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mercredi 28 septembre 2016

Du soleil dans les yeux - Il sole negli occhi, Antonio Pietrangeli (1953)

Celestina est une jeune fille de la campagne qui quitte son village natal pour se rendre à Rome où elle travaille comme femme de chambre. Dans le climat débridé de la capitale, Celestina, fille plutôt réservée et naïve passe d'une famille à l'autre. Ainsi, elle se lie d'amitié avec d'autres jeunes filles romaines et finit par faire la connaissance de Fernando, un beau plombier dont elle tombe amoureuse.

Du soleil dans les yeux est le premier film d’Antonio Pietrangeli, personnalité originale et injustement oubliée de l’âge d’or du cinéma italien. Après des études de médecine, il suit le parcours de nombreux futurs cinéastes italiens de l’époque passant par l’écriture, d’abord au sein de la critique puis en tant que scénariste. Là il œuvrera pour nombres de réalisateurs majeurs durant l’après-guerre comme Luchino Visconti pour Ossessione (1943) et La Terre tremble (1948), Roberto Rossellini sur Europe 51 (1952) ou dans un registre plus populaire Fabiola d’Alessandro Blaseti (1948). Sur certains de ses scripts comme La Louve de Calabre (1952) d’Alberto Lattuada, on pouvait distinguer ce qui serait la préoccupation majeure de sa filmographie à venir : la condition féminine dans l’Italie moderne. Ce thème rarement évoqué dans la production italienne d’alors - même si pas totalement absent notamment chez Dino Risi avec Boulevard de l’espérance (1953) ou Le Signe de Vénus (1953) - le distingue donc et fera la réussite d’Adua et ses compagnes (1960) La Fille de Parme (1963) ou Je la connaissais bien (1965) mettant en valeur de grandes actrices comme Simone Signoret, Catherine Spaak, Stefania Sandrelli. Tout cela brille donc déjà dans cet inaugural Du soleil dans les yeux.

Le film s’ouvre sur le départ douloureux de Celestina (Irène Galter), contrainte de quitter son village natal et ses frères pour travailler à Rome comme femme de chambre. Pour la jeune paysanne, tout dans cette nouvelle vie est source de frayeur : l’immensité de cette ville où elle se perd dès la première course à effectuer, les remontrances de son intolérante patronne et surtout la terrible solitude qui la ronge. Pietrangeli traduit formellement chacun de ces manques, perdant la frêle silhouette de Celestina dans la largeur d’une rue qu’elle traverse maladroitement, opposant l’aisance de mouvement et d’éloquence de la patronne avec son mutisme craintif et figé et enfin en opposant sa tenue de paysanne godiche et les jeunes femmes de son âge plus apprêtées qu’elle croise. L’apprentissage de Celestina se fera à travers les différentes familles qu’elle servira et surtout par son expérience des hommes. 

Chaque « employeurs » représente une tranche sociale de l’Italie d’alors et voit Celestina gagner en confiance en elle et en répondant, ce qui se répercute dans son rapport aux hommes et inversement. Paysanne apeurée de tout, elle tremble comme une feuille face aux vociférations de sa cruelle patronne représentant la nouvelle bourgeoisie snob symbolisée par l’immeuble moderne où elle vit. Cette angoisse se ressent dans le rejet des tentatives d’approche de Fernando (Gabriele Ferzetti) un séduisant plombier qui lui plaît pourtant. Le professeur à la retraite chez lequel elle officie ensuite s’avère paternel et bienveillant, mais illustre à sa manière cette vieillesse rejetée dans l’Italie pauvre et en reconstruction que montrait Vittorio De Sica dans Umberto D (1952). Là, fiancée à un très conformiste et ennuyeux policier, Celestina montrera les premiers signes d’émancipation en finissant par repousser ce prétendant à la moralité hypocrite.

Notre héroïne semble alors désormais maîtresse de ses choix professionnels et amoureux en cherchant une nouvelle place à proximité du lieu de travail de Fernando qu’elle n’a jamais cessé d’aimer. La nouvelle place représente l’aristocratie italienne encore toute puissante mais alors que les lieux en imposent bien plus par leur luxe et espace Celestina n’éprouve plus aucune crainte, désormais habile à duper ses employeurs. La quête de séduction de Fernando l’a rendue mutine et assurée, le lieu de travail n’étant plus un cadre de souffrance mais un moyen de l’attirer avec un incident de plomberie « volontaire ». Le regard et les caresses de l’être aimé surmontent tout, y compris la nouvelle perte d’une place ou encore la vindicte morale qui traverse tout le film via l’église et les différents échelons sociaux nantis rencontrés.

Antonio Pietrangeli daigne alors enfin élargir l’horizon tant physique que mental du récit. Une magnifique séquence romantique à la campagne, baignée d’une imagerie impressionniste, repousse pour un court instant tous les clivages sociaux et moraux qui oppressent Celestina. Irène Galter dont le visage au bord des larmes ou profondément mutique illustrait détresse et résignation s’illumine enfin. Le corps raide et engoncé se fait plus lascif, l’allure plus séduisante avec cette resplendissante robe d’été, en un mot plus féminine car enfin aimante. Une nouvelle fois, le parallèle pourra être fait avec l’épanouissement de sa nouvelle place chez de riches commerçants au ton rieur et populaire qui là annonce les nouveaux riches du miracle économique italien. L’ultime épreuve de Celestina sera pourtant de s’affranchir de l’autre dans une société où la quête de richesse prime sur tout. Elle en goutera l’amère expérience en filigrane tout au long du film, poursuivie ou repoussée pour son attrait pécuniaire autant que pour sa beauté. Les héritiers du vieux professeur la menacent de procès en découvrant que celui-ci envisage de lui léguer ces terres, possibilité qui semble nourrir la passion du prétendant policier. Fernando bien que sincèrement amoureux hésite ainsi avec une fiancée richissime qui le couvre de cadeau et l’associera à un commerce lucratif.

