Certains exégètes du rock distinguent son âge d’or en deux périodes
distinctes, 1965-1968 et 1977-1979. Non pas que les autres années
déméritent en grands disques, loin de là, mais sortis du rock’n’roll des
pionniers, tout les soubresauts (culturels, vestimentaires) de cette
musique semblent influencés et déterminés par ces deux moments clé. Pour
exemple, le rock progressif et le hard rock, genres rois de la
première moitié des 70’s, ne sont que des prolongements pour le premier
des expérimentions de la vague psyché et le second des ruades du rock
garages des
sixties. Quant à la vague grunge des années 90,
elle reproduisait différemment les phénomènes du mouvement punk, tant
dans sa culture du «
do it yourself » que par sa récupération future par les majors. On peut en dire autant des années 2000, vraie décennie du
revival,
qui n’aura rien inventé mais contribué à brillamment faire revivre
toutes les autres grâce à des groupes doués et cultivés (la
démocratisation du piratage aidant…)
En France, si nous avons pu faire preuve de quelques éclats au niveau de
la pop (le séisme Gainsbourg n’étant pas des moindres), pour ce qui est
du rock, nous avons toujours été sérieusement à la traîne. Le premier
âge d’or vit les groupes de rock français noyés sous la vague yé yé (qui
éclipsait même parfois les artistes étrangers avec d’affreuses
relectures franchouillardes de tube Motown entre autres) et un peu plus
tard, seuls des ovnis comme Magma (groupe de rock progressif majeur
ayant entre autre inventé sa propre langue dans laquelle étaient chantés
les morceaux) pu se faire connaître hors de nos frontières. On en
revient donc à ce fameux deuxième âge d’or 77-79, qui vit l’émergence du
punk, de la
new wave et du post punk. Les groupe français
doués trouvaient une certaine audience et la télévision se faisait enfin
le relais des secousses musicales venues d’ailleurs. Parmi les
émissions phares,
Chorus est une des toutes premières et sans
doute la plus culte. Le programme naquit et disparu comme souvent d’un
concours de circonstances typiquement français : le fils adolescent du
président de la chaîne était féru de rock puis s’en désintéressa une
fois entré en grande école.
Le coffret édité par l’INA se propose de montrer les
meilleurs moments de l’émission. La vision (ou revision pour les plus
âgés) de cet intact panorama de la modernité de
Chorus s’impose, autant par rapport aux émissions qui l’ont précédé que de celles qui ont suivies. Avant
Chorus, les quelques émissions rock apparues donnaient dans un sérieux de cathédrale vraiment pas rock’n’roll, comme
Pop 2 (présenté par Patrice Blanc-Francard), où des
rock critics abordaient la chose sur un ton professoral poussiéreux.
Les Enfants du Rock durant les 80’s offre le seul pendant valable à
Chorus,
mais le talent très relatif de certains groupes phares de l’époque
range plus l'emission du côté d’une certaine nostalgie. Aujourd’hui, on
citera bien évidemment
Taratata, mais entre son très
envahissant Nagui et une programmation qui oscille entre rock (classique
comme nouveaux talents) et grosse variété française, le quota est loin
d’être rempli.
Chorus évitait tout ses écueils grâce à la passion
communicative et l’éclectisme d'Antoine De Caunes, qui mettait en avant
ce qui était au bout du compte la seule chose importante : la musique.
La présence de l’animateur se faisait donc minimale, uniquement
informative et tournée vers la dérision, avec de cours modules farceurs
(où intervenait le trublion Jacky, plus connu pour être un des acolytes
de Dorothée) entre les performances des artistes. Les 3 DVDs du coffret reflètent donc parfaitement les évolutions
musicales de ce moment charnière et la programmation ouverte d’Antoine
de Caunes.
Chacun des menus déroule une suite de prestations enchaînées (
playlist), un plus long
live consacré à un groupe phare (
Big concert) et quelques performances rallongées de deux ou trois titres (
live express). Sur le premier disque, tous les ténors du post punk et de la
new wave
naissants s’enchaînent donc avec Magazine, Siouxsie and The Banshees ou
encore une prestation explosive des Cure (avec pour les fans la
mythique
A Forest interprétée sur des paroles différentes !).
On s’amusera d’ailleurs pour ces derniers de l’allure d’adolescents
débraillés arborée par un groupe au look futur si étudié (Robert Smith
osant le bas de survêtement rose !). Le gros morceau : un
live incandescent des Clash alors que l’immense
London Calling vient de sortir.
Le second disque fait honneur à la vague française, avec les aussi doués
qu’oubliés Marquis de Sade, Taxi Girl ou encore les Dogs, tandis que
Téléphone tient son rang de Rolling Stones/Who français par une
flamboyante prestation. Autres moments forts : les Jam de Paul Weller,
au sommet de leur art, les Undertones teigneux et l’hilarant set des
rude boys
de Madness. Pat Benatar, aisément rangé au rayon des plaisirs coupables
aujourd’hui, offre également un moment phénoménal sur une
Heartbraker
sauvage. Le troisième disque est plus éclaté, entre la présence
surprenante de Yellow Magic Orchestra (premier groupe de Ryuichi
Sakamoto), le folk envoûtant de John Martyn, le rock classieux des
Pretenders ou la rage de Elvis Costello.
Là aussi on constate un réel fossé avec la manière de filmer la musique
live
aujourd’hui. Chorus datant des balbutiements du clip, tous les tics
cherchant à dynamiser le rapport musique/image (pour le meilleur et pour
le pire) sont absents, au privilège d'une mise en scène (assurée par
Don Kent et Claude Ventura) totalement au service des musiciens et de
leur performance. La caméra suit le plus souvent un musicien seul ou
l’ensemble du groupe en se plaçant à différents endroits de la scène
(grand plan d’ensemble du fond de la salle, caméra portée derrière le
batteur ou accompagnant les musiciens sur scène) dans un montage très
peu découpé, où on savoure en leur entier les prouesses musicales des
plus chevronnés, tels un Stewart Copeland au
feeling stupéfiant
à la batterie pour Police. Le public, sans être invisible, ne se devine
qu’à travers les réactions des artistes (la caméra passant souvent
derrière l’artiste au micro) et n’est réellement mis en avant qu’en cas
de sollicitations fougueuses des groupes comme les sauts de kangourous
communicatifs de Madness ou les assauts teigneux de Elvis Costello.
Tournés au théâtre de l’Empire puis au Palace, les concerts de
Chorus
étaient diffusés à l’heure dominicale le dimanche et éveillèrent toute
une génération à des sonorités nouvelles de 79 à 81. Les images
d’époques sont plutôt bien conservées et ces presque 9h de musique sont
un vrai enchantement, même s’il semble que pas mal aient été coupées
(Devo ? Roxy Music ?)... peut être pour un volume 2 en cas de succès (?)
Pas de bonus, si ce n’est un livret contenant des interviews d'Antoine
De Caunes et Yves Bigot et un petit historique de l’émission. Quelques
recherches permettront de mettre la main sur de savoureux bonus cachés
entre l’hypnotique passage de Kratwerk (sans public !) et une interview
décalée des Stray Cats où Jacky s’en donne à cœur joie dans le
grotesque.
Sorti en dvd aux éditions de l'INA
Extrait