Dévoreur de pellicule monomaniaque, ce blog servira à commenter pour ceux que cela intéresse tout mes visionnages de classiques, coup de coeur et curiosités. Je vais tenter le défi de la chronique journalière histoire de justifier le titre du blog donc chaque jour nouveau film et nouveau topo plus ou moins long selon l'inspiration. Bonne lecture et plein de découvertes j'espère! Vous pouvez me contacter à justinkwedi@gmail.com, sur twitter et instagram

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vendredi 30 septembre 2011

Il était une fois dans l'Ouest - C'era una volta il West, Sergio Leone (1968)


Alors qu'il prépare une fête pour sa femme, Bet McBain est tué avec ses trois enfants. Jill McBain hérite alors des terres de son mari, terres que convoite Morton, le commanditaire du crime...

Triomphe public et critique, Le Bon, la Brute et le Truand fut un accomplissement artistique total pour Leone qui y voyait là son dernier western. Son projet suivant devait être l’adaptation du roman The Hoods de Harry Grey, qui donnera beaucoup plus tard Il était une fois en Amérique. Enlisé dans des problèmes de droit, le film ne se fait finalement pas dans l’immédiat et suite à une offre mirobolante de la Paramount (la trilogie des dollars sortie quasi simultanément aux USA venait d’y faire un carton), il cède finalement pour réaliser un ultime western... Celui-ci sera pourtant bien différent de la trilogie des dollars. Leone a cette fois carte blanche pour donner la forme qu’il souhaite à son chant du cygne au genre qu’il contribua à créer.

Avec Il était une fois dans l’Ouest, Leone souhaite bouleverser les certitudes et habitudes acquises avec ses précédents western et ce, dès l’écriture. Le script final sera peaufiné avec son collaborateur habituel Sergio Donati mais la mise en place du cadre, récit et personnages se fera avec les inexpérimentés Dario Argento (encore critique cinéma) et Bernardo Bertolucci responsable de quelques films d’auteurs encore confidentiels. Ensemble, ils vont sciemment éliminer tous les aspects les plus ludiques de la trilogie des dollars pour bâtir quelque chose de nouveau et d’inédit.

Le ton s’était fait de plus en plus épique et grandiose au fil des œuvres précédentes pour arriver au souffle picaresque du Bon, la Brute et le Truand. Ici, le récit tournera autour d’un simple conflit de terrain et de vengeance totalement transcendé par la maestria narrative de Leone, qui donne des proportions grandioses à cette trame basique. Les héros leoniens brillaient par leur verve truculente, ordurière et imagée. Cette fois, ils seront bien plus secs et mystérieux, à l’image d’un casting étonnant.

Le pourtant peu disert Clint Eastwood semble bien bavard à côté du taciturne Charles Bronson, dont le moindre froncement de sourcil laisse deviner le bouillonnement intérieur sous son visage minéral et impassible. Le contre emploi est de mise pour Henry Fonda qui brise son image de bonté en campant l’immonde Frank, tueur impitoyable. Leone se délectera à dévoiler son visage et ses grands yeux bleus dans un saisissant panoramique après le massacre de la famille McBain, désignant au public le « bon » Henry Fonda comme l’auteur du crime ignoble. Quant à Jason Robards, il délaisse les rôles d’intellectuels qui l’ont fait connaître pour le rôle du bandit au grand cœur Cheyenne.


Pour une poignée de dollars, remake officieux du Yojimbo de Kurosawa, avait dévoilé l’attrait de Leone pour le cinéma japonais. Le fétichisme de ses personnages pour leurs armes, véritable extension d’eux-mêmes, renvoyait également au rapport des samouraïs à leur sabre. C’est dans Il était une fois dans l’Ouest que se manifeste le plus cette influence nippone à travers un rythme lent savamment calculé, la gestuelle hiératique des personnages ou encore le jeu sur les bruits et les silences.

On pense évidemment à la cultissime scène d’ouverture, où les trois tueurs attendent Bronson dans l’enceinte de la gare. D’autres séquences, plus subtiles sont pourtant tout aussi frappantes. La bande-son inondée par le chant des cigales se faisant soudainement silencieuse lors des préparatifs à la ferme McBain est un avertissement lourd de danger sur leur fin prochaine.

