Le petit Sammy perd
brusquement son père et sa mère lors d'un bombardement de Port Saïd, en Égypte,
pendant la Crise de Suez en 1956. Juste avant de mourir, sa mère avait évoqué
le projet de l'envoyer rejoindre Durban, à l'autre extrémité du continent africain,
rejoindre sa tante qui tient un petit hôtel. Se retrouvant totalement seul et
sans rien sur lui que ses vêtements, quelques pièces et un sifflet-boussole,
Sammy entreprend de rejoindre Durban, en se dirigeant obstinément vers le sud
grâce à sa boussole. Il rencontre un certain nombre de personnes qui tentent de
l'aider.
Sammy Going South
est la pièce centrale et méconnue d’une trilogie autour de l’enfance dans la
filmographie d’Alexander Mackendrick, précédé par Mandy (1952) et suivi par Cyclone à la Jamaïque (1965). Le film fait office de planche de salut pour le
réalisateur dont la carrière hollywoodienne a tourné court. Le Grand Chantage (1957) fut ainsi un
échec commercial où le perfectionnisme de Mackendrick causa de nombreux
dépassement et lui aliéna son prestigieux producteur Burt Lancaster. Ce dernier
n’hésiterai pas à le congédier en cours de tournage sur Au fil de l’épée (1959) au profit de Guy Hamilton, la même déconvenue
étant subie pour Les Canons de Navarone
(1961) cette fois pour le bonheur de Jack Lee Thompson. Alexander Mackendrick
retrouve pour Sammy Going South Michael
Balcon, son producteur des glorieuses années du Studio Ealing. Le projet (adapté
du roman éponyme de W. H. Canaway paru en 1961) semble idéal pour se remettre
en selle avec sa promesse d’aventures et de récit initiatique à travers ce
postulat d’un petit garçon traversant seul les dangers de l’Afrique pour retrouver
sa tante. C’est du moins la vision qu’en a Michael Balcon mais Mackendrick va
vite emmener le film vers des rives plus troubles.
La figure cinématographique de l’enfant mignon, attachant et
candide, Mackendrick l’illustre et s’en débarrasse dès son introduction. La situation
géopolitique instable (le film se situe pendant la crise de Suez en 1956) et l’anxiété
des adultes sont ainsi littéralement ressentis à hauteur d’enfant. Le jeune Sammy
(Fergus McClelland) rampe au sol avec ses jouets tandis que ses parents réduits
à des silhouettes sans visages (si ce n’est un bref plan sur le visage de la
mère) s’interrogent sur l’attitude à adopter et notamment l’envoyer chez sa
tante à Durban en Afrique du sud. Cette information primordiale et l’invective
de sa mère (lève toi tu n’es plus un petit garçon pour ramper par terre) sont
deux éléments cruciaux pour la suite du récit.
L’extérieur où s’enfuit
discrètement Sammy constituera un ultime terrain de jeu avant que les ravages d’un
bombardement brisent définitivement l’enfance de notre héros. Mackendrick
saisit la confusion entre le réalisme sordide du contexte et le point de vue
différent de Sammy forcé de grandir brutalement. Les plans sur décombres de la
maison où ont péris les parents alternent avec des détails qui tiennent à la
fois du macabre et du conte cruel ; les corps emportés sur les civières et
la concrétisation de la perte par un chausson de la mère tombant au sol en gros
plan. Le réalisateur montre l’innocence perdue par des gros plans sur Sammy
hurlant après sa mère puis l’isole dans la foule par une contre-plongée en
longue focale qui traduit par l’image sa bascule dans le monde adulte en
contrepoint de l’ouverture dans la maison.
Dès lors face à cet univers hostile Sammy ne conservera de l’enfance
qu’une forme de détermination butée et égoïste guidée par l’objectif de
rejoindre sa tante. Mackendrick ne choisit pas de montrer l’innocence enfantine
face à la corruption des adultes mais joue plutôt sur une instabilité bien
humaine ne reposant pas forcément sur l’âge. Chaque « rencontre »
plus ou moins bienveillante de Sammy reposera alors presque toujours sur une
forme d’ambiguïté, de manque de compréhension qui provoquera la rupture. Sammy
devient tour à tour objet de défoulement pour les autochtones (son ami égyptien
qui oublie leur lien passé pour seulement vouloir tabasser ce « sale
anglais »), de convoitise pour la promesse de récompense qu’il représente
pour qui ramènera ce garçonnet blanc à bon port. Mackendrick sème le doute à
travers des personnages à la bienveillance douteuse ou beaucoup trop neutre qui
cherchent à l’aider, un syrien (Zia Mohyeddin) aussi amical que sournois qui le
guidera dans le désert ou un grec grassement payé pour le retrouver. Le
réalisateur sera cependant freiné par Michael Balcon qui voit lui échapper le
charmant récit picaresque promis. Une scène où le syrien faisait des semblants
d’avances à Sammy sera ainsi tournée mais coupée au montage.
