Celestina est une
jeune fille de la campagne qui quitte son village natal pour se rendre à Rome
où elle travaille comme femme de chambre. Dans le climat débridé de la
capitale, Celestina, fille plutôt réservée et naïve passe d'une famille à
l'autre. Ainsi, elle se lie d'amitié avec d'autres jeunes filles romaines et
finit par faire la connaissance de Fernando, un beau plombier dont elle tombe
amoureuse.
Du soleil dans les
yeux est le premier film d’Antonio Pietrangeli, personnalité originale et
injustement oubliée de l’âge d’or du cinéma italien. Après des études de
médecine, il suit le parcours de nombreux futurs cinéastes italiens de l’époque
passant par l’écriture, d’abord au sein de la critique puis en tant que
scénariste. Là il œuvrera pour nombres de réalisateurs majeurs durant l’après-guerre
comme Luchino Visconti pour Ossessione
(1943) et La Terre tremble (1948), Roberto
Rossellini sur Europe 51 (1952) ou
dans un registre plus populaire Fabiola
d’Alessandro Blaseti (1948). Sur certains de ses scripts comme La Louve de Calabre (1952) d’Alberto
Lattuada, on pouvait distinguer ce qui serait la préoccupation majeure de sa
filmographie à venir : la condition féminine dans l’Italie moderne. Ce
thème rarement évoqué dans la production italienne d’alors - même si pas
totalement absent notamment chez Dino Risi avec Boulevard de l’espérance (1953) ou Le Signe de Vénus (1953) - le distingue donc et fera la réussite d’Adua et ses compagnes (1960) La Fille de Parme (1963) ou Je la connaissais bien (1965) mettant en
valeur de grandes actrices comme Simone Signoret, Catherine Spaak, Stefania
Sandrelli. Tout cela brille donc déjà dans cet inaugural Du soleil dans les yeux.
Le film s’ouvre sur le départ douloureux de Celestina (Irène
Galter), contrainte de quitter son village natal et ses frères pour travailler
à Rome comme femme de chambre. Pour la jeune paysanne, tout dans cette nouvelle
vie est source de frayeur : l’immensité de cette ville où elle se perd dès
la première course à effectuer, les remontrances de son intolérante patronne et
surtout la terrible solitude qui la ronge. Pietrangeli traduit formellement
chacun de ces manques, perdant la frêle silhouette de Celestina dans la largeur
d’une rue qu’elle traverse maladroitement, opposant l’aisance de mouvement et d’éloquence
de la patronne avec son mutisme craintif et figé et enfin en opposant sa tenue
de paysanne godiche et les jeunes femmes de son âge plus apprêtées qu’elle
croise. L’apprentissage de Celestina se fera à travers les différentes familles
qu’elle servira et surtout par son expérience des hommes.
Chaque « employeurs »
représente une tranche sociale de l’Italie d’alors et voit Celestina gagner en
confiance en elle et en répondant, ce qui se répercute dans son rapport aux
hommes et inversement. Paysanne apeurée de tout, elle tremble comme une feuille
face aux vociférations de sa cruelle patronne représentant la nouvelle bourgeoisie
snob symbolisée par l’immeuble moderne où elle vit. Cette angoisse se ressent
dans le rejet des tentatives d’approche de Fernando (Gabriele Ferzetti) un
séduisant plombier qui lui plaît pourtant. Le professeur à la retraite chez
lequel elle officie ensuite s’avère paternel et bienveillant, mais illustre à
sa manière cette vieillesse rejetée dans l’Italie pauvre et en reconstruction
que montrait Vittorio De Sica dans Umberto D (1952). Là, fiancée à un très conformiste et ennuyeux policier, Celestina
montrera les premiers signes d’émancipation en finissant par repousser ce
prétendant à la moralité hypocrite.
Notre héroïne semble alors désormais maîtresse de ses choix
professionnels et amoureux en cherchant une nouvelle place à proximité du lieu
de travail de Fernando qu’elle n’a jamais cessé d’aimer. La nouvelle place
représente l’aristocratie italienne encore toute puissante mais alors que les
lieux en imposent bien plus par leur luxe et espace Celestina n’éprouve plus
aucune crainte, désormais habile à duper ses employeurs. La quête de séduction
de Fernando l’a rendue mutine et assurée, le lieu de travail n’étant plus un
cadre de souffrance mais un moyen de l’attirer avec un incident de plomberie « volontaire ».
Le regard et les caresses de l’être aimé surmontent tout, y compris la nouvelle
perte d’une place ou encore la vindicte morale qui traverse tout le film via l’église
et les différents échelons sociaux nantis rencontrés.
Antonio Pietrangeli daigne alors enfin élargir l’horizon
tant physique que mental du récit. Une magnifique séquence romantique à la
campagne, baignée d’une imagerie impressionniste, repousse pour un court
instant tous les clivages sociaux et moraux qui oppressent Celestina. Irène
Galter dont le visage au bord des larmes ou profondément mutique illustrait
détresse et résignation s’illumine enfin. Le corps raide et engoncé se fait
plus lascif, l’allure plus séduisante avec cette resplendissante robe d’été, en
un mot plus féminine car enfin aimante. Une nouvelle fois, le parallèle pourra
être fait avec l’épanouissement de sa nouvelle place chez de riches commerçants
au ton rieur et populaire qui là annonce les nouveaux riches du miracle
économique italien. L’ultime épreuve de Celestina sera pourtant de s’affranchir
de l’autre dans une société où la quête de richesse prime sur tout. Elle en
goutera l’amère expérience en filigrane tout au long du film, poursuivie ou
repoussée pour son attrait pécuniaire autant que pour sa beauté. Les héritiers
du vieux professeur la menacent de procès en découvrant que celui-ci envisage
de lui léguer ces terres, possibilité qui semble nourrir la passion du
prétendant policier. Fernando bien que sincèrement amoureux hésite ainsi avec une
fiancée richissime qui le couvre de cadeau et l’associera à un commerce
lucratif.
Les seules relations fiables synonymes d’amitiés s’illustrent
à travers les femmes et plus précisément les ouvrières entre elles. Les
exemples d’émancipation avec Marcella (Pina Bottin) qui élève son fils seule, d’entraide
lorsque cette même Marcella sert de fausse référence aux futurs employeurs, de
soutien moral constant, tout cela passe des figures féminines compréhensives
issues du même monde. Ainsi malgré une conclusion qui pourrait paraître très
sombre, Antonio Pietrangeli achève son film sur une vraie note d’espoir et
montrant combien cette solidarité féminine inaltérable sera le socle des
libertés futures. Un message poignant et d’une grande finesse.
Inédit en dvd pour l'instant mais le film ressort en salle le 12 octobre, l'occasion d'une bien belle découverte
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