Plus intéressant encore, la scène où Cheyenne vient menacer Claudia Cardinale chez elle. Après un long échange tout en sous-entendus, celle-ci exaspérée, oublie sa peur pour violemment invectiver le Cheyenne. Peu habitué à ce genre de répondant, le bandit tombe instantanément amoureux, et c’est son regard ahuri en plan fixe ainsi que la ligne musicale qui lui est dédiée qui nous le signale.

Le western spaghetti fut souvent accusé par les détracteurs de souiller l’esprit de son pendant américain. Ce n’est pas totalement faux même si ces outrages se firent souvent pour le meilleur, mais ce fait ne peut être reproché à Sergio Leone. Sous l’extravagance des situations et des personnages, le réalisateur fit souvent preuve de bien plus de réalisme que le western hollywoodien, notamment dans la rigueur historique sur les armes utilisées. L’hommage au film noir et de gangster viendra plus tard avec Il était une fois en Amérique, mais c’est avec Il était une fois dans l’Ouest qu’il se sentira une première fois investi du devoir de dépeindre ses Etats-Unis, fantasmés par le prisme de ce qu’il connaît le mieux : le cinéma.

Les hommages discrets à John Ford sont légion. Lors de l’ouverture à la gare, les trois tueurs arborent de longs manteaux cache-poussière faisant écho à la tenue du méchant Lee Marvin dans L’Homme qui tua Liberty Valence. Lors de cette même scène, Leone use plusieurs fois des plans « en portail » typiques de Ford, où la silhouette d’un personnage se dessine dans l’embrasure d'une porte, laissant découvrir indistinctement le vaste paysage extérieur. L'utilisation la plus connue de cette figure est bien évidemment la conclusion de La Prisonnière du désert montrant un John Wayne s’éloignant lentement au loin depuis l’intérieur de la maison.

La présence de l’acteur noir Woody Strode parmi les trois tueurs n’a également rien d’innocent, puisqu’il est un des acteurs fétiches de John Ford qui lui accorda le premier rôle dans Le Sergent noir. Leone dérogera également le temps d’une scène au cadre de tournage habituel du western spaghetti en quittant le désert espagnol d’Almeria pour filmer l’emblématique décor de Monument Valley (théâtre de tant de grands westerns américains) lors du périple de Claudia Cardinale à la ferme des McBain.

Partant de cette base référentielle marquée, Leone dépeint subtilement un Ouest en pleine mutation. Le nœud de l’intrigue tourne autour des changements amenés par l’arrivée du chemin de fer et donc de la civilisation dans ces contrées sauvages. En arrière plan, c'est une Amérique désormais cosmopolite qui se dessine avec les multiplicités ethniques entraperçues ici avec les travailleurs chinois. La grande révolution, c'est bien évidemment l’arrivée d’un personnage féminin dans l’univers jusque-là très machiste de Leone.

Claudia Cardinale (dans un de ses plus beaux rôles), ancienne prostituée amenée à fonder une ville où passera le chemin de fer, représente symboliquement une figure matriarcale. C’est en son sein que s’abreuvera désormais ce nouveau pays, plus droit, plus régenté et humain, où les figures hors-la-loi et indomptées sont condamnées à disparaître. S'étant déjà fait conteur de l'Histoire américaine avec les bounty Killer de Et pour quelque dollars de plus et en donnant sa vision de la Guerre de Sécession dans Le Bon, la Brute et le Truand, Leone donne cette fois plus de portée et de profondeur à sa pensée en éliminant le superficiel.

Toutes les intentions précédemment citées trouvent leur accomplissement dans la chorégraphie musicale et visuelle souhaitée par Leone. L'ensemble des personnages masculins sont des archétypes du western voués à disparaître avec le pays changeant. Leone associe son adieu au genre à la disparition de ses figures de base du paysage de l’Ouest. Harmonica n’est qu’une réminiscence plus sombre de Shane, L’Homme des vallées perdues (George Stevens, 1952) qui inventa littéralement ce mythe du pistolero mystérieux venu de nulle part, amené à aider la veuve et l’orphelin (auquel Eastwood rendra hommage aussi dans L’Homme des hautes plaines et Pale Rider).

