Elisa rend visite à
son père, Luis, traducteur solitaire vivant reclus à la campagne. Alors qu'ils
ont toujours été distants, voilà qu'ils réapprennent à s'aimer. Elisa ira même
jusqu'à vivre avec lui...
Sorti après Cria Cuervos (1976) qui demeure son film le plus populaire, Elisa, mon amour s’affirme
à l’inverse comme l’œuvre la plus radicale et austère de Carlos Saura. L’ironie
s’estompe tandis que le sens de l’allégorie ainsi que la tendresse mêlée de
haine qui baignaient les précédents films de Saura sont ici poussés à un degré
de complexité et sécheresse surprenants. Au départ il y a les retrouvailles
filiales entre Elisa (Geraldine Chaplin) et son père Luis (Fernando Rey) dans sa
maison de campagne. Alors que la visite est supposée être brève, Luis au moment
du départ propose à sa fille de rester quelques jours de plus. Au fil des
révélations, au découvrira que cette promiscuité est toute nouvelle pour eux
puisque Luis a quitté le foyer familial alors qu’Elisa était enfant.
De ce postulat simple va naître un récit plus nébuleux qui s’annonce
dès l’ouverture. La voix-off à la première personne qui accompagne l’arrivée d’Elisa
en voiture est masculine et plus précisément celle de son père - laissant croire
à des retrouvailles père/fils voir à un récit en flashback vu la maturité de
cette voix masculine. Ce narrateur fait pourtant référence à la situation
intime compliquée d’Elisa (séparée de son compagnon) et brouille donc les
pistes. La solitude de ce cadre rural ravive l’affection mutuelle mais
également le refuge dans le souvenir. Pour Elisa ce seront les bribes d’enfance
passées avec son père (Elisa enfant étant jouée par la jeune Ana Torrent
révélée dans Cria Cuervos mais aussi L’Esprit de la ruche (1973) de Victor Erice)
tandis que ce passé semble plus mystérieux pour Luis qui garde ses pensées
secrètes dans ses écrits.
L’environnement austère participe à cette fuite du
présent et des contraintes du monde réel pour chacun des personnages. C’est ce
qu’à fuit initialement Luis en abandonnant son foyer et qui offre donc un mimétisme
volontaire avec ce que traverse sa fille. Une des premières scènes l’amorce
lorsqu’Elisa et sa sœur (Isabel Mestre) délaisse la conversation sérieuse des
hommes à table pour aller éplucher des albums de famille. Dans cette même scène
la discussion masculine est en décalage entre les préoccupations concrètes de l’époux
et la philosophie de vie détachée de cet ancrage de la part de Luis.
Carlos saura tisse donc un enchevêtrement de regret, nostalgie
et allégories formelles et narratives plus tortueuses. A la séparation muette
du passé s’oppose celle douloureuse du présent quand le compagnon d’Elisa tente
de la ramener. L’incertitude entre flashback, flashforward et rêverie
bouleverse les repères dans l’issue sanglante de cette dispute de couple mais
aussi dans bien d’autres domaines. Les retours en arrières voient cette même
Geraldine Chaplin jouer la mère d’Elisa alors que Fernando Rey incarne toujours
le placide et mystérieux père de famille. La distance se dispute à la
promiscuité perturbante lorsqu’on ne distingue plus les époques en montrant des
scènes d’amour entre les deux acteurs.
Tout n’est que masques, émotions
contradictoires et réalité altérée dans les détours et les répétitions (la
voix-off d’introduction revenant à plusieurs reprise citée par Chaplin ou
Fernando Rey) imprévisibles. Carlos saura s’attache donc à observer ces
retrouvailles touchantes mais aussi leur impossibilité, la mort en étant l’ultime
incarnation. Difficile de se faire une idée réelle de la volonté précise du
réalisateur dans ce kaléidoscope où dont le spleen pour envouter comme susciter
le rejet, voir les deux en même temps. Intéressant mais clairement pas le Saura
le plus accessible.
Sorti en dvd zone 2 chez Tamasa
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