Les seules relations fiables synonymes d’amitiés s’illustrent à travers les femmes et plus précisément les ouvrières entre elles. Les exemples d’émancipation avec Marcella (Pina Bottin) qui élève son fils seule, d’entraide lorsque cette même Marcella sert de fausse référence aux futurs employeurs, de soutien moral constant, tout cela passe des figures féminines compréhensives issues du même monde. Ainsi malgré une conclusion qui pourrait paraître très sombre, Antonio Pietrangeli achève son film sur une vraie note d’espoir et montrant combien cette solidarité féminine inaltérable sera le socle des libertés futures. Un message poignant et d’une grande finesse. 

Inédit en dvd pour l'instant mais le film ressort en salle le 12 octobre, l'occasion d'une bien belle découverte

Extrait

mardi 27 septembre 2016

No Trees in the Street - Jack Lee Thomson (1959)

No Trees in the Street est un saisissant polar social signé par un Jack Lee Thompson habitué à explorer les bas-fonds durant sa remarquable première partie de carrière avec des réussite comme Yield to the Night (1956) ou Les Yeux du témoin (1959). Le film adapte la pièce de théâtre éponyme de Ted Willis (jouée en 1948) qui en signe également le scénario. Willis en plus de ses multiples talents et d'une écriture frénétique (dramaturge, scénariste et écrivain, il figure au livre Guiness des records comme un des auteurs les plus prolifiques de la télévision, auquel s'ajoute 34 pièces et 39 scénarios de films) est aussi connu pour sa profonde sensibilité de gauche qui lui vaudra d'être secrétaire de la Young Communist League puis un des membres les plus actifs du Parti Travailliste. On ne s'étonnera donc pas du propos profondément engagé de No Trees in the Street dont la noirceur prolonge des tentatives hollywoodiennes comme Primrose Path (1940) et anticipe un Affreux sales et méchants (1976) avec une même vision glauque des bas-fonds et un semblables regard désabusé et monstrueux sur la cellule familiale.

Dans le Londres d'avant-guerre, toute la fange, la misère et la criminalité semble s'être concentrée dans le quartier de Kennedy Street. Hetty (Sylvia Syms) est une jeune femme cherchant à quitter le quartier et échapper à sa condition mais qui y est enchaînée malgré elle. Son frère Tommy (Melvyn Hayes) est au bord de la délinquance tandis que sa mère (Joan Miller) la pousse dans les bras du parrain local Wilkie (Herbert Lom) fou de désir pour elle. Jack Lee Thomson dresse un portrait sordide des lieux et de ses mœurs, la caméra arpentant les ruelles crasseuse où défilent enfants en guenilles, explore les immeubles et appartements insalubres -c'est d'autant plus impressionnant que tout est filmé en studio - mais surtout la débauche de ses habitants. Entre le père aveugle et impuissant face à la dérive de sa famille, la mère oubliant ses soucis en beuverie quotidienne et le frère sur la corde raide, le tableau est saisissant.

Lorsque Tommy est entraîné par Wilkie vers un hold-up avorté, la face sombre de celui-ci se révèle et les maigres espoirs d'Hetty de le ramener dans le droit chemin. Melvyn Hayes en post adolescent chétif semble écrasé à la fois par un déterminisme social inéluctable qu'il ressent physiquement à travers la brutalité de sa mère et l'intimidation de Wilkie. La voie criminelle et particulièrement le moment où il entrera en possession d'une arme révèle son caractère faible et inconsistant à travers le sentiment de toute puissance qu'il ressent alors. Se battre pour s'en sortir semble un combat vain et inutile qu'Hetty va bientôt abandonner pour céder à la facilité. La dimension théâtrale ressurgit dans la manière dont cet appartement semble concentrer l'horizon limité des personnages que Jack Lee Thompson resserre par sa mise en scène. Lors de la scène clé où elle arrête de lutter, la voix enjôleuse et hypocrite de sa mère et les effets de l'alcool isolent Hetty (Sylvia Syms plus poignante que jamais), l'exiguïté de l'appartement devenant une prison mentale où Thompson se fige sur son visage désormais sans expression.

Ce côté étouffant se traduit également par la photographie stylisée de Gilbert Taylor dont les jeux d'ombres semblent également emprisonner les protagonistes, notamment la scène de vol nocturne. Le scénario ose des moments très dérangeants avec la démence de Tommy arme au poing et une scène de simili viol assez glaçante. Une des forces du film est de ne pas avoir de véritables méchants, c'est la spirale de la misère passée ou présente qui aura fait des personnages ce qu'ils sont. La mère indigne jouée par Joan Miller pense réellement rendre l'existence de sa famille meilleure en "vendant" sa fille, son milieu ne l'a pas accoutumée à d'autre manière de s'en sortir et le final où tout s'écroule n'en sera que plus douloureux.

