Helen, une ancienne
danseuse de cabaret venue d'Allemagne est mariée à un chimiste américain, Edward
Faraday, malheureusement gravement irradié par du radium. Pour gagner de
l'argent dans le but de soigner son mari en Europe, Helen retourne sur scène,
dans le rôle de « la Vénus blonde », et obtient chaque nuit un vif succès. Elle
se sent aussi très attirée par un fringant homme politique : Nick Townsend
captivé par la Vénus blonde, qui va lui offrir un soutien financier...
Blonde Venus
marque un frein dans la collaboration à succès liant Marlene Dietrich et Joseph
von Sternberg. Ce cinquième film en commun - sur sept, précédé par L'Ange bleu (1930), Cœurs brûlés (1930), Agent X
27 (1931) et Shanghai Express
(1931), suivi par L'Impératrice rouge
(1934) et La Femme et le Pantin
(1935) – sera en effet un cinglant échec commercial, généralement attribué au
fait de voir Marlene Dietrich en femme d’intérieur. Les difficultés avaient
démarrées en amont lorsque la Paramount refusa de produire le film si la fin
initiale n’était pas modifiée. Joseph von Sternberg qui n’en était pas à sa
première difficulté avec les studios – se souvenir de ses mésaventures passées
au temps du muet entre remplacement abusif sur The Masked Bride (1925) et The
Exquisite Sinner (1926), film carrément détruit par Chaplin qui produisait son A Woman of the Sea – et abandonne le
projet, soutenue par Marlene Dietrich suspendue dans la foulée par Paramount.
Cette ténacité s’explique aussi sans doute du fait de l’implication personnelle
de la star qui en aurait écrit le premier traitement par la suite scénarisé par
Josef von Sternberg, Jules Furthman (éléments essentiel des films Dietrich/von
Sternberg puisque à l’écriture aussi sur Cœurs
brûlés, Agent X 27 et Shanghai
Express, et sans Dietrich Une
tragédie américaine suivi plus tard de Shanghai
Gesture (1941)) et S. K. Lauren. C’était la première fois que Marlene
Dietrich pouvait jouer une mère à l’écran, ce qui semblait lui tenir à cœur (le
premier traitement se nommant d’ailleurs Mother
Love) et qui permettra paradoxalement au projet de se décanter. La
rébellion de l’actrice (supposée être remplacée par Tallulah Bankhead) suscite
quelques remous dans l’opinion publique, au point de de recevoir des menaces d’enlèvement
pour la fille de Marlene Dietrich. Celle-ci menaçant de retourner à Berlin pour
sa sécurité, un arrangement est trouvé avec le studio et le film pourra
finalement se faire.
Ces prémisses mouvementées témoignent également de la
volonté de fer du personnage d’Helen (Marlene Dietrich) dans le film. Tout le
récit fonctionne sur le motif de la dérobade de l’héroïne à l’image dans
laquelle la fige ses interlocuteurs masculins. La délicieuse, élégiaque et érotique
scène d’ouverture capture Helen telle une nymphe nageant nue avec ces
compagnes. Cette vision féérique et émerveillée fige donc le regard d’Edward
(Herbert Marshall) lors de leur rencontre, imprégnant même le quotidien
ordinaire de leur foyer puisqu’une ellipse nous fait comprendre qu’ils sont
désormais mariés et vivent aux Etats-Unis. Cela s’articule par une belle idée
formelle, l’eau et la nage d’Helen se confondant à celle du bain de son fils Johnny
quelques années plus tard.
C’est encore plus intéressant narrativement et
thématiquement, le récit de cette première rencontre rêveuse servant même de
berceuse à Johnny sous le regard attendri de ses parents. Le drame vient briser
cette douce harmonie avec la maladie d’Edward forçant Helen à reprendre son activité
de chanteuse pour payer le traitement. Là, c’est au terme d’un mémorable numéro
musical (où Marlene effeuille un déguisement de gorille pour arborer sa tenue
de scène) qu’elle envoûte le riche politicien Nick Townsend (Cary Grant),
bienfaiteur qui va l’entretenir et indirectement « financer » la
guérison de l’époux. Là encore les environnements luxueux et raffinés où la
confine son amant correspondent au fantasme glamour qu’a symbolisé cette
première rencontre.
Si Helen assume les conséquences de ses actes, les hommes
sont incapables dépasser de l’idéal féminin dans lequel ils l’ont enfermés. Cet
idéal détermine d’ailleurs la nature de leur réaction. Edward malgré sa vie
sauve rejette violemment celle désormais « souillée » pour lui et Nick
préfère quant à lui l’exil plutôt que de voir Helen revenir au statut de
modeste femme d’intérieur. On peut même considérer notre héroïne comme
volontairement figée dans un autre regard masculin, celui de son fils. La
déchéance financière et morale dans laquelle s’abîme Helen par la suite n’a
pour but que de conserver la garde de Johnny, de demeurer sa mère. Les
dialogues ont beau édulcorer la vérité (l’arrestation pour « vagabondage »
pour ne pas prononcer le mot prostitution), l’avilissement d’Helen nourrissant
paradoxalement un sentiment de pur amour maternel.
Là encore l’affranchissement de l’héroïne se fait par le
regard masculin. La désinvolture avec laquelle l’aborde l’homme la traquant
pour son mari – et ne voit jamais en elle la mère de famille qu’il pourchasse –
lui fait comprendre combien elle est tombée bas et l’amènera à se séparer de
son fils. Marlene Dietrich illustre avec subtilité toutes ces mues où elle
conserve toujours sa dignité. L’élégance fanée passe par une démarche plus
désinvolte et un élément aussi anodin qu’un trou le manche de sa robe. L’intonation
douce et bienveillante du début du film laisse place à un propos rageur et
désabusé. Et surtout les gros plans où vo Sternberg s’empare de l’émotion à
fleur de peau du visage de Marlene Dietrich son restreint lors de la scène la
plus déchirante du film. Forcée de faire ses adieux à Johnny, Helen affronte l’épreuve
sans larmes ni cris, le réalisateur dissimulant son visage sous son chapeau
tout comme elle contient ses émotions et affronte dignement l’épreuve. Helen
accepte ainsi définitivement d’être la « créature » des yeux
masculins anonymes qui l’observent dans l’ultime séquence musicale. Le frac
blanc qu’elle arbore sur scène signifie par son éclat et sa neutralité – pour l’anecdote
on ajouta à la tenue ne ressortant pas suffisamment du brillant sur la
suggestion de la fille de huit ans de Marlene Dietrich, et l’astuce sera
conservée dans ses films suivant et sa carrière scénique des années 60 - son absence
d’attache au monde qui l’entoure.
Sans les hasards malheureux de la vie et la fermeture d’esprit
des hommes, elle n’aurait jamais quitté le « rôle » initial où elle
était heureuse. Assumant toutes ses transformations forcées, ce n’est pas à
Helen de changer mais à son entourage de reconstituer au-delà des rancœurs et
préjugés l’image de celle qu’ils ont aimés. C’est le processus de la magnifique
scène finale où Helen demeure cet être entier et courageux que l’autre a enfin
appris à regarder pour elle-même.
Sorti en bluray et dvd zone 2 français chez Elephant Films
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