Dévoreur de pellicule monomaniaque, ce blog servira à commenter pour ceux que cela intéresse tout mes visionnages de classiques, coup de coeur et curiosités. Je vais tenter le défi de la chronique journalière histoire de justifier le titre du blog donc chaque jour nouveau film et nouveau topo plus ou moins long selon l'inspiration. Bonne lecture et plein de découvertes j'espère! Vous pouvez me contacter à justinkwedi@gmail.com, sur twitter et instagram

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lundi 30 octobre 2017

Mark Dixon, détective - Where the Sidewalk Ends, Otto Preminger (1950)


Mark Dixon est détective à New York. Réputé pour sa brutalité envers les criminels, il mène une enquête sur le meurtre d'un riche Texan poignardé après avoir gagné 19 000 $ aux jeux. Au cours de son investigation, Dixon interroge le suspect principal, Ken Payne. Le truand l'agresse et, pendant la bagarre, reçoit un coup de poing meurtrier. Désemparé devant cette situation, Dixon décide de faire disparaître le corps. Un chauffeur de taxi est alors soupçonné, mais Dixon tombe amoureux de sa fille, Morgan Taylor.

Mark Dixon, détective est le dernier film noir d’Otto Preminger à la Fox (après Laura (1944), Le Mystérieux Docteur Korvo (1949) et Crime Passionnel (1945)) mais aussi son dernier film studio avant de se lance en indépendant – même s’il reviendra dans le giron de la Fox pour Rivière sans retour (1954). Le film constitue aussi pour un temps un des derniers films noir à tendance « psychologique » de la Fox avec le virage vers des sujets plus réalistes et un ancrage social plus prononcé. On suit donc ici les tourments de Mark Dixon, un policier aux méthodes brutales régulièrement rappelé à l’ordre par sa hiérarchie. On comprendra peu à peu que cette violence est en partie un moyen de surmonter le passé criminel de son père, une tâche qu’il tente d’effacer dans sa haine des gangsters. Une affaire le confronte pourtant à ses contradictions lorsqu’il tue accidentellement un suspect récalcitrant dans une affaire de jeu et de meurtre.

La situation le renvoie à cette souillure familiale mais paradoxalement pour y échapper Dixon maquille son méfait avec la roublardise d’un vrai criminel. Cette schizophrénie s’avère plus marquée encore quand il va tomber amoureux de la fille de l’innocent suspect (et épouse de la victime) incarnée par Gene Tierney ce qui est l’occasion de reconstituer le couple mythique de Laura. Le scénario de Ben Hecht déploie donc une intrigue criminelle sans réel crime à élucider (ou du moins celui initial est assez limpide et sans vrai mystère), le gangster joué par Gary Merill étant finalement un élément secondaire. Ce qui intéresse Preminger, c’est le visage pétri d’émotion contradictoire de Dana Andrews, cherchant à échapper à ce passif auquel on le renvoie sans cesse mais également en quête de rédemption auprès de Gene Tierney. Le personnage subit un déterminisme social et moral complexe que la seule résolution de l’enquête ne saura apaiser. Dixon cède donc progressivement à une fuite en avant tout d’abord égoïstement œdipienne puis sacrificielle quand il mettra sa vie en jeu pour innocenter le père de Gene Tierney.

L’agressivité de Dixon tend donc vers une logique masochiste et presque suicidaire à travers les écarts de violence sévère qu’il traverse. Pour être en paix avec lui-même, Dixon ne devra pourtant pas être happé par cette violence mais au contraire survivre et assumer les conséquences. Le sceau criminel de ses origines ne semble pas l’autoriser à vivre, mais l’amour saura lui donner la force de s’accrocher. Le final refuse ainsi l’échappatoire heureuse attendue pour une vraie volonté de franche rédemption. Dana Andrews est formidable de vulnérabilité contenue sous ses allures de dure à cuire et l’alchimie avec Gene Tierney est toujours aussi forte. Otto Preminger mène l’ensemble avec un brio et une intensité dramatique de tous les instants.

Sorti en dvd zone 2 français chez Carlotta 

mercredi 25 octobre 2017

Irréprochable - Sébastien Marnier (2016)


Constance, agent immobilière au chômage à Paris, retourne dans sa ville natale pour essayer de pourvoir un emploi dans l'agence où elle a commencé sa carrière. Une jeune concurrente, Audrey, obtient le poste à sa place. Dès lors, Constance, considérant subir une injustice et mériter l'emploi, va tout faire pour le récupérer.

