Dévoreur de pellicule monomaniaque, ce blog servira à commenter pour ceux que cela intéresse tout mes visionnages de classiques, coup de coeur et curiosités. Je vais tenter le défi de la chronique journalière histoire de justifier le titre du blog donc chaque jour nouveau film et nouveau topo plus ou moins long selon l'inspiration. Bonne lecture et plein de découvertes j'espère! Vous pouvez me contacter à justinkwedi@gmail.com, sur twitter et instagram
Marceau Léonetti, policier compétent et énergique, décoré de la Légion d'honneur
pour acte de bravoure, arrête par hasard le fils d'un avocat influent
qui conduit en état d'ivresse, mais ce dernier promet de se venger.
Quelques mois plus tard, l'avocat retourne complètement les faits en
décrivant Léonetti comme violent et incompétent. Afin d'étouffer
l'affaire, Marceau est muté dans un petit commissariat de quartier. Il y
rencontre Jeanne, nouvelle auxiliaire de police, avec qui il fait
équipe pour enquêter sur des petits délits dans les cinémas. Entretemps,
la hiérarchie de la police a un problème difficile : retrouver pour un
procès qui doit débuter dans 10 jours un témoin important disparu depuis
plusieurs années. En désespoir de cause, ils soumettent le travail à
Marceau en lui faisant croire qu'il s'agit d'un travail de routine peu
important. Ce dernier commence alors avec Jeanne une enquête
pratiquement désespérée. La seule piste : le dernier domicile connu du
témoin...
Belle adaptation par José Giovanni d'une série noire de Joseph Harrington. L'histoire dépeint l'association improbable entre vieux flic endurci mis sur la touche suite à une injustice et une jeune fliquette jouée par une Marlène Jobert débutante. Tout deux sont chargé de manière officieuse de retrouver quelques jours avant un procès un témoin capital insaisissable depuis 5 ans. Le film réussit avec brio exactement là où le 3e Inspecteur Harry échouait lamentablement dans son association entre une bleue et un dur à cuire. Marlène Jobert paraît un peu trop naïve et empotée au début, mais finalement sa sensibilité à fleur de peau permettra de résoudre quelques situations difficile (de manière comique de par son physique attrayant où plus subtile par son tact féminin).
L'autre gros point fort directement issu du roman de Harrington est la description fastidieuse du boulot de flic. Le début amuse lorsque le duo traque les pervers dans les cinémas de la capitale, mais le tout devient captivant avec le souci quasi documentaire de montrer le travail de longue haleine que constitue la recherche d'un individu. Longues marches forcées dans tout Paris, même questions répétée jusqu'à plus soif à des quidam peu avenant et méfiant envers la police, consultation de registres imposants tout y est... Même si les héros vont retrouver leur homme en un temps record, la procédure pour y parvenir aura été détaillée comme rarement au cinéma.
L'attachement insidieux qui se crée avec le témoin traqué est également très bien vu à travers le regard tendre que posent sur eux les personnes interrogée. L'empathie des enquêteurs pour cet homme et sa petite fille devient également celle du spectateur, si bien que quand ils apparaissent finalement on ne leur veut que du bien. Belle galerie de seconds rôle notamment un Michel Constantin redoutable en homme de main adepte du coup de poing américain qui s'offre un beau mano à mano en pleine rue avec Ventura (impeccable comme toujours) offrant le seul vrai moment d'action du film qui réussit néanmoins à être passionnant de bout en bout.
Sur le fond, on est loin du Pacha de Lautner, autre grand polar policier sorti à cette époque où le flic était tout puissant. Le ton se fait réaliste et austère avec des personnages qui tâtonnent et doute, mais surtout la police est sacrément égratignée, entre Ventura sacrifié au début pour satisfaire les exigences d'un avocat au bras long et surtout une conclusion amère où l'affaire est résolue mais au pris d'une terrible perte. Le score de François Roubaix est hypnotique à souhait et accentue l'ambiance toute particulière de l'oeuvre.
Quelques adolescents, enfants
d'ouvriers et élèves d'une classe de terminale, traînent leur ennui dans
la ville de Lens, sinistrée par le chômage. Ils se retrouvent
régulièrement chez Caron, le café du coin, pour échapper à leurs parents
qui, à peine plus épanouis qu'eux, n'ont que quatre mots à la bouche :
«Passe ton bac d'abord». Mais eux savent bien qu'ils sont promis au
chômage, aux amours illusoires et aux fuites impossibles...
