestera par un horizon bouché. Ana (Hilda Koronel) est une jeune femme de 22 ans, marié depuis ses dix-sept ans à un homme riche. Le « contrat » de ce cadre de vie aisé est de se plier aux désirs de son époux Freddie et de n’exprimer aucune aspirations dépassant le cadre domestique du couple. Une notion allant de la contrainte géographique, sociale et morale où les tenues vestimentaires, les sorties et fréquentations d’Ana sont soumises au bon vouloir de son conjoint. Il est intéressant de montrer ces entraves sociales par le prisme d’un milieu bourgeois, et la manière différente et complémentaire dont il se traduit pour l’homme et la femme.

Mike de Leon laisse progressivement cette facette se révéler lorsque la confusion entre l’amitié et le flirt chaste de Joey et Ana se révèle peu à peu. Avec la confiance mutuelle et les sentiments refoulés allant plus loin que la sympathie, se dessine à la fois un espace privilégié et la conscience plus marquée de la prison dorée dans laquelle ils dépérissent. L’esthétique de roman-photo confère un romantisme innocent à l’ensemble. Le travail sur les gros plans et les jeux de regard dans les discussions en intérieur alterne avec l’épanouissement et le sentiment de liberté en extérieur (la scène de pique-nique) sans jamais oser franchir le pas du rapprochement physique. La musique comble le fossé de ce qui n’est pas dit, de façon intra-diégétique (les paroles improvisées lors de la scène de pique-nique) et extradiégétique lorsqu’il s’agit d’élever la sentimentalité feutrée et pudique du récit. Le fait de situer l’intrigue en dehors de Manille tout en laissant constamment planer les contraintes qui se rattacher à cette urbanité bourgeoise donne tout son sens au titre C’était un rêve en faisant de cette « brève rencontre » une parenthèse enchantée mais sans lendemain.

Le film est un vrai bel objet plastique assumant bien sa nature surannée, le côté publicitaire et roman-photo passant par la photo de Mike De Leon (et Francis Escaler) qui donne un tour plus doux à ses expérimentations visuelles habituelles. Moins immédiatement captivant que le tourmenté Les Rites de mai, C’était un rêve souffre aussi d’un rythme un peu lent où la pudibonderie de l’ensemble (soumise à la censure locale évidemment) finit par se faire sentir. C’est malgré tout dès ce second film une belle preuve de la versatilité mêlée de cohérence de son réalisateur. 

Sorti en bluray chez Carlotta

dimanche 26 mars 2023

The Man from Earth - Richard Schenkman (2007)


 John, professeur d'histoire, est surpris par ses collègues avec une fête en son honneur. Il finit par leur avouer qu'il n'a pas 35 ans, mais 14000.

Man from earth est certainement une des exploitations les plus passionnantes du thème de l’immortalité. Si le film date de 2007, son idée est bien antérieure, issue de l’imagination de l’écrivain de science-fiction Jerome Bixby qui l’envisage dès les années 60 et l’exploite dans son scénario pour l'épisode Requiem pour Mathusalem de la troisième saison de la série Star Trek. Il dictera le scénario à son fils Emerson Bixby sur son lit de mort et le film sera produit en indépendant quelques années plus tard.

L’originalité de Man of earth est le contraste entre l’ambition du propos et la modestie de son dispositif. John sur le point de quitter ses collègues universitaires leur révèle la raison de ce départ, il est un être immortel de 14 000 ans qui change d’environnement dès lors que son absence de vieillissement devient suspecte pour son entourage. Devant les doutes naturels de ses amis, John (David Lee Smith) argumente non pas par la logorrhée et une démonstration d’érudition, mais au contraire par la simplicité et l’évidence de son propos. Quelques indices physique auront semé le doute en amont de son aveu (le fait qu’il possède un original de Van Gogh) mais c’est très clairement la joute verbale où il ébranle les certitudes intellectuelles, morales et philosophiques de ses interlocuteurs qui fait vaciller le récit. Richard Schenkman filme une captivante joute verbale qui s’appuie grandement sur de réelles théories mettant à mal les fondations historiques et spirituelles de l’humanité comme le fait que les enseignements de Jésus-Christ ne sont qu’une relecture hébraïque de la philosophie bouddhiste. Le film pousse le bouchon en faisant de ce mimétisme l’œuvre d’un seul vecteur, un être immortel qui a fait circuler une pensée d’une civilisation à une autre à travers le temps.

