Dans un futur proche, le Major est unique en son genre: humaine sauvée d’un terrible accident, son corps aux capacités cybernétiques lui permet de lutter contre les plus dangereux criminels. Face à une menace d’un nouveau genre qui permet de pirater et de contrôler les esprits, le Major est la seule à pouvoir la combattre. Alors qu’elle s’apprête à affronter ce nouvel ennemi, elle découvre qu’on lui a menti : sa vie n’a pas été sauvée, on la lui a volée. Rien ne l’arrêtera pour comprendre son passé, trouver les responsables et les empêcher de recommencer avec d’autres.
Ghost in the Shell représente après la pantalonnade Dragon Ball Evolution
(2009) la première vraie grande adaptation d’une icône de la culture
manga/japanimation. La porosité entre le blockbuster et ce courant
n’avait cessé de s’affirmer avec les méchas de James Cameron dans le final d’Aliens (1986), les expérimentations formelles vertigineuses des Watchowski sur Speed Racer (2008), les emprunts peu discrets à Perfect Blue (1997) ou Paprika (2007) par Darren Aronofsky et Christopher Nolan sur leurs Requiem for a Dream (2000) et Inception
(2010) respectivement. On franchit donc un pas avec une influence
artistique qui s’inscrit dans une norme industrielle hollywoodienne où
l’on adapte une franchise emblématique de japanime pour en
tirer une grosse production à visée commerciale. La conjonction entre
des exécutifs ayant cerné le potentiel de ce matériau auprès du grand
public et l’arrivée aux affaires de réalisateurs baignés de cette
culture nous amène donc à ce moment. Dans l’ambition, les moyens
déployés et le ton adopté, on voit la connaissance et le respect de Rupert Sanders de
ce qu’il adapte, même si cela ne suffit pas à faire un bon film.
Néanmoins, on sent l’éducation désormais faite par l’industrie qui
aborde le projet avec le même sérieux que pour le X-Men de Bryan Singer (2000), acte fondateur de l’omniprésence du film de super-héros (précédé des réussites plus éparpillées du Superman (1978) de Richard Donner ou des Batman (1989, 1992) de Tim Burton) dans le blockbuster
moderne. C’est une éducation également à faire chez la très
chatouilleuse communauté de fans voyant cette culture lui être « volée »
à des visées grand public. La production du film aura ainsi eu droit à
son lot de polémiques stériles, le choix de Scarlett Johansson entraînant des accusations de « whitewashing » (alors qu’un simple coup d’œil au manga de Masamune Shirow ou au film de Mamoru
Oshii suffit pour voir l’absence de traits japonais de l’héroïne dessinée)
tandis que les premières bandes-annonces entraînaient un jeu des sept
erreurs un peu vain. Donc autant il aura fallu du temps aux studios pour
savoir aborder cet univers, autant il faudra aux fans assimiler les
changements, ajustement et modifications que tout lecteur de roman,
pièce de théâtre ou comics acceptent désormais dans ce qui demeure une
ADAPTATION.
Le film de Rupert Sanders fonctionne sur un équilibre
réussi entre appropriation et déférence. Le scénario reprend les
questionnements existentiels plus appuyés dans Ghost in the Shell (1995) de Mamoru Oshii que dans le manga de Masamune Shirow tout en mettant plus en avant la facette enquête policière à la façon de la série Ghost in the Shell: Stand Alone Complex. Rupert Sanders explore également les doutes du Major (Scarlett Johansson)
sur son humanité, elle qui constitue le premier cyborg alliant cerveau
humain et corps synthétique amélioré. Seulement, il le fait en creusant
une facette simplement esquissée chez Oshii, la vie
humaine passée du Major ainsi que le lien ambigu entretenu avec la
compagnie qui l’a sauvée et « améliorée ». La mythique scène de
fabrication du cyborg qui ouvrait le film de 1995 est donc reprise ici
mais pour véritablement illustrer l’acte de naissance du Major qui
découvre, apeurée, ce corps artificiel qu’elle va devoir apprendre à
dompter. Lorsqu’on la découvrira en action via une ellipse, Major
déploie ses capacités de façon spectaculaire, où s’exprime le
libre-arbitre de l’humain (sa désobéissance à l’ordre du chef Aramaki (Takeshi Kitano)) et l’efficacité de la machine. Rupert Sanders dans un beau ballet croise la bizarrerie déstabilisante (les robots-geisha) du Ghost in the Shell: Innocence (2004) et le morceau de bravoure voltigeant à l’américaine bien digéré depuis Matrix (1999).
