Mandy, sourde à sa
naissance, est tiraillée entre ses parents qui ne sont pas d’accord sur
l’éducation à lui donner. Sa mère l’inscrit dans une institution spécialisée où
un professeur la convainc que, grâce à ses méthodes, Mandy pourra peu à peu
apprendre à parler. Jaloux du professeur, le père retire l’enfant de
l’institution…
On connaît surtout Alexander Mackendrick pour sa veine
mordante qui fit merveille le temps d’une poignée de chef d’œuvre au sein du
studio Ealing (Whisky à gogo (1949), L’Homme au complet blanc (1951) ou encore
Tueurs de dame (1955)) et lui valut
un ralentissement de carrière prématuré avec le très sombre Le Grand Chantage (1955) réalisé à
Hollywood. Les charges du réalisateur concernaient pourtant toujours
l’institution tandis qu’une vraie tendresse pouvait s’exprimer dès qu’il
s’agissait de s’attarder sur l’individu ou la collectivité bienveillante.
Seulement, la noirceur de Mackendrick dominait le plus souvent cette facette
plus douce quand c’est précisément l’inverse qui se déroulera dans ce
magnifique Mandy. Le film adapte le
roman The Day Is Ours de Hilda Lewis
paru en 1946. Surtout connue en Angleterre pour ses romans historiques, Hilda
Lewis signa également quelques célèbres romans pour enfant comme The Ship that Flew et donc The Day is Ours qui s’inspire de son
expérience d’enseignante et plus précisément de celle de son époux Michael
Lewis, spécialiste de l’enseignement des sourds à l’université de Nottingham.
Alexander Mackendrick capture ainsi avec délicatesse ces
approches, que ce soit la violence et solitude du monde de l’enfance quand on
souffre d’un handicap ou l’attention et la persévérance du corps enseignant
pour guérir ces maux. Ce sera tout d’abord les différents points de vue sur le
handicap qui guideront le propos moral et social du récit. La découverte de la surdité de Mandy se fait par
des idées formelles et narratives qui annoncent les conflits à venir. Christine
(Phyllis Calvert) s’alerte ainsi la première que sa fille Mandy (Mandy Miller)
ne parle pas et soit si peu réactive à son environnement. La tension dramatique
naît constamment du fossé de jugement entre la mère et le père Harry (Terence
Morgan). Mackendrick passe constamment d’un plan de la fillette isolée par son
mal du point de vue de la mère à un gros plan de celle-ci pour toujours appuyer
sa vigilance et sa détresse - ce visage anxieux lorsque le fils d’une amie lui
dit au revoir quand son propre enfant reste silencieux – plus grandes que chez
son époux. Ce dernier est d’abord dans le déni et la désinvolture lorsqu’il
voudra éprouver les dires de Christine, et Mackendrick alterne cette fois son
point de vue sur Mandy qui a tout du bébé « normal » avec un plan
d’ensemble qui symbolise ce refus de voir. Toute cette construction se révèle
lorsqu’ils iront tester l’attention de Mandy dans sa chambre, celle-ci
paraissant réagir à leur arrivée sans les voir mais ayant juste été alertée par
la lumière diffusée par l’embrasure de la porte. Quand le père ne retient que
la réactivité initiale la mère en voit le vrai motif et cerne le handicap qui
sera confirmé par les spécialistes : Mandy est et sera toujours sourde à
cause d’une malformation.
L’ensemble du film repose ainsi sur ce double regard opposé.
Si le bébé choyé peut s’épanouir dans la douceur du foyer, Mandy désormais âgée
de six ans souffre de son isolement et chaque interaction accidentelle à son
environnement est source de drame. Visuellement le mur séparant la cour de la
maison où déambule seule Mandy à l’aire de jeu voisine exprime cette solitude.
Chaque étranger rencontré se réduit à un visage, une bouche ou un œil menaçant
dans des gros plans saisissants. Les taquineries ordinaires d’enfants
deviennent source de grande confusion - les cadrages incertains accompagnant
Mandy incapable de récupérer son ballon – pour finalement n’exprimer qu’une
idée : sortie du cercle intime, le monde extérieur n’est que souffrance et
peur pour Mandy.