Même le caïd qu'incarne Herbert Lom cède à sa passion réelle pour Hetty, qui l'empêche de commettre l'irréparable lors d'une scène clé mais amène à manipuler tous son entourage pour arriver à ses fins. Quand à Tommy c'est un faible soumis à sa frustration et malgré ses exactions la figure la plus innocente du film. Les barres d'immeuble sociaux anonymes de l'Angleterre 60's, le passage de la guerre ayant détruit la Kennedy Street qu'on aperçoit dans l'épilogue figure autant l'espoir (symbolisé par les arbres ayant enfin leur place dans le quartier en allusion au titre du film) que d'autres lendemain qui déchantent pour les démunis. Ce croisement du kitchen sink drama et du polar constitue en tout cas une vraie belle réussite méconnue.

Sorti en dvd zone 2 anglais sans sous-titres chez Network

 

lundi 26 septembre 2016

Wet woman in the wind - Kaze ni nureta onna, Akihiko Shiota (2016)

Kosuke qui a décidé de vivre en ermite au fond d’une forêt, se retrouve harcelé par Shiori, une jeune fille envahissante qui ne veut plus le quitter.

Wet Woman In The Wind s’inscrit dans le projet revival de la Nikkatsu souhaitant relancer la glorieuse collection des Roman Porno qui firent le succès du studio dans les 70’s. Cette tentative demandait cependant une vraie réinvention puisque la problématique n’est plus tout à fait la même qu’à l’époque. Les pinku eiga d’alors étaient de purs produits d’exploitation à la seule visée rentable, ce virage des studios vers l’érotisme étant à l’origine une tentative désespérée de juguler les pertes dues à la concurrence de la télévision. Les choix des réalisateurs se faisaient soit auprès de techniciens habiles ou de débutants ne rejetant pas ce matériau pour se lancer. La tenue formelle et constante, aujourd’hui stupéfiante, des films se situait en fait dans les standards techniques des studios dont les équipes étaient restées les même qu’à l’époque où se produisaient des œuvres plus « nobles ». Les réalisateurs les plus doués tels Noboru Tanaka, Masaru Konuma, Norifumi Suzuki ou Tatsumi Kumashiro surent imposer une esthétique, un propos social et des velléités féministes dans leurs œuvres tout en assurant le quota d’érotisme attendu par leurs producteurs. Ces exceptions ne doivent cependant pas faire oublier que, pour la plupart, les Roman Porno Nikkatsu comme les pinku de la Toei offraient via la sexualité une vision dégénérée de la société japonaise exacerbant le rapport dominant/dominé où le viol et les perversions avilissantes étaient la norme pour les femmes. Ces tendances demeurent d’ailleurs dans le cinéma érotique japonais contemporain plus à la marge comme le V-Cinéma.

La Nikkatsu ne semble pas dans la même démarche en ressuscitant la collection puisqu’elle a fait appel à des réalisateurs à forte personnalité tels que Sono Sion avec Antiporno, ou un vieux routier du cinéma indépendant japonais comme Akihiko Shiota pour ce Wet Woman In The Wind, tous deux ayant carte blanche tant que la contrainte érotique est respectée. Wet Woman In The Wind renverse le motif bien connu du stalker sexuel, classique de quelques Roman Porno tendancieux (Le Violeur à la rose (1977) et Harcelée de Yasuharu Hasebe (1978)) en le faisant incarner cette fois par une jeune femme. Shiori (Yuki Mamiya) poursuit ainsi de ses assiduités agressives Kosuke (Tasuku Nagaoka), un homme s’étant retiré de la civilisation pour vivre en ermite dans la forêt. L’une des raisons de cet isolement est de fuir les femmes, projet bien mal engagé au vu des assauts décomplexés de la belle Shiori. Cet aspect stalker au féminin endosse une dimension surnaturelle avec la présence quasi omnisciente de Shiori, s’immisçant dans l’intimité et le quotidien de Kosuke de manière toujours plus inattendue. La scène d’ouverture donne le ton, l’image paisible de Kosuke se reposant sur la berge d’un port étant interrompue par l’absurde lorsque Shiori surgit à vélo et s’enfonce dans la mer. L’indifférence de Kosuke face à son corps trempé et ses formes saillantes lance le schéma de harcèlement déjanté et ludique.

L’attitude de Shiori semble construite pour tourmenter les hommes et s’adapter à leurs travers. Serveuse dans un restaurant local, elle ne semble subir les assauts du patron que pour mieux le laisser démuni en jetant son dévolu sur un autre. A l’inverse, Kosuke rejetant les femmes et le sexe voit sa libido dangereusement titillée par Shiori s’introduisant dans sa cabane pour coucher avec ses amants de passage. La « pureté » de Kosuke sera mise à mal lorsqu’on en saura plus sur son passé de séducteur et, enfin prêt à posséder Shiori, il sera à son tour rejeté par celle-ci, bien décidée à mener le jeu jusqu’au bout. Le duel va se développer dans la théâtralité, en fait comme un affrontement entre le théâtre et le cinéma. Kosuke trouve un intérêt initial chez Shiori lorsque celle-ci affirme vouloir être actrice. Il peut ainsi retrouver son statut de mâle dominant à travers son ancien métier de metteur en scène, harcelant Shiori d’exercices de jeu qui la rendent plus vulnérable. La caméra de Shiota Akihiko resserre alors l’espace entre les deux personnages comme sur une scène de théâtre et tourne autour d’eux tandis que Kosuke reprend le pouvoir, physique et psychologique, en dictant ses consignes de jeu à Shiori. Fort de cet échange, Kosuke renoue progressivement avec un mépris intellectuel et machiste lorsque Shiori resurgit alors qu’il accueille une amante et partenaire de théâtre. Là encore, le réalisateur transforme la situation en faisant de son héroïne une graine de discorde dont l’agressivité sexuelle et le sens de l’improvisation font basculer l’ordre établi. 