Frank renvoie au tueur impitoyable aperçu dans tant de westerns (et en admirateur d'Aldrich, Leone lui fait arborer la même tenue d’archange noir que le Lancaster de Vera Cruz lors du duel final) tandis que l’homme d’affaire Morton (Gabriele Ferzeti) évoque l’imagerie du riche propriétaire prêt à tout pour s’approprier les terres d’autrui.

La modernité intervient par la constante déformation que Leone apporte à ses icônes. La brutalité et la volonté de vengeance d’Harmonica l’éloignent immédiatement de toute imagerie chevaleresque. Frank oscille entre le détestable et le pathétique, grâce à la prestation brillante de Henry Fonda. Homme de main se rendant compte progressivement de son incapacité à se muer en business man, il est dépassé. La nature d’homme d’affaire de Morton et ses méthodes capitalistes corruptrices modernisent quant à elles de manière visionnaire l’aspect du puissant écrasant tout sur son passage.

Méthode inaugurée avec Le Bon, la Brute et le Truand, la musique d'Ennio Morricone fut enregistrée en amont et diffusée aux acteurs durant le tournage. Le personnage le plus attachant, Cheyenne, se voit gratifié du thème le plus guilleret où la tendresse et la menace pointent à l'image des deux facettes de son caractère. A Harmonica les stridences lancinantes de son instrument, bientôt élevées par une guitare électrique pour signifier le tourment de la vengeance. Claudia Cardinale, symbole d’avenir, est gratifiée d’une mélopée poignante et pleine d’espoir, appuyée par les vocalises de la cantatrices Edda.

Frank est lui accompagné d’un motif funèbre accompagnant ses exactions tandis Morton se voit offrir un thème nostalgique illustrant sa vie en sursis rongée par la maladie. Tous ces personnages arborent une gestuelle et une démarche hiératiques et étudiées, sachant qu’ils sont voués à disparaître dans un dernier ballet à l’issue fatale pour chacun d’entre eux. Les moments purement opératiques s’accumulent dans la dernière partie du film, notamment la musique ténébreuse accompagnant littéralement chaque pas de la chevauchée de Frank vers le train pour son ultime confrontation avec Morton.

Leone ayant poussé à son paroxysme la séquence du duel dans Le Bon, la Brute et le Truand avec son triple face à face, il opère différemment cette fois pour se conformer à sa thématique. Le flashback fragmenté précédant l’ultime combat avait déjà été utilisé dans Et pour quelques dollars de plus lors de la conclusion entre le Colonel Mortimer et Indio. C’était alors plutôt un gimmick (le fameux tic tac entêtant de la montre) rappelant les motivations de Lee Van Cleef.

Cette fois, c’est un véritable voyage introspectif au coeur du passé, appuyé par un zoom d’anthologie sur le regard bleu glacial d’Harmonica qui décide enfin de se souvenir avant de tuer Frank. Harmonica bien que vainqueur est déjà mort en tant que personnage après avoir exécuté sa vengeance. Avec la disparition émouvante et tout en retenue de Cheyenne, ce sont les derniers vrais hommes de l’Ouest qui nous quittent lors du final. Harmonica s’éloigne discrètement laissant la dépouille de Cheyenne derrière lui tandis que le train arrive enfin sur la voie fraîchement terminée, tout un symbole. La dernière image reviendra donc à Claudia Cardinale apportant à boire aux ouvriers, l'Histoire de l’Ouest s’achève et l’Amérique moderne commence…

Il en va de même pour Leone qui quitte son genre de prédilection et vogue vers d’autres aventures. Bien qu’il se dédise malgré lui avec le suivant Il était une fois la Révolution, le ton sera désormais bien différent.