Le cocon familial de Mandy ne l’expose en fait que plus
durement aux soubresauts de cet inconnu, auquel elle ne peut répondre que par
une violence instinctive exprimant sa détresse. On passe ainsi des sentiments
du déni pour le père, de la compréhension pour la mère et la peur pour Mandy.
Celui qui résoudra l’ensemble est la compréhension mais cela ne se fera pas
sans heurts. C’est là qu’on retrouvera le mordant de Mackendrick qui fustige le
monde bourgeois de la famille de l’époux ou le handicap est un mal qui doit se
cacher. L’institution en prend pour son grade également avec l’administrateur (Edward
Chapman) de l’école incapable d’empathie et n’y voit qu’une façade, un bilan
comptable à équilibrer – comme le soulignera un dialogue cinglant – plutôt que
des individus à aider.
Pour Christine, il s’agit de lâcher prise pour déléguer
l’aide qu’elle ne peut donner à sa fille. Par son opposition à son époux et sa
belle-famille, elle dégage une forme de modernité et individualité dans la
société anglaise quand l’enseignant dévoué Dick Searle (Jack Hawkins) exprime
ce même symbole face à la bureaucratie. Ces deux rebelles se rapprochent donc
pour le bien de Mandy mais si les mœurs sont respectées et que tout rentrera
dans l’ordre, Mackendrick dévoile une romance platonique allant plus loin que
la simple calomnie. La profonde attention et douceur des deux personnages en
font des figures complices et donc coupables à la fois du point de vue biaisé
du mari jaloux et des mauvaises langues, mais aussi par leur propre attitude
ambiguë – le regard tendre de Christine sur Dick faisant grandement évoluer
Mandy, la déception dans sa voix lorsqu’elle apprend qu’il est marié… Ce sont
ces petites incertitudes qui rendent le film plus prenant encore et lui évite
toute mièvrerie.
Mais là où Mandy
cueille véritablement le spectateur, c’est quand il dépeint avec grâce les
heurts et bonheur du processus d’apprentissage.
L’ouverture au monde de Mandy s’observe dans un mélange de bienveillance
et de rigueur où chaque étape met en valeur les efforts de la fillette et ceux
de ses professeurs. Tout cela évolue en parallèle, les premières heures
difficiles de Mandy – qui découvre la vie en communauté et le langage bien trop
tard pour son âge - au sein de l’école confrontant le corps enseignant à une impasse
qui constitue également un apprentissage pour eux – tel cette jeune éducatrice
(Patricia Plunkett) passant de l’incompréhension à l’exaltation lorsque le
travail de transmission fait son œuvre. Le monde étouffant et inconnu semble
constamment s’élargir au fil de sa compréhension par la fillette. Le cocon
protecteur de l’école n’est pas comme celui de la famille une barrière face à l’extérieur
mais une ouverture. L’intime et l’épique se confondent en suspendant toute l'émotion au moindre pas en avant que fera Mandy, sa première syllabe de Mandy ou la première fois qu’elle prononcera « maman ».
L’effort et le bonheur de l’éveil se lisant sur son visage se confond avec la
satisfaction de l’enseignant pour une récompense commune. Alexander Mackendrick
joue magnifiquement de cette connexion élève/professeur dans sa mise e scène.
Dans l’espace
de l’appartement on aura notamment plan moyen captant Mandy et Dick Searle face
à face, un léger panoramique passant de l’un à l’autre comme pour nous
signifier la compréhension et le passage de ce savoir de l’un à l’autre. A l’inverse
dans la salle de classe le monde de l’enfance enfin accueillant contribue à la
sérénité de Mandy et son institutrice (magnifique interprétation de Dorothy
Alison) saura même rebondir sur sa fébrilité pour la faire avancer. La jeune Mandy Miller offre une interprétation
incroyablement sensible et expressive, au point de laisser croire à l’époque
aux spectateurs qu’elle était réellement sourde. Phyllis Calvert en mère
courage est tout aussi touchant au côté d’un Jack Hawkins habité sous ses airs
bourru. Tout l’univers de Mandy semble se rééquilibrer une fois l’apprentissage
assimilé, ce qu’exprime une magnifique dernière scène où toutes les peurs - les
siennes et celles de ceux qui l’aime – s’estompent pour enfin aller avec confiance
vers les autres.
Sorti en dvd zone 2 français chez Tamasa
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