Un prêtre catholique
écossais, l'abbé Chisholm, aux idées peu conventionnelles dans l'Angleterre
divisée entre diverses confessions, est envoyé en Chine, où il se refuse à
convertir les Chinois à coup d'argent et de pression, mais par le seul
rayonnement de son témoignage. Il traverse des années de guerre, d'épidémies et
de disette, et gagne la confiance des habitants, ainsi que celle des trois
religieuses européennes qui sont envoyées pour l'aider, après la méfiance des
débuts.
Les Clés du royaume
s’inscrit dans un courant porté sur le « biopic » religieux alors en
vogue au sein de la Fox. Un créneau lucratif et synonyme de prestigieuse
récompenses, avec notamment un Oscar du meilleur acteur pour Bing Crosby grâce La Route semée d’étoiles de Leo McCarey
(1944) et son seul Oscar de la meilleure actrice pour Jennifer Jones sur Le Chant de Bernadette de Henry King
(1943). Ce qui sauve ces entreprises des bons sentiments et de l’académisme
inévitable, c’est éventuellement un regard de cinéaste singulier et surtout une
prestation emphatique de l’acteur incarnant la figure religieuse – deux qualités
qu’on trouve notamment avec la prestation habitée de Jennifer Jones et la mise
en scène inspirée d’Henry King. C’est donc la démarche des Clés du Royaume, deuxième film de Gregory Peck et premier rôle
majeur pour l’acteur. Même si les exceptions sont nombreuses - Duel au soleil (1946) de King Vidor en
tête - Gregory Peck aura souvent incarné aux yeux du public une figure de
sagesse et de droiture, ou du moins qui aspire à l’être. Cette identité
filmique se forge donc dès ces débuts à travers le personnage de ce prêtre en
constante construction intime.
Dès le début du film, l’abbé Chisholm (Gregory Peck)
vieillissant semble en marge des codes ecclésiastiques de par ses idées peu
conventionnelles et heurte les préceptes du cardinal venu le superviser. La
narration en flashback dépeint donc son parcours depuis l’enfance et le
phénomène qu’il constitue dans un monde binaire. Fils d’un père catholique – ce
qui était le cas d’A.J. Cronin l’auteur du roman qu’adapte le film -, dans
l’Ecosse protestante, il perdra tragiquement ses deux parents pour justement
cette guerre de religion. Dès lors Chisholm semble constamment arborer une
distance, entre hauteur et hésitation face au monde qui l’entoure. On voit déjà
la stature imposante et le charisme simple de Gregory Peck se révéler, mais associé
à une gaucherie juvénile qui participe à l’indécision de son personnage. Animé
de la vocation religieuse tout en étant amoureux de son amie d’enfance,
Chisholm semble constamment incertain dans une société figée. C’est dans une
contrée loin de ces clivages qu’il va s’accomplir, cette Chine où il est envoyé
en mission. Même si l’on regrettera l’absence
de vraie caractérisation fouillée des personnages chinois, tous sont
respectueusement présentés et servent la justesse du regard de Chisholm.
Chaque interaction avec les locaux sert ainsi dans l’immédiat
ou à plus long terme l’absence de dogmatisme du héros dans l’exercice de sa
religion. Face à deux « fidèles » dont la foi ne tient qu’à une
possible rémunération, ce sera le rejet de sa part. Lorsqu’un mandarin dont il
a soigné le fils veut se convertir par simple reconnaissance, ce sera également
un refus poli. Tout comme sa vocation de prêtre sera un perpétuel
apprentissage, il attend un même cheminement vers la fois de ses
interlocuteurs. C’est cet équilibre entre la modestie du personnage et l’aura
de Gregory Peck qui amène les moments les plus intéressants du film. Lorsque cet
héroïsme quitte la sphère intime, le ton se fait nettement plus convenu
notamment lorsque Chisholm est pris entre deux feux lors d’une guerre politique
locale.
On sent comme une manière forcée d’ajouter une péripétie plus
spectaculaire où le subtil sauveur d’âmes doit devenir un héros d’action parce
que tout de même, il s’agit de capitaliser un minimum sur le physique imposant
de Gregory Peck. La vraie émotion naît
lorsque s’élève au-dessus du dogme aveugle pour simplement exprimer la bonté et
la compréhension de l’homme juste. La magnifique scène de mort de son ami
Willie Tulloch (truculent Thomas Mitchell), incorrigible et rigolard athée en
témoigne : plutôt que soutirer un ultime salut et une conversion du
mourant, Chisholm le laisse s’éteindre paisiblement sans forcer ses conviction.
Le parallèle avec le cardinal plus pédant joué par Vincent
Price jouera aussi, la modestie et la dévotion de Chisholm exprimant un plus
bel idéal de religion que celle embourgeoisée de cet alter-ego. Cela reste tout
de même assez caricatural et c’est une nouvelle fois sur le long terme et la
relation avec la nonne Maria-Veronica que s’exprimera le clivage de classe
finalement en cours au sein de l’église. La conversion selon Chisolm se fait
ainsi en se mêlant humainement aux autochtones, la dévotion et le travail en
commun en faisant un modèle auquel ressembler et suscitant la curiosité de son
culte. La nonne exprime une église hautaine, froide et inquisitrice cherchant à
imposer plutôt qu’intéresser à la religion.
La narration prend ainsi le temps
des années, des épreuves et de la maturité pour rapprocher les deux
personnages. Si John Stahl se fait plus illustrateur qu’auteur – et loin de la
vraie flamboyance et intensité de ses grands mélodrames des années trente – son
talent à capturer l’intime rester intact et la sobriété de son approche
correspond finalement à celle de son héros. Une jolie odyssée donc – qu’on
aurait peut-être aimé plus exotique, cette Chine de studio étant assez terne –
et la première marche vers les sommets d’une des plus grandes stars
hollywoodienne.
Sorti en dvd zone 2 français et bluray chez ESC
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