Duke (Corey Allen) et
Boots (Warren Oates) sont deux petites frappes californiennes désœuvrées. Quand
Duke apprend que Boots, pourtant adulte, est encore vierge, il entreprend de
trouver lui-même une partenaire à son ami. Pour ce faire, ils suivent jusqu’à
chez elle, en prenant en otage un automobiliste, Anne (Kate Manx), une jeune
femme des quartiers aisés vivant dans les collines. Son mari vaquant à ses
affaires, celle-ci est seule dans sa propriété l’essentiel de la journée. Ils
l’espionnent dans son jardin et sa piscine, en s’installant dans la maison
voisine, vide à ce moment.
Propriété privée
est une production indépendante qui préfigure le ton et les méthodes du Nouvel
Hollywood. C’est une œuvre tourné vers l’avenir également par son casting
(Warren Oates amené être un acteur
emblématique du Nouvel Hollywood) tout en ayant un pied dans la décennie
précédente questionnant l’American Way of
Life, thème au cœur de nombreux films des années 50. La frustration
sexuelle, le matérialisme ou encore le carriérisme sont abordés dans des films
de studio passionnant comme Derrière le miroir de Nicolas Ray (1956), L’Homme au complet gris de Nunally Johnson (1956) ou encore Les Liaisons secrètes de Richard Quine (1960) – sans parler des
mélodrames de Douglas Sirk.
Propriété interdite
reprend ses motifs mais avec une once de malaise et provocation supplémentaire.
L’American way of life laisse les
protagonistes du film démunis pour des raisons différentes. Anne (Kate Manx)
est une femme au foyer vivant dans le luxe des quartiers aisés californien. Ce
confort matériel se paie au prix d’une solitude et frustration sexuelle auprès
d’un époux absent et uniquement préoccupé par ses affaires. Elle est la proie
de Duke (Corey Allen) et Boots (Warren Oates), deux petites frappes souffrant
elles de ce désœuvrement matériel, mais également sentimental et sexuel. Quand
mal-être des riches se ressent par une dépression latente et contenue, les
démunis résolvent le leur par procuration, puis par une manipulation et
séduction sournoise. L’objectif est trivial (Duke souhaitant dépuceler Boots
avec cette bourgeoise frustrée) mais cette possession sexuelle est finalement
une manière de s’approprier ce rêve américain inaccessible. La fenêtre de la
maison voisine par lequel Duke et Boots épient Anne fait ainsi office d’écran
de télévision déployant le fantasme publicitaire que constitue cette demeure
par son apparat (piscine, baie vitrée, jardin luxuriant) et sa sensuelle
maîtresse de maison.
Dès le début ce mélange de rêve et de cauchemar se ressent
dans l’approche de Leslie Stevens, la photo ouatée se croisant à un
expressionisme lorgnant sur Orson Welles (dont Leslie Stevens fut l’assistant).
Stevens oscille aussi entre deux époques par son traitement du voyeurisme, le simple malaise hitchcockien (cité au détour d'un dialogue) se conjuguant à une perversité plus vulgaire la De Palma lorsque la caméra s'attarde plus que de raison sur la plastique voluptueuse de Kate Manx. L’ambiguïté passe par la caractérisation des personnages, le menaçant Duke
semblant se prendre au jeu du personnage qu’il s’est inventé et inconsciemment
vraiment tomber amoureux d’Anne. Cette dernière, entre désir refoulé et
culpabilité de la nantie envers ce pauvre bougre, sème également le doute quant
à ses attentes.
Néanmoins elle est manipulée par un individu sachant jouer de
son dépit, quand Duke s’avère un véritable prédateur. Au final le dénuement du
duo est aussi une incapacité à aimer sentimentalement (Duke dont le revirement
trahit une haine pathologique des femmes) et physiquement (par impuissance ou
homosexualité refoulée, Boots sera incapable d’agresser Anne), l’inégalité étant
avant tout morale. Ils incarnent une épreuve destiné à ressouder le couple mais
aussi une manière ambiguë d’éliminer le souvenir des désirs immoraux d’Anne
(remarquable Kate Manx, épouse de Leslie Stevens à la ville et qui trouve là
son seul rôle au cinéma) qui a raviver l’attention de son mari envers elle.
Sorti en bluray et dvd zone 2 français chez Carlotta