David Lee Smith est particulièrement convaincant et habité dans le rôle, le reste du casting, entre l’envie de croire (Tony Todd) et le déni d’une possible évidence qui briserait ses idéaux (Ellen Crawford), apportant une crédibilité bienvenue quelle que soit sa réaction. Par la seule force évocatrice du verbe (où l’on sent que c’est issu de l’imagination d’un écrivain) le film n’a donc nul besoin d’user de flashbacks historique façon Highlander et fascine par sa joute verbale brillamment menée et son intrigue solide malgré les concepts périlleux abordés. On regrettera juste la facture formelle un peu timorée qui fait téléfilm parfois, quelques idées de cadrages font mouche mais le huis-clos aurait pu être un peu plus dynamique – on imagine ce qu’un Shyamalan aurait pu en faire. Une réussite néanmoins et un film culte en puissance, qui connaîtra une suite tardive avec The Man from Earth: Holocene (2016).

Sorti en dvd zone 2 français

vendredi 24 mars 2023

Le Démon des armes - Gun Crazy, Joseph H. Lewis (1950)

Bart Tare a toujours été fasciné par les armes, au point qu'il tente d'en voler une dans la vitrine d'un marchand, à l'âge de 14 ans. Après la maison de correction et l'armée, il revient au pays, avec des idées de vie honnête et sereine... Mais un jour, un cirque visite la ville, et Bart assiste au numéro de tir d'Annie Laurie Starr, qui possède, comme lui, une suprême adresse dans cet exercice... Il s'engage à ses côtés, c'est bientôt le mariage et la ruine... Les deux tireurs d'élite en viennent à penser au braquage

Gun Crazy est une véritable pépite du film noir qui transcende son statut de série B par un sous-texte provocant, une urgence au service d’une mise scène novatrice. Au départ il s’agit d’une nouvelle de MacKinlay Kantor publiée dans le quotidien The Post. Ce dernier étant un journal plutôt républicain et conservateur, on pourrait s’étonner quand on pense à la furie du film de les voir publier pareil récit. En fait si le film reprend en grande partie les évènements de la nouvelle, le point de vue est très différent. L’histoire de MacKinlay Kantor racontait du point de vue extérieur d’un camarade son enfance auprès de Bart Tare, son obsession pour les armes à feu et dépeignait ses exploits criminels avec cette même distance, l’axe étant mis sur le quotidien de la petite ville et l’impact des méfaits de « l’enfant du pays ». La fratrie de producteur dirigeant la petite compagnie King Brothers Productions engage avant tout Mackinlay Kantor pour le prestige rattaché à son nom puisqu’un de ses romans est la base du récemment oscarisé Les Plus belles années de notre vie de William Wyler (1946). Kantor est initialement associé au scénario et à la production mais peu à peu écarté car son script s’avérait trop prétentieux quand les King souhaitaient un produit dans la lignée de leur seul succès commercial d’alors, Dillinger (1945). Dalton Trumbo alors sur la liste noir entre dans la danse pour rédiger sous pseudonyme un script bien plus alerte que va sublimer Joseph H. Lewis à la réalisation, en bon maître de la série B nerveuse. 