Sorti chez Paramount en dvd et blue ray dans de somptueuses éditions

jeudi 29 septembre 2011

Sept fois femme - Woman Times Seven, Vittorio De Sica (1967)



Sept fois femme est prétexte à une suite de sept sketches illustrant sept aspects de la femme : romantique, réaliste, impudique, volage, jalouse, capricieuse, amoureuse. Le film est surtout une ode au charme et au talent de Shirley MacLaine qui interprète chacune des sept facettes de la femme de chacun des sketches.

L'humour italien dévastateur et la patte de De Sica sont par moments un peu noyés sous le poids de la production internationale (casting hétéroclite où Vittorio Gassman côtoie Philippe Noiret et Michael Caine, tournage à Paris en langue anglaise...) dans quelques sketchs un peu poussif : Paulette (chaque sketch porte le nom de l'héroïne) où une jeune veuve cède aux avances d'un prétendant en plein enterrement par appât du gain, Maria Teresa où une femme trompée décide de se venger en cédant au premier venu, et Eve où Shirley MacLaine campe une mégère hystérique qui va tout faire pour empêcher une rivale de venir à l'Opéra avec la même robe qu'elle. De bonnes idées mais pas poussée assez loin (Maria Teresa pas loin de céder à la prostitution) et des histoires qui trainent en longueur.

A côté de ça quatre grandes réussites :

Linda
Shirley MacLaine campe une jeune femme cédant au plaisir de l'esprit uniquement et qui va rendre fous deux prétendant qu'elle a invitées chez elle. Le sketch le plus fou et osé du film avec Shirley MacLaine nue la plupart du temps et qui se termine en partie à trois. Des instants hautement folkloriques avec les deux hommes virant limite hystérique sous le charme provoquant de Linda et une ambiance psyché pop des plus agréables.


Edith
Une femme au foyer est délaissée par son mari écrivain qui fantasme sur ses créations littéraires de femmes libérées et excentrique. Mais quand elle se met à adopter le même genre de comportement pour plaire à son mari elle passe pour folle. Très belle prestation de Shirley MacLaine vraiment pathétique et touchante et la conclusion est vraiment belle.

Marie
Un couple adultère désespéré décide de se suicider ensemble par amour dans une chambre d'hôtel. Superbe huis clos où on passe du gros comique avec les messages enregistrés, la difficile organisation du suicide (qui tire sur qui en premier, ou alors des pilules ?) à une chute des plus triste et réussie, Shirley MacLaine est une nouvelle fois exceptionnelle.



Jean
Une jeune femme est suivie toute une après-midi par un homme (Michael Caine)) et va se livrer à un cache-cache des plus romantique avec lui. Le meilleur sketch du film, un charme fou tout du long grâce à une Shirley MacLaine mutine et espiègle et un Michael Caine timide et mystérieux tandis que le Paris retro 60's offre un cadre idéal au récit. Puis vient une conclusion des plus cyniques qui nous ramène brutalement sur terre.


Inégal mais dans l'ensemble très réussi et plaisant.

Sorti en dvd zone 2 français chez Fox
Dernier sketch en entier sur youtube extrait

mercredi 28 septembre 2011

Gainsbourg (vie héroïque) - Joann Sfar (2010)


Le biopic, musical de surcroît, est désormais un exercice autant raillé par le cinéphile que célébré par le grand public. Il faut dire que les années 2000 ont vu le genre proliférer et une certaine formule s’installer. Le grand succès Ray de Taylor Hackford porte par exemple tous les stigmates du modèle déposé du biopic moderne : mimétisme saisissant de l’interprète forcément « habité » par l’esprit de l’artiste, narration chronologique et reconstitution minutieuse en sont les apanages obligatoires. Le scénario inclut généralement un traumatisme originel ou des démons que le héros devra transcender (quitte à nier que Ray Charles avait reconnu avoir été plus accro à la cigarette qu’à la dope, le film en faisant un junkie) lors d’un final exutoire.

