Après un naufrage, le majordome d'une famille de la haute société
londonienne, veut prendre le commandement du groupe réfugié sur une île
déserte.
The Admirable Crichton est la quatrième
adaptation cinéma de la pièce de J. M. Barrie notamment après celles
hollywoodiennes de Cecil B. DeMille en 1919 avec Gloria Swanson et We're Not Dressing
de Norman Taurog (1934) avec Bing Crosby et Carole Lombard. La pièce de
Barrie fut écrite en 1902, fin de l'ère Victorienne et période où le
clivage de classe régissant l'Angleterre était son comble. Un film comme
Noblesse Oblige (1949) de Robert Hamer (1949) situé à cette époque
avait su en capturer avec un humour noir savoureux les injustices et les
comportements extrêmes qu'elle entraînait. The Admirable Crichton sur une même thématique apporte un regard plus tendre mais lucide sur la question.
C'est
d'abord le piquant de la farce qui domine dans la description du
quotidien de la demeure de Lord Loam (Cecil Parker), riche aristocrate
vivant avec ses trois filles Mary (Sally Ann Howes), Catherine (Mercy
Haystead) et Agatha (Miranda Connell). La stricte séparation entre
maîtres et domestiques y est montrée de façon comique, tant dans la
prévenance et l'extrême obséquiosité du majordome en chef Crichton que
de la dépendance ainsi que le dédain de Lord Loam et ses filles. Même
lorsque Lord Loam dans un élan de générosité organise un repas où
l'équité doit dominer, la véhémence contre l'initiative est aussi grande
chez les domestiques (entre gêne et réelle indignation) que chez les
maîtres, en particulier Mary, la plus hautaine de toutes. Néanmoins la
séquence laisse entrevoir des liens amicaux voir sentimentaux qui ne
sont cependant pas supposés avoir de suite. Ce qui empêche ce
rapprochement c'est le regard des autres, ce clivage de classe étant une
pure invention de la civilisation moderne.
C'est donc
l'isolement qui fera voler en éclats ces oppositions, lorsqu'un le
naufrage coince Crichton, les Loam, leur fiancés et la femme de chambre
Eliza (Diane Cilento) sur une île déserte. Le modèle social se poursuit
dans un premier temps, les mêmes moments ridiculement maniérés se
poursuivant dans les attitudes et la caractérisation étant toujours
aussi grossière (Eliza en gentille soubrette idiote à la grammaire
incertaine). Cependant si la supériorité des nantis apparaît comme une
évidence implicite dans la civilisation, sur l'île Crichton a
manifestement toutes les aptitudes physiques, intellectuelle et de
débrouillardise pour assurer la survie de ses compagnons. La bascule se
fait progressivement et à la énième séquence de soumission absurde (un
service de table à assurer en pleine faune) notre majordome rend son
tablier et laisse bientôt ses riches empotés à la famine.
Sous l'humour
le processus est habilement dépeint, l'effort de se soumettre à
l'autorité du subalterne étant une vraie souffrance notamment Mary.
Après une ellipse le constant sera cinglant, tous les clivages auront
cédés au nom de la collectivité même si Lewis Gilbert glisse quelques
moments loufoques. Ainsi la scène d'ouverture est reproduite à
l'identique dans les situations, la mise en scène et le découpage mais
en inversant les rôles : sous les tropiques c'est Lord Loam qui est aux
petits soins de Crichton au réveil. Cette équité libère les attirances
étouffées avec une romance inattendue entre Mary et Crichton, mais
également les brides intellectuelles où Liza traité d'égal à égal
s'exprime désormais avec aisance. On comprend mieux la caricature du
début du film qui ne visait pas à prendre les "inférieurs" de haut, mais
à montrer qu'adressés et stimulés comme tout autre ils pouvaient tout
autant s'épanouir. A l'inverse la mollesse empotée des riches s'estompe
aussi, notamment par Mary devenant une véritable amazone bronzée et
athlétique.
C'est en grande partie les prestations des acteurs
qui amènent une vraie profondeur au postulat assez schématique. Si
Kenneth More est comme souvent très bon en leader flegmatique et
séduisant, ce sont vraiment les deux actrices qui emportent le morceau.
Sally Ann Howes (qui a de faux airs de Grace Kelly dans le film) passe
du stéréotype de la jeune aristocrate à l'amoureuse éperdue avec brio,
tout comme Diane Cilento quittant ses airs ahuris pour une présence
apaisée. La quasi utopie veut que tous s'accomplissent dans cette
situation mais bien évidemment la civilisation va les rattraper. Là
encore les efforts de caractérisation et mise en place Lewis Gilbert
paient car lorsque tous les codes du monde moderne reprennent leurs
droits, c'est un déchirement plus qu'un gag.
Le réalisateur appuie
formellement cela par la réapparition brutale de l'uniforme de
majordome, et dramatiquement par la raideur d'attitude retrouvée, par
les dialogues renouant avec la froideur formelle qui prévaut. On a même
une superbe trouvaille dans une des dernières scènes où Crichton et Mary
éloignés dans une même pièce le sont aussi par la gamme chromatique (le
petit espace où se trouve Mary étant en noir et blanc) comme pour
signifier le fossé infranchissables qui les séparent de nouveau. Une
conclusion douce-amère donc qui pour un même constat suscitera néanmoins
un sentiment plus mélancolique que le génial cynisme de Noblesse Oblige. Sinon pour une relecture plus latine, féroce et romantique, il existe aussi le génial Vers une destinée insolite, sur les flots bleus de l'été (1974) réalisé beaucoup plus tard par Lina Wertmüller (qui a peut être lu J.M. Barrie).
Sorti en dvd zone 2 anglais chez Sony et doté de sous-titres anglais
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