Premier film de Sébastien Marinier, Irréprochable est une belle réussite qui constitue une des meilleures tentatives française récentes dans le thriller. Le réalisateur y mêle avec un vrai brio influence américaine bien digérée avec une dimension psychologique oppressante s’intégrant dans un contexte typiquement français. Le scénario fait le portrait d’une sociopathe en puissance avec Constance (Marina Foïs), une femme dont toute l’énergie se déploie à vampiriser son entourage. La révélation de ses névroses se révèle toujours par un effet d’effritement du contexte, des décors et situation dont la normalité dissimule toujours ses penchants prédateurs. La scène d’ouverture l’annonce lorsqu’on la voit se réveiller, prendre sa douche et se détendre dans un appartement qui s’avère investi par effraction. Constance est un agent immobilier déchue et contrainte de revenir piteusement dans sa province natale pour s’occuper de sa mère. Son objectif sera de récupérer son ancienne place, persuadée qu’elle est de son travail irréprochable et sa nature indispensable. Mais cette ambition est mise  mal par une jeune concurrente (Joséphine Japy) qui va lui prendre sa place mais aussi un ancien amour (Jérémie Elkaïm).

L’équilibre, le professionnalisme et l’aisance de Constance constituent un masque de normalité factice. Lorsque les évènements lui échappent, cette façade s’estompe pour laisser s’exprimer la prédatrice déterminée. L’anodin d’un dialogue (la conversation où Constance apprend que sa rivale est souvent en retard au boulot et va jouer de cette faille dès la séquence suivante) ou de ces grands espaces provinciaux (avec une remarquable utilisation du cinémascope) débouche toujours sur une manipulation. Sébastien Marnier admet s’inspirer notamment du It Follows (2014) de David Robert Mitchell avec une même menace latente surgissant dans un environnement neutre. Nul besoin d’argument surnaturel cependant, la nature instable, calculatrice et imprévisible de Constance fait peser un malaise constant.

Cela s’exprime par ce miroir hypocrite lors des scènes collectives (les visites d’appartement et les sorties avec Audrey), mais aussi par la frénésie de la culture (Constance étant une sportive sculptant son corps de manière acharnée) ou de l’abandon (les scènes de sexe brutales avec Benjamin Biolay) physique dans l’isolement de son appartement ou des chambres d’hôtel. Marnier ne lâche pas le point de vue de son héroïne, la figurant comme un véritable stalker toujours filmé en amorce, retrait ou contrechamps de ses proies lors de ses traques et filatures. C’est une manière de montrer son détachement du réel qu’elle observe par le prisme déformé de sa folie. Marina Foïs livre une prestation extraordinaire et porte le film sur ses épaules de bout en bout, humanisant à sa manière dérangée la mise en scène clinique de Sébastien Marnier. Une sacrée tension pas démentie par un épilogue sobre et magistral, on est curieux de voir la tournure des futurs projets du réalisateur après pareil galop d’essai.

 Sorti en dvd zone 2 français chez Orange Studio

mardi 24 octobre 2017

Les Banlieusards - The Burbs, Joe Dante (1989)


Ray Paterson habite Mayfield Place, petit lotissement paisible. Cette semaine, il est en vacances, et compte bien se reposer. Mais les mystérieux Klopek, nouveaux résidents d'une maison proche de la sienne, l'intriguent par leur discrétion et leurs étranges activités nocturnes. Motivé par d'autres voisins, dont son ami Art et le vétéran Rumsfield, il se met à porter un intérêt grandissant à ce qu'il soupçonne être de dangereux individus. Ainsi, lorsqu'un autre voisin, Walter, disparaît subitement, Ray devient convaincu que les Klopek sont responsables, et décide de s'introduire chez eux...