On peut presque appliquer cette grille de lecture à Walk The Line ou La Môme, autres biopics à succès aux interprètes consacrés aux Oscars. Pourtant, entre les mains de vrais auteurs, plus soucieux de capter l’essence de l’artiste que de la minutie stérile, l’exercice peut s’avérer passionnant. Man on the moon, Amadeus de Milos Forman ou Les Doors d'Oliver Stone sont ainsi des œuvres personnelles à part entière, discutables et malmenant les légendes adaptées, tout en étant profondément imprégnées de leur esprit. C’est vers ce genre de tentatives que s’essaie Joann Sfar avec son premier film.

La peinture, passion première de Gainsbourg, est le prisme par lequel Sfar va pouvoir donner sa vision de l’artiste, le mimétisme avec son métier de dessinateur lui permettant de s’identifier à son personnage. Le splendide générique dessiné donne immédiatement le ton. Bien que respectant la chronologie de l’existence de Gainsbourg, le film est davantage une suite de moments indépendants faisant fi des contraintes narratives, à tort (on a par exemple du mal à faire le lien entre le gamin espiègle à la langue bien pendue et le Gainsbourg peu sûr de lui du début de carrière, l’enchaînement étant assez laborieux) ou à raison. Dans son entier, le film n’est que partiellement réussi, en grande partie lorsque Sfar se laisse déborder par la légende.

La dernière demi-heure décrivant la lente transformation en Gainsbarre est ainsi ratée car Sfar se contente de reproduire des images vues et revues (La Marseillaise chantée devant les paras furieux, l’achat aux enchères du texte de Rouget de Lisle) sans y apporter de touche personnelle, sauf pour aller vers la métaphore maladroite (Gainsbourg associé à un sale gosse cherchant à provoquer). Le survol de la gestation des albums mythiques Melody Nelson et L’Homme à la tête de chou, évoqué allusivement par la bande son ou de brèves séquences (le titre Chez Max coiffeur pour homme recréé visuellement) est également dommageable. Ces ratages sont d'autant plus regrettables que tout ce qui avait précédé était épatant, Sfar satisfaisant le fan comme le néophyte avec brio.

L’enfance est sans doute la partie du film que Sfar se sera le plus appropriée. Il conçoit un univers fantasmagorique (certains instants évoquent presque le récent Max et les Maximonstres) où le jeune Serge est doté d’un double, équilibrant une personnalité mise à mal par l’antisémitisme ambiant. L’érotisme latent et l’aspect séducteur de l’homme se dessinent brillamment à travers la rencontre d’une jeune modèle. Plus tard, c’est le dilemme entre exigence artistique et succès populaire qui sera idéalement abordé, en pleine folie yé yé à l’imagerie 60’s flamboyante. Deux moments de grâce justifiant à eux seuls la vision du film.

La romance avec Bardot est sensuelle et charnelle à souhait, Laetitia Casta étant tout à fait convaincante en icône à la moue boudeuse. Sfar lui offre d’ailleurs une superbe séquence de danse pour illustrer la composition de Comic Strip. L’autre instant magique est la rencontre avec Birkin, bouleversant de magie suspendue et de complicité où Eric Elmosnino retranscrit idéalement l’émoi de cet homme cynique bousculé par la candeur de cette jeune anglaise, l’alchimie avec la regrettée Lucy Gordon faisant des étincelles.

Pour une première œuvre, Sfar délivre un film à la facture visuelle réellement brillante, transcendant les moments où le rythme ronronne un peu (le début dans les clubs de jazz). Cadre soigné, imagerie originale et mouvements de caméra élégants sont légion. La prise de risque est maximale, notamment dans la bande son réorchestrant les titres originaux (belles relecture de Nazi Rock) et les titres chantés par les acteurs, plus ou moins réussis.

Hormis les réserves précitées, le seul reproche serait à chercher du côté du casting, où les grands noms ont parfois été privilégiés en dépit du bon sens. Sara Forestier est loin d’évoquer la candeur virginale et l’innocence de France Gall, tout comme Anna Mouglalis singeant Juliette Greco (même si la séquence la mettant en scène est une des plus inventives), sans parler de l’apparition incongrue de Claude Chabrol. Des petites fautes de goût de débutant qui ne sauraient atténuer les promesses de ce passionnant galop d’essai.

