L'œuvre de Terence Davies s'était caractérisée par sa dimension
nostalgique et autobiographique durant ses trois premiers films, les
merveilleux The Terence Davies Trilogy (1984), Distant Voices, Still Lives (1988) et The Long Day Closes
(1991). Le réalisateur s'était détaché de cette veine intime dans ses
films suivants en privilégiant la transposition littéraire avec The Neon Bible (1996) et Chez les heureux du monde (2000) adaptés de John Kennedy Toole et Edith Wharton, sans parler dans la première tentative avortée d'adapter Sunset Song de Lewis Grassic Gibbon en 2005 avec Kirsten Dunst. Terence Davies renoue avec cette approche dans Of Time and the City mais en se renouvelant grandement. Distant Voices, Still Lives et The Long Day Closes
notamment s'équilibraient entre situations autobiographiques et saine
distance de la fiction avec une forme singulière traçant une véritable
symphonie visuelle et narrative qui baignait l'ensemble dans cette
chaleureuse nostalgie. Ici la distance se fera en optant pour le
documentaire, l'intime se révélant par la voix-off de Terence Davies et
la nostalgie passant par les nombreuses images d'archives dont
l'agencement dictera l'émotion.
Of Time and the City est
un véritable poème filmique célébrant Liverpool où Terence Davies
dépeint les mutations (sociale, esthétique...) de la ville dans les
vingt-huit premières années de sa vie jusqu'à son départ en 1973. La
ville pauvre et sinistrée d'après-guerre se déploie dans une grisaille
où Davies capture l'ennui et les échappées simples que sont la musique,
le cinéma ou le football. La douceur et la nostalgie qui passaient par
l'émerveillement et la communion des personnages (les fameux instants
suspendus où l'on chantent le standards traditionnels anglais) se
ressentent désormais par l'exaltation de la narration de Davies, entre
aveux impudiques et déclamations poétiques (A Shropshire Lad de A. E. Housman qui ouvre le film, Ozymandias de Percy Shelley, Four Quartets
de T.S. Eliot ou encore James Joyce...) sur fond d'archives explorant
la ville, s'attardant sur les belles tranches de vie.
L'aspect
polyphonique et élégiaque typique de Davies ne s'estompe pas sous
prétexte qu'il s'agit d'un documentaire et le travail sur l'image et
l'ampleur apportée par l'utilisation de musique classique en font une
œuvre stylisée s'éloignant d'un réalisme terre à terre. Tout ici confère
à élever le souvenir, sans pour autant céder à une béatitude niaise
pour ce passé. Davies délaisse la ferveur pour le fiel et l'ironie quand
il se moque de la monarchie anglaise, la première incursion de la
couleur concernant le fastueux couronnement d'Elizabeth II qui
entrecoupe le noir et blanc des images de misère du peuple pour exprimer
le fossé. Le rapport conflictuel à la religion se ressent également
dans une captivante contradiction entre les vues majestueuses de la
cathédrale de Liverpool (sur les envolées pieuses de la Symphonie nº 2 (Résurrection)
de Mahler) traduisant la fascination de Davies enfant, tandis que son
pendant adulte affirme sa méfiance sans totalement se délester de cet
attrait initial.
L'émotion naît cependant lorsque Davies se
livre de façon plus personnelle, sur sa famille, son homosexualité
coupable dans cette société rétrograde (magnifique moment où il évoque
son éveil sexuel devant le Victim de Basil Dearden avec Dirk
Bogarde, lorsqu'un camarade qui l'attire pose sa main sur son épaule).
Il s'amuse de son propre passéisme quand montre les premières images de
l'hystérie Beatles, la festivité rock naissante jurant avec ses propos
narrant sa passion naissante d'alors pour la musique classiques. Cette
conscience d'être (et sans doute avoir toujours été) hors de son époque
offre donc au spectateur une empathie bienveillante plutôt que
l'agacement lorsque sur des vues biaisée (les barres d'immeubles
sociaux, les commerces et parkings impersonnels) du Liverpool
d'aujourd'hui sur lequel Davies se lamente. Où es-tu, le Liverpool que j'ai connu et aimé ? Où es-tu parti sans moi ?
C'est la douleur d'un vieil homme face au temps qui passe, mais Davies
atténue ce regard quand il s'attarde sur la ferveur ordinaire de la
jeunesse un samedi soir, ce besoin de s'oublier et se divertir n'ayant
pas d'âge. Le réalisateur a ainsi rendu profondément personnel ce qui
était pourtant une commande des producteurs Solon Papadopoulos et Roy
Boulter dans le cadre du programme " Liverpool Ville Européenne de la
Culture 2008 ". Le travail sur les images d'archives est impressionnant,
la multiplicité des sources (Pathé, la BBC et ITN, Conseil municipal de
la ville et films de famille) contribuant au ton si singulier du film.
Une des plus belles réussites de Terence Davies.
Sorti en dvd zone 2 anglais chez BFI et doté de sous-titres anglais
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