Une répétition de théâtre maladroite prend ainsi un tour plus lascif, une fois de plus traduit par la mise en scène se faisant chaotique, l’image désaturée signifiant l’émergence d’une autre réalité. Lorsque le côté masculin et abusif du Roman Porno resurgit, ce n’est plus pour susciter l’excitation mais pour souligner les mauvais penchants de Kosuke – quand il abuse de la jeune secrétaire de la troupe de théâtre puis la rejette. Shiori, par son attitude, souligne une forme de supériorité féminine, supplantant Kosuke en tant qu’amante et en exposant l’hypocrisie de sa retraite chaste. Le mélange d’arrogance et de frénésie sexuelle de Shiori sont superbement soulignées par la prestation incandescente de Yuki Mamiya. Lors de l’ultime et très intense coït, les murs de la cabane s’effondrent sous les étreintes des amants. Une manière de faire tomber le machisme pour célébrer une héroïne dominatrice et sûre de son désir, ou faire basculer l’univers du théâtre vers celui du cinéma en étendant la « scène » vers un monde plus libre. Un monde où l’homme est désormais sans repères, à l’image de la conclusion cinglante faisant le triomphe de Shiori.

Projeté récemment à L'étrange festival, encore inédit en France

vendredi 23 septembre 2016

Akenfield - Peter Hall (1974)

Akenfield est une œuvre culte du cinéma anglais dont il constitue la plus marquante évocation filmée de la tradition rurale locale. A l'origine on trouve le livre à succès de Ronald Blythe paru en 1969. Blythe originaire du comté du Suffolk va recueillir une série d'anecdotes sur l'histoire de la région et ses habitants qu'il va transposer dans Akenfield, entre description rigoureuse et tonalité bucolique et nostalgique. Peter Hall également issu du Suffolk est fasciné par le livre à sa sortie et mettra près de quatre ans à réunir le financement pour une adaptation. Surtout artiste de théâtre (sa filmographie se limite à 6 films et quelques productions télévisées contre une centaine de production théâtrale notamment via la Royal Shakespeare Company ou la Peter Hall Company), Hall aborde le film dans un esprit documentaire avec pour casting des non-professionnels auxquels il laisse une grande part d'improvisation et une inspiration entre Robert Bresson et L'Homme d'Aran (1934) de Robert Flaherty.

L'histoire se situe au carrefour des époques dans ce village d'Akenfield. Tom Rouse (Garrow Shand), modeste ouvrier agricole s'apprête en ce jour à enterrer son grand-père et homonyme. La voix-off du défunt (Peter Tuddenham) accompagne les premières images pastorales de la campagne d'Akenfield et, par son expression vieillotte laisse à croire que nous voyons un film d'époque. La narration est plus complexe que cela puisque cette voix-off ponctuera parfois des séquences contemporaines ou alors des temps plus anciens de la région. Cette approche se fait en réaction des hésitations du jeune Tom Rouse, qui a vécu toute sa vie à Akenfield et souhaite s'ouvrir à d'autres horizons. Tout respire un avenir sans issue et une vie terne pour lui mais qui n'est rien comparé au labeur d'antan où le paysan était soumis au propriétaire terrien et devait littéralement se tuer au travail pour nourrir sa famille.

La voix du vieux Tom Rouse tout comme l'imagerie grisâtre et sinistre du passé viennent nous le rappeler, la seule vision d'ailleurs du patriarche ayant été son engagement (volontaire dans le but d'échapper à sa condition) lors de la Première Guerre Mondiale. Peter Hall use du montage pour situer l'écart de vie des époques à tout point de vue. Une classe unique et clairsemée d'enfant de paysan s'oppose ainsi à une école maternelle contemporaine bondée et animée. Un champ ensoleillé et verdoyant du présent reprend sa nature de terre boueuse qu'il faut se briser le dos à travailler sous une température glaciale. Pourtant la nostalgie de la voix-off se souvient avec bienveillance de ces temps difficiles alors que Tom Rouse traverse avec indifférence le confort de la vie rurale moderne où les tracteurs et autres machines agricoles adoucissent la tâche.

Peter Hall ne célèbre pas le passé au détriment du présent et inversement, mais dresse objectivement les limites de chacun - tous cela associé à de belles idées formelles comme Tom observant à l'horizon la silhouette de son grand-père revenant au pays en guenilles après la guerre 14-18. On partage ainsi la frustration de Tom face à la pression sociale qui le pousse à rester alors qu'il aspire à migrer vers l'Australie. Cette peur de l'ailleurs souvent associée à l'insularité britannique est contrebalancée par des visions de fraternité qui explique pourquoi Akenfield semble si dur à quitter. La scène de vendange et la harangue des propriétaires qui suit déploient une envoutante scène de communion magnifiquement filmée par Peter Hall. L'intime aussi revêt cette tonalité à double tranchant, la scène d'enterrement et la mémoire des anciens se mêlant à l'insistance de la mère et de la fiancée de Tom quand elles découvrent ses envies d'ailleurs.