Si la méfiance au gré des rencontres est de mise pour notre
héros, Mackendrick entoure aussi sa personnalité d’une certaine noirceur. Le
réalisateur est coutumier du fait dans ses figures concrètement où simili
enfantine, toujours isolée de leur environnement. La jeune muette de Mandy se montre violemment réfractaire
aux efforts pourtant bienveillants et sincère de lui apprendre à parler, de se
mêler aux enfants de son âge. Dans L’Homme au complet blanc (1951) Alec Guinness s’apparente à un garçonnet obnubilé
par ses inventions de chimiste et se montre indifférent à leurs conséquences en
créant le tissu insalissable. Sammy fonctionne de la même façon dans sa volonté
de rejoindre sa tante, provoquant involontairement la mort du syrien, n’ayant
cure de la gentillesse d’une américaine (Constance Cummings) soucieuse de son
sort et abandonnant Spyros (Paul Stassino) en pleine savane. L’enfant n’est pas
pour Mackendrick une figure angélique mais un être dont l’égoïsme vient autant
d’une immaturité empêchant encore l’empathie qu’à l’inverse un individualisme
adulte précoce qui ne l’amène à se soucier que de lui.
Le débutant Fergus
McClelland exprime parfaitement cela. Il dégage une dureté et une confusion
issue de sa propre enfance difficile (avec le divorce douloureux de ses
parents) tout en ayant cette allure poupine charmante. Mackendrick se reposera
sur ce passif difficile mais qui ne s’affirmera pas totalement dans l’allure
émaciée et hagarde qu’on peut attendre dans la réalité chez un garçon de 10 ans
voyageant seul dans un contient inconnu et hostile. Fergus McClelland s’avéra
en effet un enfant bien plus épanoui durant le tournage où toute l’équipe fit
preuve d’attention à son égard, le nourrissant et lui donnant cette allure bien
portante et sans doute incohérente dans le récit – mais qui équilibre
finalement les visions de Michael Balcon et Alexander Mackendrick.
Le réalisateur en traduisant le point de vue renfrogné de
son personnage se déleste du coup longtemps de l’imagerie luxuriante et
exotique attendue de l’Afrique. Le désert est sombrement menaçant et les
pyramides et statues de Louxor des mastodontes inquiétants surgissant dans une
fièvre hallucinée notamment. La magnificence ne peut se déployer tant que Sammy
vit dans l’anxiété et sa quête autiste, à l’autre comme à l’environnement.
Mackendrick ne s’autorise une majesté formelle que quand Sammy côtoie des
protagonistes qui l’accompagne et l’aide sans le guider, qui l’accueille sans
le retenir.
Le voyage en bateau en compagnie d’un paisible pèlerin puis les
méandres de la savane découverts avec le chercheur de diamant Cocky (Edward G.
Robinson) laissent enfin beauté suspendue et contemplative s’installer. Sammy
plus sur le qui-vive peut redevenir un garçonnet distrait (le joli moment où le
pèlerin tente un semblant de discours philosophique et abandonne en voyant
Sammy se gratte) et capable de s’émerveiller face à la splendeur sauvage qui l’entoure.
Mackendrick à travers ce lâcher prise fond son personnage dans cette Afrique
dont il s’imprègne et ne traverse plus seulement avec méfiance (le voyage en
bateau où il se mêle aux locaux plutôt que d’aller en première classe avec les
occidentaux). C’est aussi le moment de faire ressurgir sa vulnérabilité enfouie
sous la détermination farouche.
Le pèlerin tout comme Cocky apparaissent à
Sammy à travers une aura à la fois fascinante (une scène de prière pour le pèlerin,
gravissant une falaise qu’il vient de faire exploser pour Cocky) et paternelle
qui ramène Sammy au besoin de protection et autorité inhérent à son âge. Il
peut donc se libérer par une plus grande insouciance avec le pèlerin, et se
laisser aller aux confidences et remords (les petites trahisons faites durant
son parcours) avec Cocky qui saura le réconforter. Toute la dernière partie
plus apaisée repose sur cette rencontre, cette affection spontanée entre Sammy
et Cocky (truculent Robinson) à travers de belles séquences intimistes et
parfois spectaculaire comme la chasse au guépard. Une nouvelle fois cela s’entremêle
aussi à la vision de l’Afrique et ces habitants, admirable si l’on est serein
en les côtoyant. Une scène est emblématique à cet égard, quand Sammy se
réveille à l’arrière d’une jeep entouré de noirs et où sa peur initial s’estompe
face à leurs chants et sourires.
Le bel épilogue, au terme de bien des péripéties, repose
totalement sur cette approche en laissant Sammy aller au bout de son obsession
(ce que Cocky a compris) tout en le montrant au bout du voyage inchangé. Il a
juste fait un petit bout de chemin et le plein de souvenirs, mais il est
toujours un enfant de son âge plein d’allant et de rêve !
Sorti en dvd zone 2 français chez Tamasa