Il reste néanmoins de vraies traces de la nouvelle dans l’ouverture sur l’adolescence de Bart Tare (John Dall), partagé entre l’environnement provincial paisible où il a été élevé et son attrait névrotique pour les armes. Ce schisme qui aura des répercussion plus tard se traduit malgré cette obsession par une incapacité et un dégoût à tuer suite à un traumatisme d’enfance. On peut facilement faire le raccourci entre le fait d’éprouver du désir sexuel mais d’être impuissant, et le décloisonnement concret et symbolique se fait avec la rencontre d’Annie Laurie Starr (Peggy Cummins), éminente gâchette dans une troupe de cirque. Elle est le pendant inversé et complémentaire de Tare, quand ce dernier refoule ses pulsions, Anne a la détente facile et ne rêve que de trouver un partenaire pour l’accompagner dans les crimes qui lui offriraient une meilleur vie. La première rencontre est un moment d’anthologie, Annie surgissant comme un fantasme filmé en contre-plongée du point de vue de Tare, toute sourire et lâchant un coup de feu en l’air. Joseph H. Lewis filme les deux futurs amants durant ce duel armé que deux animaux en chaleur qui se jaugent, se reniflent et s’épient avant de sauvagement s’étreindre. Ce désir ne peut cependant s’assouvir que dans l’adrénaline des braquages qu’ils vont bientôt mener ensemble.

La méthode brutale et spontanée des hold-up correspond à cette métaphore de passion charnelle à consommer dans l’urgence et le danger. Il faut attendre la moitié du film et l’attaque de la société de viande pour voir un braque un tant soit peu élaboré et préparé en amont, sinon ce ne sont que des assauts presque spontanés (si ce n’est la voiture de rechange en dehors de la ville), des fuites chaotiques et des coups de feu tonitruants. Joseph H. Lewis réussit l’exploit de créer une vraie empathie pour son duo infernal s’épanouissant dans une passion toxique où l’étreinte de l’autre est addictive et indispensable pour le passage à l’acte criminel. Une des plus belles scènes sera lorsque le couple en cavale décide de momentanément se séparer pour échapper à la police mais, s’éloignant l’un de l’autre dans leurs voitures respectives, s’en montre incapables et accourent fiévreusement l’un vers l’autre. 

Les travellings agressifs, les plans-séquence nerveux (l’attaque de la banque fabuleux morceau de bravoure) et les cadrages dynamiques (notamment tout ceux sur leur silhouettes à l’arrière de la voiture durant leurs fuites dantesques) de Lewis créent un sentiment d’urgence qui font coupablement ressentir l’excitation des protagonistes dans leurs actions. Paradoxalement, les moments où Tare et Annie partagent des moments de couple « normaux » et romantique, l’imagerie se fait volontairement factice et artificielle, comme si cette existence rangée à laquelle il prétendent aspirer ne leur ressemblait pas. Les braquages sont supposés financer un train de vie plus agréable mais ils s’avèrent finalement un prétexte et la raison d’être, le pivot de leur union. Peggy Cummins est incandescente à travers ces airs de poupée de porcelaine fragile en contrepoint de ses élans violents et dominateurs sur John Tall plus torturé et qui anticipe la vulnérabilité d’un Warren Beatty en Clyde Barrow dans Bonnie and Clyde de Arthur Penn (1967).

Leur union ne se résume cependant pas à ce rapport dominante/dominé et s’avère une sincère histoire d’amour, dont le moteur s’avère cependant destructeur pour leurs victimes. Toutes ces contradictions explosent dans l’envoutante conclusion qui les voit chuter. L’espace se restreint et freine leur fuite en avant, l’urbanité glorieuse de leurs exploits s’estompe pour les piéger en forêt et l’abstraction est de mise avec cet marécage brumeux pour mettre le point final à leur odyssée meurtrière. Un grand film qui impressionnera durablement un certain Jean-Luc Godard qui ne masque pas son influence dans son inaugural A bout de souffle (1960).

Sorti en bluray français chez Wild Side

 

jeudi 23 mars 2023

Hellzapoppin - H.C. Potter (1941)


 Au cours d'un tournage, le réalisateur interrompt les prises de vues, car le film n'a pas de sens. Il lui manque une histoire d'amour. Jeff, le scénariste, se met au travail et laisse alors libre cours à son imagination. Parallèlement, Ole et Chic, les vedettes de la revue Hellzapoppin, font tout leur possible pour saboter le spectacle pour lequel le régisseur cherche un commanditaire.