Sorti en dvd chez Studio Canal


mardi 27 septembre 2011

Le Pigeon d'argile - The Clay Pigeon, Richard Fleischer (1949)

Traumatisé par la guerre et le camp dans lequel il était prisonnier au Japon, le marin Jim Fletcher a sombré dans le coma. À son réveil, il est accusé de meurtre. Afin de prouver son innocence, il s’évade et part avec ses anciens compagnons à la recherche du vrai coupable.

Tout comme avec son Enigme du Chicago Express réalisé un peu plus tard, ce Pigeon d'Argile fait partie des série B nerveuse sur lesquelles Richard Fleischer se fit la main au sein de la RKO (et démontrant une efficacité qui allait bientôt le mener à des productions plus prestigieuse. Fleischer signe ici un modèle de thriller, palpitant et tendu du début à la fin. Du réveil à l'hôpital de son héros amnésique à la conclusion, la tension ne se relâchera pas.

Mise en scène alerte et inventive de Fleischer, aussi bien dans la traduction du trouble de Fletcher et sa surprise devant l'hostilité qu'on lui témoigne (avant qu'il ne découvre qu'il est un traître), l'utilisation – plutôt originale pour l'époque – des flashbacks (surtout le dernier, vraiment surprenant) et bien sûr les scènes d'actions rondement menées (particulièrement lors d'une impressionnante sortie de route en voiture et une palpitante course poursuite à pied dans Chinatown).

Bill Williams apporte une présence solide et fragile à la fois, bien secondé par la charmante Barbara Hale (future assistante de Perry Mason dans la série avec Raymond Burr), tandis qu’en opposition les méchants sont retors à souhait, notamment l'ancien geôlier japonais campé par Richard Loo. Seul petit défaut : le scénario sans doute un peu prévisible pour qui est rompu à ce genre de suspense hitchcockien, notamment tout ce qui tourne autour du meilleur ami joué par Richard Quine (encore acteur à l'époque), dont on a tôt fait de deviner les intentions louches.

La conclusion dans le train, remarquablement amenée, est sans doute aussi un peu trop brève (on pense forcément à celle, similaire et plus réussie, de L’Ombre d’un doute de Hichtcock). Le brio de Fleischer, son art de la concision et de la caractérisation des personnages dans l’action fait dans tous les cas plaisir à voir, le film durant à peine une heure. À méditer, à l’heure où le moindre blockbuster peine à descendre sous les 2h30…

Sorti aux Editions Montparnasse dans la collection RKO

lundi 26 septembre 2011

À l’angle du monde - The Edge of the World, Michael Powell (1937)


Les habitants d'une petite île des Hébrides au large de l'Ecosse, assaillis par de multiples difficultés, envisagent d'abandonner les lieux pour chercher une vie meilleure sur le continent. Certains pourtant préfèrent préserver leur mode de vie traditionnel. Le différend fait l'objet d'une compétition entre deux amis, Andrew et Robbie, dont l'un aime la sœur de l'autre. L'épreuve choisie, l'escalade d'une falaise abrupte à mains nues, met leur vie en péril.

Cinéastes aventurier s'il en est Michael Powell aura su illustrer comme personne les contrées britanniques les plus sauvages et reculées, magnifier l'existence frustre mais heureuse de ses habitants. Des films comme A Canterbury Tale, Je sais où je vais ou encore La Renarde sont de véritables ode à la beauté, au pouvoir d'attraction et aussi du danger de cette nature indomptée. Il ne sera donc pas étonnant que Powell réalise son premier chef d'œuvre avec un film faisant montre de son goût de l'ailleurs, si loin et si proche à la fois. Au début des années 30, Michael Powell lit un article sur la désertification de la population de Saint Kilda, archipel du nord de l’Écosse miné par l'exode des jeunes. Fasciné par les faits et les thématiques qui en découlent, il se jure d'en tirer un film un jour.

Fatigué d'enquiller les commandes impersonnelles, le jeune homme se lance dans l'inconnu en 1937 pour ce qui sera une épopée semée d'embûches devant et derrière la caméra avec un tournage en équipe réduite. Premier obstacle et de taille le tournage sur l'île de Saint Kilda est refusé, obligeant Powell à se rabattre à Foula, dans les Iles Shetland.