Rien ne plaît plus à Joe Dante que de dynamiter l’imagerie americana dans ses meilleurs avec l’irrévérence de sale gosse qui le caractérise. A chaque fois ce sera une menace hors-norme qui viendra mettre à mal ce vernis classique. Les créatures de Gremlins (1984) viennent joyeusement piétiner l’esprit de noël, la peur de la bombe sème la panique dans l’innocence 60’s dans Panique sur Florida Beach (1993) et un paisible camp de repos hippie dissimule une tribu de loup-garou dans Hurlements (1981). Les Burbs donne à Dante  l’occasion d’exploiter à nouveau ce thème, comme souvent  tiraillé entre nostalgie et ironie chez lui. Au départ il y a un scénario de Dana Olsen initialement destiné à un pilote de série qui ne se tournera pas. Dès lors le scénariste remanie son script en vue d’un long-métrage et va attirer l’attention de Dante pour ce film plus modeste coincé entre deux grosses productions (L’Aventure intérieure (1987) et Gremlins 2 (1990)). 

Dana Olsen et Joe Dante sont des enfants des banlieues pavillonnaires américaines et s’amusent donc à en faire une satire mordante et tendre. Les souvenirs sont donc à la fois personnel (Dante ayant eu comme voisins une famille étrange ne sortant jamais et sur laquelle le voisinage faisait les plus folles spéculations) et référentiel à travers différents du film. Le décor studio Universal de cette banlieue est ainsi un terreau de culture populaire américaine puisqu’y fut tourné entre autres certains mélo de Douglas Sirk, de nombreuses séries télé (avec parfois des éléments bien identifiables pour les fans comme une maison de la série 60’s Les Monstres utilisée) et servira même plus tard pour Desperate Housewives. La présence au casting d’un Gale Gordon, visage bien identifiable de la télévision américaine (collaborateur régulier de Lucille Ball notamment) participe à cette dimension rétro.

Dès l’ouverture pourtant à travers quelques gags plus ou moins discret, Dante met à mal l’harmonie de cette banlieue. L’histoire américaine récent a souillée le jardin d’Eden provincial à travers les personnalités tourmentés du voisinage, que ce soit le vétéran du Vietnam Rumsfield (Bruce Dern), la paranoïa héritée du Maccarthysme avec le loufoque Art (Rick Ducommun) tandis qu’une bêtise ordinaire et bien contemporaine anime Walter (Gale Gordon) fier de son gazon et l’ado décérébré Ricky (Corey Feldman). Tout ce beau monde se laisse aller à ses névroses lorsque de nouveau voisins, les Klopek viennent s’installer dans le quartier et Ray (Tom Hanks) pour tromper l’ennui être emporter par ses acolytes excentriques. 

Dante déploie tout l’arsenal horrifique gothique de façon décalée (dont une scène de rêve hommage aux Vierges de Satan (1968) de la Hammer) dans ce cadre banlieusard pour signifier l’étrangeté des nouveaux venus et/ou la paranoïa du voisinage. Jeux avec les éléments météorologiques, contre-plongées rendant la maison des Klopek angoissante, score de Jerry Goldsmith lâchant les chevaux à coup d’orgue grandiloquent, tout est là pour susciter peur désamorcée par la touche comique. Joe Dante se montre en fait plus ambiguë cette fois, l’élément perturbateur contrairement à d’autres de ses films venant autant de l’extérieur (les Klopek) que de l’intérieur avec cette peur de l’autre qui agite le voisinage. La première partie est la plus épatante tant que le mystère demeure, laissant les personnages à leur théories macabres et complotistes les plus grotesques et amenant nombre de situations hilarantes. Le récit perd cependant de sa force en donnant à voir de plus près les voisins (même si on s’amuse des visions de gothique Universal que Dante confère à un espace domestique assez commun) et surtout en abandonnant son ambiguïté dans un final qui finit par concrètement choisir entre peur irrationnelle et vraie menace. 

La tendresse du réalisateur pour ces gens et ces lieux l’empêche d’avoir un trait trop corrosif (même si quelques éléments subversifs demeurent avec le racisme suggéré par la consonance étrangère de Klopek lourdement rappellée par Bruce Dern, l'isolement de ces banlieues facilitant cette folie douce avec un Tom Hanks refusant de la quitter pour ses vacances), au contraire d’un Tim Burton ayant toujours détesté cette période de sa vie et qui se montre bien plus virulent dans Edwardaux mains d’argent (1990) quant à la peur de l’autre ordinaire. Reste un film très amusant et attachant porté par un Tom Hanks épatant (et qui abandonnerait un peu ce registre comique dans son ascension de star) et qui malgré un succès mitigé à sa sortie, gagnera ses galons de film culte au fil des années. 

Sorti en bluray et dvd zone 2 français chez Carlotta