Un été, trois sœurs dans une vieille demeure madrilène. Il y a là
leur père, militaire de carrière, leur tante qui les élève et leur
grand-mère paralysée et mutique. Dans ce milieu étriqué, Ana étouffe.
Elle se réfugie dans ses rêves et ses souvenirs. Elle vit toujours à
l’ombre du décès prématuré de sa mère et recherche au fond d’elle sa
présence toujours vivace qui pourrait lui apporter le réconfort et la
volonté de lutter contre ce monde en décrépitude.
Carlos Saura avait déjà exploré le rapport au passé, au souvenir et à l'enfance dans Le Jardin des délices (1970) et La Cousine Angélique (1974) mais comme allégorie/métaphore d'une critique du régime Franquiste. Cria Cuervos,
œuvre maîtresse du réalisateur poursuit cette approche mais en rendant
la facette politique plus sous-jacente pour se concentrer sur les
tourments de l'enfance. L'ouverture donne le ton avec cette scène qui,
entre rêverie, réalisme cru et psychanalyse dessine les enjeux du film.
La jeune Ana (Ana Torrent) est réveillée un petit matin par les cris
mêlés de plaisir et râle d'agonie venant de la chambre de son père dont
s'enfuit une jeune femme dénudée. A l'intérieur son père terrassé par une
attaque cardiaque. L'onirisme de la scène est amplifié par cette
atmosphère incertaine de l'aube tandis que le sexe revêt un visage
traumatisant pour la fillette.
L'ensemble du film oscille ainsi
entre le quotidien douloureux et le passé rêvé d'Ana, celui où sa mère
(Geraldine Chaplin) était encore vivante. Carlos Saura joue de la
répétitivité et de la confusion pour illustrer le refuge du rêve de
l'héroïne, apaisant mais amenant des retours de plus en plus cruels au
réel. Les situations anodines qui ramènent Ana au souvenir se font
fugaces puis de plus en plus élaborées, illustrant toujours de
magnifiques moments de tendresse maternelle : quelques notes de piano
puis une comptine pour l'aider à dormir, un délicat brossage de cheveux.
L'éveil la ramène aux trois mères de substitutions du récit : la ronde
et affectueuse domestique Rosa (Florinda Chico) pour la facette de la
maternité la plus charnelle, la grand-mère (Josefina Díaz) muette et
bienveillante et la tante Paulina (Mónica Randall) prenant en charge Ana
et ses sœurs. Les efforts maladroits de Paulina de s'attirer
l'affection des filles jouent à la fois sur ces retours au réel où
chaque répétition d'un souvenir ramène son visage à la place de la mère
défunte. C'est aussi une manière de montrer le visage de cette
bourgeoisie espagnole de la fin du Franquisme, tout en redéfinissant ce
rapport douloureux au sexe et à la mort d'Ana. Paulina s'amourache ainsi
de Nicolas (Germán Cobos) ancien frère d'armes du père d'Ana et dont
l'épouse est la fameuse jeune femme en fuite de la scène d'ouverture.
Tout
ce qui aura un lien à une affection possible pour la fillette sera
ainsi rattaché à la mort, de son lapin qui va mourir aux simples jeux de
cache-cache avec ses sœurs où le perdant doit simuler l'agonie. Le
point de vue oscille plusieurs fois entre Ana enfant et adulte (incarné
par Geraldine Chaplin toujours) où un certain recul est amené sur les
évènements. Un même souvenir garde le regard émerveillé de l'enfant
tandis que l'adulte s'y remémore les infidélités de son père. Le cocon
de l'enfance est ainsi souillé par la vérité que redéfini l'adulte
notamment sur le couple malheureux de ses parents.
La maison que l'on ne
quitte que rarement symbolise ce cocon tout en étant un mausolée de ce
passé mais Carlos Saura ménage néanmoins de vrais moments de candeur et
innocence sincère (cette charmante danse improvisée entre les soeurs), notamment quand intervient la ritournelle mélancolique Porque te vas
de Jeannette. La fin ouverte voit la mort perdre de son emprise dans un
ultime rebondissement et l'horizon s'ouvre enfin à l'extérieur avec
cette rentrée scolaire montrant un futur possible plus apaisé.
Sorti en dvd zone 2 français chez Carlotta
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s'enfuit une jeune femme dénudé (dénudée).
RépondreSupprimerrapport douloureux au sexe et à la mort d'Ana. de la mère d'Ana.