Lily une jeune
paysanne vient de perdre son père, elle est recueillie par sa tante, Madame
Rasmussen, libraire à Berlin, une femme autoritaire, rigide et légèrement
portée sur l'alcool. De la fenêtre de sa chambre Lily aperçoit un atelier de
sculpteur qui la fascine. Un jour, Richard le sculpteur entre dans la librairie
et semble captivé par le corps de Lily, il la persuade de venir poser pour
elle. Acceptant après avoir hésité, Lily déjouant la surveillance de sa tante
se rend chez Richard qui la convainc de se déshabiller pour prendre la pose.
Bientôt une très belle sculpture prend forme et les deux jeunes gens entament
une idylle. Survient alors le baron von Merzbach qui est un client de Richard
et qui tombe en admiration devant la statue, il demande à être présenté à Lily.
Le Cantique des
cantiques participe en parallèle des films de Joseph von Sternberg à
l’ascension de Marlene Dietrich à Hollywood. Arrivée aux Etats-Unis en même
temps que son pygmalion l’ayant révélé dans L’Ange
bleu (1930), c’est face à sa caméra qu’elle connaît ses premiers succès
avec Cœurs brûlés (1930), Agent X 27 (1931), Shanghai Express (1932), La
Vénus Blonde (1932), L'Impératrice
rouge (1934) et La Femme et le Pantin (1935). Le
Cantique des cantiques la sort donc pour la première fois du giron de son
mentor par cette collaboration avec Rouben Mamoulian. Le film est la troisième
adaptation du roman Das Hohe Lied d’Hermann
Sudermann publié en 1908 après celles muettes de Joseph Kaufman en 1918 et Lily of the Dust de Dimitri Buchowetzki
en 1924 avec Pola Negri. Le scénario aura également pour inspiration
l’adaptation théâtrale d’Edward Sheldon en 1914 et le changement fondamental
par rapport à ce matériau d’origine sera de troquer la comédie pour le vrai
mélodrame.
Le film déploie un récit de construction identitaire où la
jeune Lily (Marlene Dietrich) va passer de l’innocence à la maturité, de l’objet
à la femme dans un cheminement sinueux. Pour l’acariâtre tante Rasmussen (Alison Skipworth) qui la recueille
elle n’est qu’un corps à asservir, dissimuler par une morale hypocrite ou
vendre au plus offrant. La motivation est plus artistique pour le sculpteur
Richard Waldow (Brian Aherne) qui voit dans sa silhouette les contours de sa
prochaine œuvre. Enfin le commanditaire et vieillissant Baron von Merzbach
(Lionel Atwill) ne regarde Lily que comme source d’assouvissement de ses élans
libidineux. Face à ses différents prédateurs, il s’agira pour Lily d’exister
au-delà de cette nature d’objet à posséder moralement, artistiquement et physiquement. Rouben Mamoulian mêle son
brio formel au jeu subtil de Marlene Dietrich pour exprimer cette idée. La
candeur de la paysanne effeuillant les neuf jupons de sa robe informe laisse
ainsi place à la jeune fille espiègle « faisant le mur » en endormant
sa tante à coup de thé un peu trop mélangé au rhum. Face à Richard pour lequel
elle pose nue, c’est tout à la fois l’innocence, la lascivité naissante et l’amour
qui lui permettent de s’incarner à l’écran. Mamoulian dans un même élan
visualise la jeune femme empruntée et ses formes attrayantes dans un habile
montage qui contourne brillamment la censure.
Tandis que Lily ôte ses vêtements,
chaque partie intime ne pouvant être montré l’est néanmoins par un panoramique
s’attardant sur les seins ou les jambes des sculptures qui inondent l’atelier
de Richard. Mais pourtant même en dévoilant son corps nu à l’artiste, Lily
garde cette aura de pureté lorsqu’elle lui révèle sa passion pour le Cantique
des cantiques. Le texte biblique relève à la fois du sacré et du charnel par
son contenu exalté où les chants d’amours célèbrent la relation homme/femme et
la dévotion à Dieu. C’est précisément cet équilibre délicat que figera Richard
dans sa sculpture, ce sera son inspiration et ce qui le séduira, lui qui
affichait le détachement froid de l’artiste face à l’attrait de son modèle. Dès
lors la romance entre Richard et Lily relèvera de cette idée du sacré et du
charnel mais par la seule force de l’image. Une somptueuse scène d’amour voit
notre couple traverser une colline baignée de la photo immaculée de Victor Milner,
une remontée vers les cieux dont l’imagerie divine contredit des élans loin d’être
chaste.
L’égoïsme de ses interlocuteurs ramène cependant toujours
Lily à ce statut d’objet. Dépassé par cette relation où il craint de s’engager,
Richard « donne » donc Lily au Baron von Merzbach auprès duquel elle
demeure une chose à polir, à affiner mais à n’aimer que pour ce qu’elle
représente plutôt que ce qu’elle est. Après l’illusion du divin et de l’amour
vient celle de l’élégance et du raffinement. Dans les fastueux décors de la demeure
du Baron, Lily est exposée fièrement tel un singe savant, constamment palpée et
jalousement étreinte par son « propriétaire ». Mamoulian fait ainsi
le lien entre le regard libidineux et possessif des figures masculines, l’attitude
du Baron répondant à une scène provocante qui précède où Richard affinait
langoureusement sa sculpture tout en observant Lily. Le prestige de la
noblesse, de l’art (voir de la vertu avec la tante Rassmussen) ne sont que
poudre aux yeux pour affirmer l’asservissement de la femme. Marlene Dietrich
avait d’abord exprimé son indépendance à ces valeurs par un amour innocent et
trahi. L’assurance, le port et les toilettes sophistiquées masqueront ensuite
un dégout et détachement à son horrible situation. Puisqu’on ne la considère
pas pour un être sensible et indépendant, autant plonger de plain-pied dans la
fange à la laquelle la destine la volonté des hommes.
La dernière partie doit donc résoudre la dichotomie entre la
femme et « l’objet » féminin. En retrouvant le décor de l’atelier,
Rouben Mamoulian ravive les souvenirs par des fondus enchaînés où la Lily
candide d’antan et celle désabusée d’aujourd’hui se confondent et s’opposent. Le
symbole figé de la statue n’a plus lieu d’être car il représente le regard d’hommes
voulant se l’approprier plutôt que de s’en faire aimer. Sa destruction est donc
une renaissance et l’espoir de l’amour passionné et charnel rêvé dans le fameux
Cantique des cantiques.
Sorti en dvd zone 2 français et bluray che Elephant
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