Septembre 1962. Hélène
Aughain, femme au début de la quarantaine et antiquaire à domicile, vit à
Boulogne-sur-Mer avec Bernard Aughain, son beau-fils qui revient d'Algérie.
Elle fait revenir son amour de jeunesse, Alphonse Noyard, un homme
dissimulateur, charmeur et habile. Il arrive accompagné d'une jeune femme,
Françoise, actrice débutante, qu'il fait passer pour sa nièce. Hélène les
accueille et la cohabitation des membres du groupe va s'avérer source de
tensions : rémanence des histoires propres à chacun, résolution du passé et
amours contrariées.
Dans les premiers films d’Alain Resnais, le souvenir est un
traumatisme qui nous hante dans les méandres intimes de Hiroshima mon amour (1959), une illusion qui nous échappe à travers
le labyrinthe mental de L'Année dernière à Marienbad (1961) ou encore
un bonheur que l’on poursuit dans Je t'aime, je t'aime (1968). Resnais synthétise toute ces approches sous un
jour intime et politique avec Muriel ou
le Temps d’un retour, son troisième film.
C’est le souvenir d’un amour de jeunesse qui suscite les
retrouvailles d’Hélène (Delphine Seyrig) et Alphonse (Jean-Pierre Kérien),
longtemps après leur séparation douloureuse. C’est également souvenir qui
trouble Bernard (Jean-Baptiste Thierrée) le beau-fils d’Hélène, marqué par son
expérience de la Guerre d’Algérie. La flamme d’une passion passée guide les
échanges nostalgiques, les regards troublés et la promiscuité espérée entre
Hélène et Alphonse. De même l’attitude étrange de Bernard suscite autant le
mystère que la pitié en laissant supposer les horreurs vues au front qui
rendent si difficile son retour à la vie civile. Le film semble dans un premier
temps étonnamment linéaire comparé aux travaux passés de Resnais mais les
motifs de dérèglement se glissent progressivement.
La jovialité forcée des
retrouvailles est ainsi troublée par des cuts de montage abrupts qui rompent l’harmonie
attendue comme pour nous en montrer d’emblée l’illusion. Après une entrée en
matière constituant une relative unité de temps, Resnais déroule dans une sorte
d’accéléré du rêve le déroulement de jours entiers, de lieux divers et de
plusieurs intrigues parallèles. Ce parti pris était annoncé avec le premier
repas ou par malaise, Hélène est mouvement ou babillage perpétuel pour ne pas
laisser l’intimité et donc la vérité s’immiscer. Pour Alphonse cette poudre aux
yeux se joue dans la répétition de l’évocation de ses souvenirs de résistants
ou de sa vie d’entrepreneur en Algérie, mais aussi la vraie nature de ses
rapports avec sa « nièce » Françoise (Nita Klein).
C’est d’ailleurs l’amorce
de romance avortée avec elle qui questionne quant au mal-être de Bernard, tout
aussi fuyant avec une amante passagère et dont la supposée fiancée Muriel reste
invisible.
L’impossible apaisement ressenti par cette narration est
ainsi une manière de révéler les mensonges qui se dissimulent sous cet écrin
apaisé. Hélène noie son chagrin et son argent au jeu, Alphonse le sien dans les
bars où il se donne l’illusion de reprendre une affaire et si leur vérité sombre
apparaîtra pleinement en conclusion, celle de Bernard se révèlera pleinement à
mi-parcours.
En Algérie, il fut le tourmenteur et le meurtrier de la fameuse
Muriel en s’adonnant à la torture et depuis le souvenir et la culpabilité le
hantent. Cette approche cryptique fascinante est la façon dont Resnais aura
choisi d’évoquer la Guerre d’Algérie alors que la censure règne en France dès
qu’il s’agit d’aborder le sujet dans la fiction. Le cadre même du récit est
traversé de ces stigmates du souvenir avec cette ville de Boulogne dont Resnais
filme les espaces sinistrés par les bombardements, ou des inserts sur des noms
de rue ramenant à la Seconde Guerre Mondiale.
Le récit ne ralenti donc que dans sa première partie d’exposition,
puis dans la dernière où les masques tombent. Le souvenir s’avère inventé ou
volé pour Alphonse, étouffé pour Hélène et indélébile chez Bernard. Pour chacun
l’illusion d’un quotidien normal est désormais impossible et les condamne tous
à l’exil physique et/ou mental. Le souvenir ramène ici à un présent cruel et
oppressant où Resnais offre à peine quelques respirations (les balades à cheval
de Bernard) et privilégie souvent la modernité des barres d’immeuble froid de
ce Boulogne reconstruit. Un des Resnais les plus sombre dont on retiendra
particulièrement la prestation tourmentée de Delphine Seyrig.
Sorti en dvd zone 2 français chez Arte
Hello Justin. Un Resnais passionnant je trouve et mésestimé. On comprend seulement peu à peu ce qui se passe et de quoi parle le film. Tu me donnes envie de le revoir.
RépondreSupprimerSalut Strum, oui vraiment trop méconnu ce Resnais qui nous berne par sa fausse normalité avant de révéler ses secrets. Une belle découverte de plus dans sa filmo.
SupprimerUn film puissant, déambulation douloureuse dans le temps (les fragments du passé qui bousculent le présent du récit) et l'espace (la présence incroyable de la ville), avec une énième réinvention formelle de la part du réal.
RépondreSupprimerE.