Une source de discorde là aussi pas neuve, les flashbacks montrant le vieux Tom Rouse à l'inverse pressé de quitter la région par sa femme lasse de cette vie de misère. Formellement le réalisateur oscille entre sécheresse documentaire (tant dans le langage que le détail des travaux fermiers) et un lyrisme envoutant. La photo d'Ivan Strasberg baigne l'ensemble dans une lumière naturelle où l'on sent les heures de longues attentes de l'éclairage idéal. La poésie peut superbement s'inviter comme lors de la scène de cérémonie d'enterrement où en un panoramique, on passe d'une époque à l'autre, les voix devenant masculines et les convives laissant place aux jeunes soldats avant le départ pour la Première Guerre Mondiale.

L'enterrement présent et la messe du passé se renvoient une même aura morbide, puisque comme nous le rappelle la voix-off il y eut bien peu de rescapés sur les nombreux mobilisés de la région. La civilisation semble être l'indicible source de déclin de cette existence puisque la Deuxième Guerre Mondiale décimera encore un peu plus la jeunesse d'Akenfield, là encore la rencontre romantique des parents de Tom Rouse (joué par le même Garrow Shand dans toutes les époques) en plein blackout ayant son retour de bâton mortifère. Le ton austère demande certes un temps d'immersion mais envoute de bout en bout, notamment grâce à la magnifique musique de Michael Tippett (remplaçant un Benjamin Britten malade, lui aussi originaire du Suffolk) dont le Fantasia Concertante on a Theme of Corelli ajoute encore à l'émotion de l'ensemble. La magnifique conclusion célèbre magnifique les espérances du départ comme l'apaisement du retour, le souvenir d'Akenfield restant indélébile quel que soit le choix final.

Sorti en dvd zone 2 anglais et Bluray sous-titré anglais 

jeudi 22 septembre 2016

Quelque part dans la nuit - Somewhere in the Night, Joseph L. Mankiewicz (1946)

George Taylor (John Hodiak), soldat de la Seconde Guerre mondiale est de retour chez lui après avoir été blessé au combat. Il souffre d'amnésie et part à la recherche de sa véritable identité qu'il a oubliée. Pour cela, il suit la piste laissée derrière lui par un certain Larry Cravat dont le nom ne lui dit rien, et essaye de déchiffrer une lettre haineuse qu'il a écrit à une femme, morte entre-temps. Ce sont là les seuls repères sur son passé.

Somewhere in the night est le second film d'un Joseph L. Mankiewicz qui signera sa première vraie oeuvre personnelle avec Chaînes Conjugales (1949) et qui en attendant se forme dans des genres éloignés de ses préoccupations : le mélodrame gothique du Château du Dragon (1946), la romance surnaturelle de L'Aventure de Madame Muir (1947) et donc ici le film noir. Mankiewicz parvient néanmoins dans son script à lier le film à ses thèmes de prédilection. Il est souvent question chez le réalisateur de résoudre un mystère, de percer à jour un personnage et tout simplement de saisir une vérité au bout de l'intrigue. On s'interroge sur l'adultère possible de Chaînes Conjugales, sur les circonstances de l'ascension de Eve Harrington dans All About Eve (1950) ou encore des raisons de la disparition de Maria Vargas sur La Comtesse aux pieds nus (1954). Il s'agira ici de remonter le passé de George Taylor (John Hodiak), vétéran de la Seconde Guerre Mondiale qui se réveille blessé et amnésique. Seuls indices sur celui qu'il fut, la lettre pleine d'amertume d'un femme et celle d'un ami nommé Larry Cravat qui lui lègue 5000 dollars. En cherchant à retrouver Cravat, notre héros va attirer des individus peu recommandables.

Mankiewicz déroule une intrigue tortueuse, volontairement semée de transition étranges et incohérentes (on pense à celle amenant George Taylor auprès d'un mystérieux voyant) retranscrivant la confusion d'esprit de Taylor. John Hodiak est excellent dans l'interprétation de ce héros vulnérable et terrifié par le monde qui l'entoure, tressaillant au moindre claquement de porte, entre espoir et angoisse face à chaque nouvel interlocuteur. L'atmosphère majoritairement nocturne accentue ce sentiment d'inquiétude, faisant de Taylor un enfant apeuré dans un monde de ténèbres. Le goût du dialogue de Mankiewicz est cependant parfois un obstacle ici, le récit traînant un peu en longueur quand par moment une approche plus fontale aurait probablement été judicieuse - même si certains interludes dégagent une émotion inattendue telle cette rencontre avec une vieille fille renvoyant Taylor à sa solitude.

Tout ce qui concerne la romance avec Nancy Guild est un peu poussif et comme artificiellement ajouté à l'intrigue. Tout cela est rattrapé par l'élégance de la mise en scène de Mankiewicz qui déploie quelques superbes moments de suspense, baignés d'une déroutante bizarrerie (la rencontre dans le sanatorium) ou jouant remarquablement de son décor avec une oppressante séquence dans les docks. Cette maîtrise suffit à captiver malgré un twist qu'on peut voir venir mais le réalisateur fera bien mieux dans des registres voisins avec L'Affaire Cicéron (1952) ou encore Soudain l'été dernier (1959).

