Dévoreur de pellicule monomaniaque, ce blog servira à commenter pour ceux que cela intéresse tout mes visionnages de classiques, coup de coeur et curiosités. Je vais tenter le défi de la chronique journalière histoire de justifier le titre du blog donc chaque jour nouveau film et nouveau topo plus ou moins long selon l'inspiration. Bonne lecture et plein de découvertes j'espère! Vous pouvez me contacter à justinkwedi@gmail.com, sur twitter et instagram

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vendredi 14 avril 2017

La Vénus Blonde - Blonde Venus, Joseph von Sternberg (1932)


Helen, une ancienne danseuse de cabaret venue d'Allemagne est mariée à un chimiste américain, Edward Faraday, malheureusement gravement irradié par du radium. Pour gagner de l'argent dans le but de soigner son mari en Europe, Helen retourne sur scène, dans le rôle de « la Vénus blonde », et obtient chaque nuit un vif succès. Elle se sent aussi très attirée par un fringant homme politique : Nick Townsend captivé par la Vénus blonde, qui va lui offrir un soutien financier...

Blonde Venus marque un frein dans la collaboration à succès liant Marlene Dietrich et Joseph von Sternberg. Ce cinquième film en commun - sur sept, précédé par L'Ange bleu (1930), Cœurs brûlés (1930), Agent X 27 (1931) et Shanghai Express (1931), suivi par L'Impératrice rouge (1934) et La Femme et le Pantin (1935) – sera en effet un cinglant échec commercial, généralement attribué au fait de voir Marlene Dietrich en femme d’intérieur. Les difficultés avaient démarrées en amont lorsque la Paramount refusa de produire le film si la fin initiale n’était pas modifiée. Joseph von Sternberg qui n’en était pas à sa première difficulté avec les studios – se souvenir de ses mésaventures passées au temps du muet entre remplacement abusif sur The Masked Bride (1925) et The Exquisite Sinner (1926), film carrément détruit par Chaplin qui produisait son A Woman of the Sea – et abandonne le projet, soutenue par Marlene Dietrich suspendue dans la foulée par Paramount. Cette ténacité s’explique aussi sans doute du fait de l’implication personnelle de la star qui en aurait écrit le premier traitement par la suite scénarisé par Josef von Sternberg, Jules Furthman (éléments essentiel des films Dietrich/von Sternberg puisque à l’écriture aussi sur Cœurs brûlés, Agent X 27 et Shanghai Express, et sans Dietrich Une tragédie américaine suivi plus tard de Shanghai Gesture (1941)) et S. K. Lauren. C’était la première fois que Marlene Dietrich pouvait jouer une mère à l’écran, ce qui semblait lui tenir à cœur (le premier traitement se nommant d’ailleurs Mother Love) et qui permettra paradoxalement au projet de se décanter. La rébellion de l’actrice (supposée être remplacée par Tallulah Bankhead) suscite quelques remous dans l’opinion publique, au point de de recevoir des menaces d’enlèvement pour la fille de Marlene Dietrich. Celle-ci menaçant de retourner à Berlin pour sa sécurité, un arrangement est trouvé avec le studio et le film pourra finalement se faire.

Ces prémisses mouvementées témoignent également de la volonté de fer du personnage d’Helen (Marlene Dietrich) dans le film. Tout le récit fonctionne sur le motif de la dérobade de l’héroïne à l’image dans laquelle la fige ses interlocuteurs masculins. La délicieuse, élégiaque et érotique scène d’ouverture capture Helen telle une nymphe nageant nue avec ces compagnes. Cette vision féérique et émerveillée fige donc le regard d’Edward (Herbert Marshall) lors de leur rencontre, imprégnant même le quotidien ordinaire de leur foyer puisqu’une ellipse nous fait comprendre qu’ils sont désormais mariés et vivent aux Etats-Unis. Cela s’articule par une belle idée formelle, l’eau et la nage d’Helen se confondant à celle du bain de son fils Johnny quelques années plus tard. 

C’est encore plus intéressant narrativement et thématiquement, le récit de cette première rencontre rêveuse servant même de berceuse à Johnny sous le regard attendri de ses parents. Le drame vient briser cette douce harmonie avec la maladie d’Edward forçant Helen à reprendre son activité de chanteuse pour payer le traitement. Là, c’est au terme d’un mémorable numéro musical (où Marlene effeuille un déguisement de gorille pour arborer sa tenue de scène) qu’elle envoûte le riche politicien Nick Townsend (Cary Grant), bienfaiteur qui va l’entretenir et indirectement « financer » la guérison de l’époux. Là encore les environnements luxueux et raffinés où la confine son amant correspondent au fantasme glamour qu’a symbolisé cette première rencontre. 

Si Helen assume les conséquences de ses actes, les hommes sont incapables dépasser de l’idéal féminin dans lequel ils l’ont enfermés. Cet idéal détermine d’ailleurs la nature de leur réaction. Edward malgré sa vie sauve rejette violemment celle désormais « souillée » pour lui et Nick préfère quant à lui l’exil plutôt que de voir Helen revenir au statut de modeste femme d’intérieur. On peut même considérer notre héroïne comme volontairement figée dans un autre regard masculin, celui de son fils. La déchéance financière et morale dans laquelle s’abîme Helen par la suite n’a pour but que de conserver la garde de Johnny, de demeurer sa mère. Les dialogues ont beau édulcorer la vérité (l’arrestation pour « vagabondage » pour ne pas prononcer le mot prostitution), l’avilissement d’Helen nourrissant paradoxalement un sentiment de pur amour maternel.

Là encore l’affranchissement de l’héroïne se fait par le regard masculin. La désinvolture avec laquelle l’aborde l’homme la traquant pour son mari – et ne voit jamais en elle la mère de famille qu’il pourchasse – lui fait comprendre combien elle est tombée bas et l’amènera à se séparer de son fils. Marlene Dietrich illustre avec subtilité toutes ces mues où elle conserve toujours sa dignité. L’élégance fanée passe par une démarche plus désinvolte et un élément aussi anodin qu’un trou le manche de sa robe. L’intonation douce et bienveillante du début du film laisse place à un propos rageur et désabusé. Et surtout les gros plans où vo Sternberg s’empare de l’émotion à fleur de peau du visage de Marlene Dietrich son restreint lors de la scène la plus déchirante du film. Forcée de faire ses adieux à Johnny, Helen affronte l’épreuve sans larmes ni cris, le réalisateur dissimulant son visage sous son chapeau tout comme elle contient ses émotions et affronte dignement l’épreuve. Helen accepte ainsi définitivement d’être la « créature » des yeux masculins anonymes qui l’observent dans l’ultime séquence musicale. Le frac blanc qu’elle arbore sur scène signifie par son éclat et sa neutralité – pour l’anecdote on ajouta à la tenue ne ressortant pas suffisamment du brillant sur la suggestion de la fille de huit ans de Marlene Dietrich, et l’astuce sera conservée dans ses films suivant et sa carrière scénique des années 60 - son absence d’attache au monde qui l’entoure.

Sans les hasards malheureux de la vie et la fermeture d’esprit des hommes, elle n’aurait jamais quitté le « rôle » initial où elle était heureuse. Assumant toutes ses transformations forcées, ce n’est pas à Helen de changer mais à son entourage de reconstituer au-delà des rancœurs et préjugés l’image de celle qu’ils ont aimés. C’est le processus de la magnifique scène finale où Helen demeure cet être entier et courageux que l’autre a enfin appris à regarder pour elle-même. 

Sorti en bluray et dvd zone 2 français chez Elephant Films 

 

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