Hellzapoppin constitue une véritable date dans l’histoire de la comédie américaine au cinéma. Le film est un des premiers grands succès de Broadway à connaître une adaptation cinématographique, après un triomphe scénique s’étalant de 1938 à 1941. Bien que la plupart du casting originel ne fasse pas la transition vers le grand écran (hormis le duo comique Ole Olsen/ Chic Johnson et le collectif dansant de Whitey's Lindy Hoppers), les spécificités de la pièce sont largement conservées dans cette adaptation produite par Universal.

Hellzapoppin durant ses trois années d’exploitation initiale avait la particularité d’être un constant work in progress où pouvait s’ajouter gags et répliques en lien avec l’actualité. C’est le cas ici avec l’ajout de gags référentiels plus spécifiquement liés au cinéma comme cette allusion au Rosebud de Citizen Kane (1941). Les éléments de comédie musicale (les danses sous-marines de jolies filles en maillot de bain) et la construction du film peuvent éventuellement évoquer celle des films de Busby Berkeley (42e rue (1933), Prologue (1933)) dans son intrigue un peu lâche prétexte à déployer le grand spectacle (facette plus marquée dans Dames (1934), Wonder Bar (1934) chez Berkeley). 

Cela se caractérisait par une romance aussi convenue que charmante (en général entre Ruby Keeler et Dick Powell), fil rouge auquel se greffait tout l’arrière-plan dansant et chantant. Hellzapoppin prend le problème à l’envers en démarrant par le chaos absolu avant qu’une mise en abyme incite les concepteurs à intégrer avec opportunisme une romance parce que tous les films en ont une ». Alors que d’habitude dans ce genre de greffe la romance se fait encombrante et perturbe/retarde le grand spectacle, c’est tout l’inverse ici où la tonalité azimutée des acteurs et de la narration cavale après l’histoire d’amour (un triangle amoureux) pour la malmener. Les acteurs de la romance ayant la fadeur et le charme convenu pour maintenir un semblant d’intérêt, cet élément n’est pas gênant puisque régulièrement dynamité.

Si certains éléments ont vieillis, si la provocation d’alors n’est pas équivalente pour un spectateur contemporain, l’inventivité et l’énergie déployée emporte tout sur son passage même si tous les gags ne font pas mouche. Le quatrième mur est brisé plus d’une fois et à plusieurs niveaux, que ce soit celui des créateurs/producteurs ou celui du projectionniste, ce qui entraîne des situations délirantes comme lorsque les bobines se mélangent à celles d’un autre film et que les personnages se retrouvent dans un western. L’influence music-hall est omniprésente et permet l’introduction de personnages farfelus comme ce transformiste, sans parler d’autres figures directement issues de la comédie sociale et sophistiquée des années 30 avec ce noble déchu en quête d’une riche héritière.

Hellzapoppin fait partie des films ayant introduit les codes du cartoon (et en particulier ceux des réalisations folles furieuses de Chuck Jones chez Warner) dans le cinéma en prises de vues réelles, avant de voir à son tour certains de ses gags repris par la suite dans l’animation. C’est vraiment novateur puisqu’à l’époque seul un Preston Sturges (précédé en partie par les Marx Brothers mais sur des intrigues prétextes) s’y risquait, mais que tout un pan de la comédie américaine y plongera de plain-pied dans les années 50 comme Frank Tashlin (issu du cartoon) et des films de Jerry Lewis. On peut même voir plus loin puisque l’absurde et la comédie nonsensique voire parodique exprimée ici anticipe autant les futurs délires des Monty Python que ceux des ZAZ (cet ours parlant et évitant les balles). Donc même si la connaissance des excès de successeurs pas entravés par la censure atténuera la force de certains gags, leur avalanche ininterrompues arracheront forcément un fou rire au spectateur contemporain. L’abondance finit par payer pour notre plus grand plaisir.

Sorti en dvd zone 2 français chez Swift