Sorti en dvd zone 2 français et bluray chez Rimini 

mardi 20 septembre 2016

Une renaissance américaine - Michel Ciment

Dans le cadre de ses activités au sein de la revue Positif et de son émission de radio Projection Privée – meilleure émission de radio sur le cinéma assez injustement supprimée récemment de la grille de France Culture -, Michel Ciment fut un observateur attentif du renouvellement du paysage cinématographique américain. Ce panorama s’étend sur une période plus large que celle des seules années 70 et désormais mythifiée sous le titre « Nouvel Hollywood ». Il en voit les prémisses à travers un système studio à bout de souffle à la fin des années 60 d’où émergent des personnalités diverses, entre les démiurges iconoclastes comme Stanley Kubrick ou d’autres s’étant fait la main à la télévision avant de s’attaquer au grand écran comme Robert Altman ou Sydney Pollack. Viendrait ensuite la génération du Nouvel Hollywood là aussi très variées même si rassemblées par une cinéphilie marquées et sous influence du cinéma européen, en particulier la Nouvelle Vague française : Martin Scorsese, Francis Ford Coppola, Paul Schrader, George Lucas, Steven Spielberg, Michael Cimino... Les soubresauts politiques de l’Amérique auront également générées plus tard quelques passionnantes personnalités engagées et enragées telles qu’Oliver Stone ou Spike Lee. Les années 80 voient émerger des créateurs d’univers aussi singuliers que Tim Burton ou David Lynch tandis que la fin de décennie via le cinéma indépendant signe l’avènement d’une nouvelle race de cinéastes cinéphiles se jouant des codes à coup de situations décalées, débordements de violence et narration déroutantes avec les frères Coen, Quentin Tarantino ou Steven Soderbergh - dont l’adoubement est marqué par une Palme d’Or Cannoise pour tous. Un certain classicisme et romantisme typiquement américain renaît avec des artistes comme James Gray ou Jeff Nichols. D’autres traversent les décennies avec une production métronomique, prolifique et à la qualité constante tels Clint Eastwood ou Woody Allen.

Toutes ces personnalités et bien d’autres sont réunies dans cet ouvrage regroupant 30 entretiens accordés à Michel Ciment dans Positif. Le choix est fait pour la plupart de prendre une interview réalisée à l’aube de leurs carrière, avec un discours encore spontané et pas formaté. La profonde connaissance de la culture américaine l’érudition en art et tout simplement la curiosité de Michel Ciment sert à tirer les réponses les plus approfondies et sincère de la part de ses différents interlocuteurs. On notera parmi les plus passionnants l’échange avec George Lucas (qui coupe court avec certains clichés véhiculés par la communauté geek comme quoi Star Wars aurait été snobé par la critique française sérieuse à sa sortie puisqu’en plus du long entretien le film fit la couverture de Positif) à postériori fascinante puisqu’en plus de se livrer comme rarement sur son enfance et ses aspirations il semble ne voir Star Wars que comme une parenthèse populaire avant de revenir à un cinéma expérimental qui a sa préférence. Paul Schrader, cinéphile et critique avant d’être cinéaste s’avère captivant dans sa lucidité sur ses capacités d’alors (assumant le choix opportuniste se lancer avec un Blue Collar (1978) loin de ses thématiques futures) et son regard sur l’état du cinéma américain (ne fustigeant pas comme nombre de ses collègues l’avènement des machines de Lucas et Spielberg à la fin des 70’s mais y voyant un renouvellement bienvenu après une décennie de cinéma sérieux et social). Francis Ford Coppola interrogé à l’occasion de Coup de cœur (1982), entre mégalomanie, introspection et passion sincère est visionnaire dans sa perspective technologique du futur du cinéma - même s’il n’en profitera guère - tout en dépeignant un retour à l’épure et la sophistication européenne à venir avec le diptyque Outsiders/Rusty James qu’il prépare alors. 

L’énergie de Martin Scorsese est contagieuse et ses anecdotes hautes en couleur sur le tournage grandement improvisé de New York, New York (1977) tout en laissant transparaître sa passion pour le rock quand il évoque le concert filmé The Last Waltz (1978). Vu pour l’inaugural Reservoir Dogs (1992), le tout jeune Quentin Tarantino fait déjà preuve de ce débit mitraillette, d’un discours chargé de référence (où il évoque déjà l’influence de The Thing (1982) bien avant Les Huit Salopards (2016)) et d’une assurance confirmée par les réussites suivante. A l’inverse l’attitude humble et habitée d’un James Gray interrogé pour le fabuleux The Yards offre un échange captivant sur sa méthode de travail marqué par une vision baigné de sa vaste palette artistique puisqu’on apprend qu’il peint toutes ses scènes en amont. Le pragmatisme de Clint Eastwood parlant du méconnu Chasseur blanc, cœur noir (1990) impressionne, tout comme le jeu de dupes de Stanley Kubrick sur Full Metal Jacket que Ciment amène à se livrer malgré lui – au point de modifier certaines réponses quand l’entretien sera repris dans l’ouvrage que lui consacre Michel Ciment, mais c’est bien l’échange initial intégral que nous avons ici. L’étonnante autocritique de Sydney Pollack salue également une personnalité attachante et douée, et on appréciera les entrevues avec des cinéastes plus rares et oubliés comme James Toback ou Barbara Loden ainsi que la défense de Robert Zemeckis parent pauvre de la critique française. Bref un ouvrage prenant de bout en bout où l’on savoure le talent de Michel Ciment à mettre en confiance et pousser les cinéastes vers des réponses plus sincères et creusées. 