The Edge of The World sera à sa sortie grandement comparé au travail de Flaherty par une critique dithyrambique. Pourtant si Powell use largement des ressorts du documentaire, son film repose sur une vraie trame dramatique. L'intrigue célèbre autant la beauté et le quotidien de cette vie insulaire qu'elle signe leur disparition. Le film s'ouvre ainsi sur un couple de touristes visitant l'île de Foula désormais vide, fantomatique et sans vie. L'animation qui y régnait jadis se devine avec des silhouettes en surimpression avant que resurgissent en flashback les souvenirs du capitaine qui a vécu en ces lieux.

Dix ans plus tôt, les habitants furent en proie à un douloureux choix, partir ou disparaître alors que leur nombre se réduisait. Les clans entre les défenseurs de cette existence menacée et de ceux porté vers un ailleurs plus sécurisant se confrontent donc à travers le chef Peter Manson (John Laurie), mais aussi son fils Robbie et son meilleur ami Andrew qui est amoureux de sa fille Ruth. Le différent va se régler lors de l'escalade d'une falaise par les deux jeunes hommes dont l'issue tragique bouleverse le destin de tous.

La nature se pose en juge et en guide des aspirations de chacun, magnifiquement filmées par Powell. Le sauvetage final dévoile ainsi l'isolement fatal des insulaires, tout comme les tentatives désespérées d'envoi de courrier de Ruth. Dans A Canterbury Tale on retrouvera ce regard bienveillant et critique de Powell pour ces personnages passeurs mais également accrochés éperdument à leurs traditions, ici avec Peter Manson.

En même temps comment leur en vouloir lorsqu'on est éblouit par la grâce de séquences somptueuses tel cet enterrement où les ombres traversent le cadre brumeux sur fond de chant religieux, ces vues majestueuses de la côte calme ou agitée (et où se projette une ombre funèbre lors d'une mort tragique), ces visages marqués mais fiers de la population vieillissante (Powell ayant comme à son habitude recruter des amateurs locaux).

Powell impressionne par la modernité de sa mise en scène, naturaliste et stylisée à la fois et capturant par l'image toute une gamme d'émotion (la solitude de Ruth face au coucher de soleil, la nostalgie qui la submerge lorsque son visage en fondu se confond avec les flots) et où les conflits se résolvent sans qu'il soit nécessaire d'en passer abusivement par les mots. Comme cette nature, la vie suit son cours inéluctablement et c'est sur l'exode final attendu que se conclu le film.

Pourtant certains ne pourront s'y résoudre et lieront définitivement leur destin celui de l'île, condamné à l'oubli. Il en restera pourtant quelque chose, autant dans ce morceaux de terre solidement accroché sur l'océan que le sont les visions magiques de Powell dans l'esprit du spectateur. La carrière de Powell est définitivement lancée par l'impact du film qui lui permet d'être engagé par Alexander Korda. Cependant l'expérience le marquera suffisamment pour consigner ses sentiments dans un livre 200,000 Feet on Foula et revenir 57 ans après sur les lieux du tournage pour le poignant documentaire Return to the Edge of the World en 1978 avec les survivants.

Sorti en dvd zone 2 (et Bluray) anglais (et doté de sous-titres anglais) dans une magnifique édition édité par Bifi et comportant en bonus le fameux documentaire rétrospectif de Powell Return to the Edge of the World.

Extrait de la scène d'ouverture

dimanche 25 septembre 2011

Le Passage du Canyon - Canyon Passage, Jacques Tourneur (1946)


En 1856, Logan Stuart escorte Lucy Overmire, la fiancée de son ami, à Jacksonville dans l'Oregon. Au fil du voyage Lucy tombe sous le charme de Logan. Arrivé à destination, le duo s'aperçoit que l'aventure ne fait que commencer...

Si ses films d'épouvantes à l'économie tournés au sein de la RKO restent les films les plus célébrée de Jacques Tourneur, le réalisateur aura prodigué son talent dans tous les genres et des productions parfois bien plus luxueuses. Le Passage du Canyon est un film marquant à ce titre puisque c'est sa première œuvre en couleur, son premier western et l'occasion de s'aventurer hors de la RKO (ici Universal) avec un budget important. 