Scarlett Johansson est remarquable et surprend par une prestation très différente du rôle « autiste » d’Under the Skin (2013) qui lui avait pourtant donné assez de crédibilité pour jouer dans Ghost in the Shell. Si dans Under the Skin,
elle incarnait une extraterrestre dont la froideur s’estompait au fil
de son lien aux humains, elle apporte une vraie nuance ici avec une
humaine dissimulant ses émotions sous une attitude monolithique.
Consciente de son statut d’objet et d’arme, elle l’applique avec
détachement et aligne les répliques désabusées à la moindre attitude
chaleureuse envers elle. Rupert Sanders retrouve la famille dysfonctionnelle vue dans son Blanche-Neige et le Chasseur (2012) à travers la relation entre Kristen Stewart et Charlize Theron. Le seul lien « familial » repose sur la relation avec son « créateur » le docteur Ouelet (Juliette Binoche).
C’est le premier visage vu lors de sa « naissance » d’ouverture comme
le serait celui d’une mère, l’environnement blanc clinique et
technologique suggérant une forme tordue de maternité et l’extrême
vulnérabilité de Scarlett Johansson l’associant à un
nouveau-né. Ce rapport filial est pourtant vicié puisque déterminé par
l’assujettissement du Major à la compagnie. Le vrai attachement ne naît
donc que dans l’amitié virile et taquine avec le partenaire Batou
(excellent et charismatique Pilou Asbæk), où là aussi Sanders reprend l’approche de Blanche-Neige avec la relation Kristen Stewart/Chris Hemsworth.
Formellement, Sanders offre ponctuellement une redite explicite du film d’Oshii
dans les scènes contemplatives urbaines mais en détourne parfois
habilement le sens initial. Les scènes d’action également dans cette
reprise sont suffisamment revisitées, inventives (l’ouverture
précédemment évoquée, la scène de la boîte de nuit) ou vectrices d’une
émotion réellement différente qui change la teneur des images par
rapport à l’original. Toute la qualité du film est finalement là,
provoquer un ressenti différent sur une thématique voisine. Aux tirades
et monologues existentiels parfois trop appuyés d’Oshii (mais qui fonctionnent dans le média japanime) Sanders
a une approche moins subtile mais finalement plus adaptée aux émotions
directes recherchées.
Le jeu sur les reflets, très allusif et poétique
de l’anime, est ici plus frontal avec le Major s’observant pensivement
dans les miroirs, ayant toujours une attitude détachée dans le rapport à
son corps et scrutant les soubresauts de la vraie humanité chez les
autres – la curieuse rencontre avec une prostituée, réminiscence de la
sexualité lesbienne du personnage dans le manga. Ce n’est pourtant pas
ce corps artificiel qui la fait se sentir différente mais bien l’absence
de souvenirs de sa vie passée, ou du moins les fragments dont elle
doute de la réalité. Cette foisonnante cité futuriste où s’entremêlent
buildings high-tech et hologrammes sophistiqués offre des visions
rappelant l’imaginaire d’un Blade Runner, mais
l’inscrit dans la brume réalité/illusion qui perturbe l’esprit du Major
quant à son passé. La trame qu’on pourrait trouver voisine d’un Robocop (1987) trouve ainsi une identité propre par cette mélancolie introspective, cet infini sentiment de solitude.
Dès lors, l’adversaire poursuivi et les enjeux qui en découlent seront
très différents de ce qui avait trait au Puppetmaster dans la vision d’Oshii.
Celui-ci s’interrogeait sur la définition de l’humanité et voyait son
avenir dans une mue bouleversant la distinction entre intelligence
artificielle et âme. L’harmonie dans cette quête identitaire chez Oshii ne se retrouvait qu’en devenant « autre chose », elle ne peut naître chez Rupert Sanders
qu’en se retrouvant soi-même. L’émotion repose moins sur l’étrange et
l’inattendu vertigineux que sur la reconquête de son être et une
nouvelle fois le climax, tout en se montrant assez déférent de son modèle, va vraiment dans une autre direction. Pour résumer, si la question chez Oshii est « Qu’est-ce que je suis ? », celle de Sanders sera « Qui suis-je ? ». Au passage le stérile débat sur le whitewashing
trouve même une réponse dans le déroulement du récit. Au final, une
adaptation respectueuse et suffisamment personnelle pour trôner sans
honte parmi les autres visions de l’univers de Masamune Shirow. On espère que les autres tentatives à venir – Death Note version US est en vue – feront preuve de la même passion.
En salle
LIVRE : Les Monstres (Monsters) de Claire Dederer - 2023
Il y a 6 heures