Paru au Nouveau Monde Editions

lundi 19 septembre 2016

Stardust Memories - Woody Allen (1980)

Cinéaste reconnu et admiré, Sandy Bates traverse une véritable crise existentielle. Lassé de n'être considéré que pour son humour, il ne supporte plus les exigences de ses admiratrices et les critiques de l'intelligentsia new-yorkaise. Il profite d'un festival organisant une rétrospective de son œuvre pour faire le point sur sa vie de créateur et ses relations amoureuses.

Woody Allen signe une de ses œuvres les plus personnelles et complexes avec Stardust Memories. Bien qu’il s’en soit largement défendu, les questionnements du film correspondent grandement à ceux qu’on imagine ayant agité l’artiste lors de sa mue à partir de Annie Hall (1977) où il passa d’amuseur potache à peintre angoissé des tourments amoureux et existentiels. Ce besoin de dépasser le simple statut de comique se ressentirait avec plus de force encore avec Intérieurs (1978), drame pesant, psychanalytique et première manifestation de sa veine Bergmanienne. Cette possible schizophrénie entre sa facette comique et ses aspirations plus vaste, Woody Allen l’exprime donc à travers son héros Sandy Bates qui traverse cette crise.

Sandy s’oppose à ces producteurs quant à la finalité de son prochain film, sa nature intellectuelle et complexe ne répondant pas à leurs attentes de grosse comédie. Woody Allen semble s’inspirer du Fellini de Huit et demi (1963) avec une image en noir et blanc ainsi qu’une narration flottante, voguant entre les souvenirs, extraits de films et rêveries de Sandy. Le début du film est déroutant avant que l’on adopte le dispositif, chaque bascule constituant une atmosphère et un genre en soi. La réalité semble d’abord plus clinique et dépouillée à travers l’appartement tout de blanc et espacé de Sandy, reflétant son vide émotionnel et créatif. Lorsque notre héros se rend à un festival lui rendant hommage, le maelstrom d’image se fait encore plus confus. 

On adopte notamment le point de vue de Sandy et ainsi les affres de la célébrité où l’environnement est une agression permanente. Même si Allen tire cela vers l’humour grotesque, les nuées de visages harcelant en permanence Sandy pour les sollicitations les plus diverses, farfelues ou intéressées ajoutent à l’angoisse du personnage. Le réalisateur alterne les idées visuelles et narratives pour exprimer ce sentiment : vue subjective en légère contre-plongée traduisant une certaine claustrophobie, à l’inverse Sandy seul à l’image avec un cadre constamment envahit par la silhouette d’un admirateur sollicitant un autographe et globalement une sensation de solitude impossible où chaque regard, traversée de décor et tentative de discussion « normale » se voit altérée par une notoriété indélébile.

La fuite dans le rêve n’est pas une échappatoire mais un rappel des névroses diverses qui agitent Sandy. Woody Allen cède à l’absurde psychanalytique en explorant l’imaginaire de Sandy dans les extraits de ses films, comme celui mémorable où sa haine devenue autonome s’échappe de son subconscient pour décimer son entourage. L’ombre de Fellini plane à nouveau dans la théâtralité grotesque de certains personnages filmés en gros plans agressif et inquiétants, dans le refuge vers l’enfance à travers certaines séquences de music-hall où Sandy se remémore son attrait pour les spectacles de magie. Ce n’est pas la première fois que Woody Allen use d’artifices visuels détonants pour traduire les états d’âmes de ses personnages (se souvenir entre autre de la séquence en dessin animé de Annie Hall) mais il finissait toujours par nous ramener au réel.

Cette fois la confusion est permanente, l’anxiété se traduisant de façon toujours différente quel que soit le degré de réalité et de perception. La famille, les amis et les rencontres de Sandy rivalisent d’excentricités, symboles de sa perte de pied avec le réel à la fois concrète et délirante. La photo de Gordon Willis baigne l’ensemble dans un onirisme oppressant autant, dans les jeux d’ombres stylisés que la pâleur immaculée et maladive. Sandy n’est plus maître de rien et vogue au gré des évènements et des méandres tortueux de son esprit où tout est possible, y compris une rencontre désopilante avec des extraterrestres.

Le fil rouge de ce maelstrom de lieux, de pensées et divagation se révèlera cependant à travers les amours contrariées de Sandy. Il n’a jamais vraiment oublié la romance avortée avec la jeune, élégante et si torturée Dorrie (Charlotte Rampling) dont le mal de vivre empêchera toute relation durable. D’un autre côté la stabilité possible avec son amante Isobel (Marie-Christine Barrault) qui a quitté son époux annonce une vie de famille effrayante pour cet éternel immature. Mal dans son corps et sa tête, Dorrie est d’une inconsistance usante mais d’un charme vénéneux dans cette dimension tragique, Isobel par sa normalité apaisante tranquillise mais ôte toute flamme au quotidien en plus d’exiger de nouvelles responsabilités avec ses enfants. 

Ce triangle amoureux entre l’amante mature et complice et la plus jeune et fougueuse était déjà présent dans Manhattan (1979) et cette hésitation se retrouvera par la suite de manière plus poétique dans l'insatisfaction du héros de Minuit à Paris (2011). La très vulnérable et charmante Daisy (Jessica Harper) appelle à ce goût des amours complexes et Woody Allen orchestre de charmantes scènes intimiste avec elle, les seules où le tumulte s’arrête pour un partage de névroses communes touchant. Le réalisateur ne se montre jamais manichéen dans sa vision de ces trois romances, celle passée douloureuse mais si intense avec Dorrie, présente et compréhensive pour Isobel, possible future et aussi chargée de promesses que de heurts avec Daisy.