Le réalisateur n'en conserve pas moins sa singularité car Canyon Passage est un western des plus curieux. Sur le papier (un script de Ernest Pascal d'après un roman de Ernest Haycox) tout le programme du spectacle attendu et palpitant de rigueur est bien présent : les contrées sauvages de l'Oregon où s'agitent des chercheurs d'or, un triangle amoureux, des indiens menaçant rôdant alentours... Pourtant alors qu'un seul de ses différents éléments suffirait à nourrir un film entier, Tourneur en apparence paraît n'en exploiter réellement aucun jusqu'au bout. Si on passe à côté, le film paraît faussement "paisible" voire ennuyeux tant le réalisateur propose une construction déroutante. Hormis la dernière partie où nos héros font face aux assauts des indiens et une courte scène de bagarre, Canyon Passage est même totalement dénué d'action digne de ce nom.


Tourneur tient pourtant le spectateur captivé de bout en bout, tout simplement en pliant le genre à ses règles et non l'inverse. L'angoisse latente qu'il aura su saisir dans ses films fantastique, il la traduit ici visuellement, thématiquement et narrativement ici à une échelle plus complexe encore. La beauté des paysages naturels de l'Oregon est rarement exploitée dans toute sa largeur et profondeur de champ, comme pour laisser deviner une présence, une menace indicible. On le constate lors d'un des moments les plus joyeux du film lorsque toute la ville aide à construire la cabane de jeunes mariés, en pleine festivité un regard inquiet hors champs laisse deviner avant qu'on ne les voit l'arrivée des indiens venus perturber la fête.


Dans une même idée, Tourneur use à nouveau de codes de films d'épouvante lorsqu'il interrompt l'action pile avant que le personnage de Brian Donlevy ne tue un chercheur d'or qu'il sait ne pouvoir rembourser (on peut ajouter l'attaque nocturne de Bragg sur le héros ou son agression d'une jeune indienne. Les intrigues donnant l'impression d'être sous-exploitées sont ainsi sous leur fadeur toutes placées sous des cieux troublés. En quelques échanges on devine la romance retenue entre Dana Andrews et une Susan Hayward déjà fiancée, ce même Dana Andrews liant à la belle Patricia Roc qui malgré son amour pour lui aspire à une vie plus paisible que celle qui l'attend avec cet homme d'affaire remuant.

Le casting est idéal pour cette tonalité qui traverse le film. Susan Hayward conserve une présence volcanique tout en voyant tous les aspects plus excessifs de son jeu éteint par Tourneur, Dana Andrews à cette aura neutre et monolithique où pointe autant le charisme d'un héros qu'une certaine normalité. Leur union parait ainsi bien plus menacée, que ce soit de manière physique par la brutalité d'un Ward Bond ou les choix malheureux de Donlevy.


Cette menace ressentie tous le film, Tourneur la laisse enfin éclater lors de la dernière partie à la violence brève mais marquante. Tous les symboles apaisant du début du film sont éclaboussé d'une brutalité surprenante. La forêt accueillante est témoin de terribles massacres, la maison des jeunes mariés finit incendiée et nombre de figures attachantes rencontrées tout au long de l'intrigue disparaissent cruellement, femme comme enfant...


La communauté solidaire aura déjà montré précédemment sa capacité à céder par elle-même à ses bas instincts et se voit brisé par une menace extérieure pour mieux se reconstruire. Tourneur aura ainsi rendu instable le destin de ses héros pour mieux les amener à se reconstruire avec une conclusion qui remet tout en cause pour le meilleur. Même le bel happy-end plein d'espoir ne dissipe pas tout (le sort de Brian Donlevy) étonnant western... Comme le dit très bien Tavernier en bonus, Tourneur a amené au genre par son regard européen le doute dans ce qui n'était que certitude par le prisme américain.

Disponible en dvd zone 2 français dans la collection Western chez Sidonis
Extrait