L’accomplissement artistique ne pourra se faire qu’avec l’équilibre du cœur semble-nous dire Woody Allen - l'homme étant autant interrogé que l'artiste, ce ne sont pas comme il le dit les souffrances du monde mais bien les siennes qui empêche Sandy de refaire des comédies -, une conclusion astucieuse résolvant l’ensemble tout en créant la distance nécessaire par une belle mise en abyme. Un des meilleurs films du réalisateur même s’il sera incompris à sa sortie – sans doute à cause du rapprochement personnel inévitable que l’on fera de la trame.

Sorti en dvd zone 2 français chez MGM 

dimanche 18 septembre 2016

Les Quatre Plumes blanches - Storm over the Nile, Terence Young et Zoltan Korda (1955)

À la veille de son expédition punitive au Soudan, le lieutenant Harry remet sa démission. Ses amis l'accusant de lâcheté, Harry prouve le contraire en leur sauvant la vie...

Storm Over the Nile est la cinquième adaptation littéraire du roman d’A.E.W. Mason, mais surtout la seconde produite par Alexander Korda après le classique Four Feathers sorti en 1939. Une parenté dont le film a bien du mal à se détacher avec une construction et mise en scène frôlant le plan par plan avec « l’original » par instants, d’autant que c’est à nouveau Zoltan Korda à la mise en scène, épaulé par Terence Young. Le contexte de production des deux œuvres est pourtant fort différent. En 1939 au sein d’une Europe sous tension et sur le point d’entrer dans la Deuxième Guerre Mondiale, Alexander Korda célébrait l’humanité et le courage ancestral de l’armée britannique prête à répondre à une menace plus contemporaine. Le film de 1955 arrive après l’expérience de ce vrai conflit, nourrit des souffrances de la population et des soldats anglais. Cette différence malgré le déroulé strictement identique apporte donc certaines nuances bienvenues.

La lâcheté du héros Harry Faversham (Anthony Steel), nourrie dès l’enfance par les récits sanglants de son père et ses amis se ressentent ainsi au-delà des seules frayeurs du personnage. Le passé militaire glorieux de sa famille et l’obligation de s’y conformer relève plus de l’étiquette à respecter que d’une volonté individuelle, écrasant Harry d’un héroïsme qu’il ne peut assumer. C’est dans cette approche que Zoltan Korda et Terence Young parviennent à trouver une réelle identité au film tout en en reprenant l’imagerie. En 1939, seule la peur du front s’exprimait dans l’ouverture enfantine où la silhouette d’Harry était écrasée par la grandeur légendaire de ses ancêtres en scrutant un tableau d’un cavalier à la posture glorieuse durant la bataille de Crimée. Young et Korda procède différemment en rejouant ce traumatisme, l’ombre se propageant au fil d’un travelling dans l’allée des tableaux des différents « héros » Faversham, associant non seulement leur image à la terreur d’Harry mais tout simplement à la mort. 

Toute la mise en scène tend à détacher Harry de ce monde militaire, même lorsqu’adulte il l’aura intégré. La composition de plan lorsqu’il mène le cortège place non seulement ses camarades en arrière-plan, mais lui fait également garder sa casaque la mine taciturne quand les autres l’enlèves et se réjouissent à l’annonce de leur mobilisation au Soudan. Anthony Steel, sous un faux air de fadeur dissimule une angoisse sourde dans le regard – et non feinte au vu de la vie personnelle tumultueuse de l’acteur.  Le malaise se ressent donc autant si ce n’est plus que dans l’original pour la déchéance du héros, renié par amis et fiancée (Mary Ure) pour avoir osé avoir exprimé une individualité et humanité par l’expression d’une peur légitime. 

Après cette approche assez fine, le film perd malheureusement son intérêt peu à peu par un mimétisme strict avec l’original. Pour le spectateur ne connaissant pas le classique de 1939, le film porté par son rythme poussif ne se détache guère des films de guerre exotique des années 50. Et si l’on connaît le premier film c’est encore plus pénible puisque Alexander Korda recycle des rushes entiers de celui-ci (scènes coupées comme vrais moments du film) gonflés au nouveau format roi du grand spectacle qu’est le Cinémascope, la rupture se ressentant largement à l’image même si le tournage s’est aussi déroulé en partie au Soudan. Seul point tout aussi réussi mais trouvant une approche différente dans les deux œuvres, le destin tragique de John Durance (Ralph Richardson dans l’original, Laurence Harvey ici). 

Korda poussait la dévotion à l’uniforme jusqu’à la folie avec un soldat allant au combat en dissimulant qu’il avait perdu la vue. La rivalité amoureuse entre en compte ici porté par une merveilleuse interprétation de Laurence Harvey, d’autant plus brisé d’avoir été snobé pour un lâche avant un final résigné où il comprend son erreur. La douleur du personnage perd de sa facette pathétique car n’étant pas dû à un sens de l’honneur maladif (un des rares aspects qui égratignait l’amour de l’uniforme dans l’original) mais d’une passion reniée plus aisément compréhensible. Bref un remake pas inintéressant mais trop proche de son prédécesseur (le style heurté de Terence Young se laisse à peine entrevoir) pour convaincre. 

Sorti en dvd zone 2 français chez Elephant Films tout comme l'original