Maurice Pialat n'avait guère fait fructifier le premier succès de sa carrière Nous ne vieillirons pas ensemble (1972) qu'il enchaîna avec le très âpre et difficile d'accès La Gueule ouverte (1974). L'échec cuisant de ce film le contraindra à rester quatre ans sans tourner mais la réussite de Passe ton bac d'abord
initiera réellement un nouveau cycle créatif qu'il l'installera
définitivement dans le paysage cinématographique français. Le film
semble former une vraie trilogie avecLoulou (1980) et À nos amours (1983), donnant le sentiment de retrouver le même type de personnages dans des
cadres et à des âges différents (le marginal sans but que joue Depardieu
pourrait très bien être un des personnages de Passe ton bac
à l'âge adulte et exilé à Paris) ou encore de creuser plus profondément
le sillon de ce premier film (là encore Sandrine Bonnaire en
adolescente rebelle semble un prolongement plus fouillé de Sabine
Haudepin dans Passe ton bac d'abord).
Pialat tout en capturant une forme d'errance au quotidien construira
néanmoins les deux films suivant dans de progression dramatiques
construites alors que Passe ton bac d'abord s'inscrit bien plus en creux.
On
y suit tout au long d'une année scolaire différentes tranches de vie
d'un groupe d'amis en classe de terminale. Il faudra pourtant attendre
la dernière scène pour apercevoir une salle de classe, le reste du film
nous promenant dans une errance sans but où tout semble joué pour ces
adolescents issus de la classe ouvrière. Dès lors l'ensemble du récit
repose sur l'éphémère et le renoncement, tout n'étant qu'une attente
ténue avant une vie forcément ennuyeuse et sans but dans la grisaille
lensoise. Les amours se partagent ainsi entre étreintes et conquêtes
fugaces (le séducteur en herbe Bernard) ou engagement trop précoce (ces
deux jeunes mariés amenés à se déchirer), le tout symbolisé par
Elisabeth (Sabine Haudepin) passant d'une sexualité débridée à une
monogamie tout aussi austère. Les parents sont sans réponses ni
solutions pour nos jeunes paumés, le renoncement, la morale et même
l'hystérie des aînés (les figures de parents annoncent toutes en ébauche
ceux de À nos amours)
n'incitant guère à grandir vu l'horizon morose.
Les autres figures
d'adultes représentent deux spectres tout aussi vains avec le patron
concupiscent amateur de jeune fille et le professeur de philosophie (où
l'on devine aussi une attirance plus intéressée) incapable d'éveiller la
flamme du savoir chez nos adolescents apathique. Les personnages
cherchent un ailleurs plus exaltant qui ne dépassera pas les murs du bar
Caron où ils se réunissent, la réalité les rattrapant chacun peu à peu
avec des emplois de caissière ennuyeux, des grossesses et mariages les
installant dans une vie rangée avant d'avoir réellement vécus.
Pialat
capture leurs émotions contrariées sur le vif, l'insouciance de
l'instant dévoilant une gravité et une peur de l'avenir qui s'exprime en
sourdine à travers les dialogues et situations. Les échappatoires reste
flous (le départ final pour Paris) et superficiels (la proposition fort
douteuse de séance photo pour une des jeunes filles), l'angoisse
latente restant le sentiment dominant. Même si très rattaché au contexte
de l'époque (la libération sexuelle est passée par là avec ce père
observant sans ciller la coucherie de sa fille dans le jardin) et de
cette région du nord, Pialat parvient à rendre ces angoisses
existentielles universelles.
Avec l'aide de sa famille et de ses
domestiques, un vieil Anglais excentrique, Sir Henry Rawlinson, essaie
d'exorciser le fantôme de son frère, Humbert.
Sir Henry at Rawlinson End
est un véritable ovni du cinéma anglais issu de l'esprit fou de Vivian
Stanshall. Ce dernier est un artiste aux talents multiples (musicien,
peintre et écrivain) se fit connaître notamment en faisant partie du
groupe d'avant-garde Bonzo Dog Doo-Dah Band, célèbre à la télévision
britannique et composé des futurs Monty Python Eric Idle ou Michael
Palin. Sir Henry at Rawlinson End est à l'origine une création radiophonique de Vivian Stanshall à la BBC et diffusée entre 1975 et 1991 sous le titre Rawlinson End Radio Flashes. L'auteur y développe ainsi son personnage de noble excentrique et sa famille déjantée, qu'il exploitera aussi sur son album Sir Henry at Rawlinson End (recording).
La popularité du personnage et de son univers incitera donc à une
adaptation au cinéma en 1980, écrite et mise en musique par Vivian
Stanshall qui y tient également un rôle tandis que Steve Roberts
réalise.
Le résultat ne ressemble effectivement à rien de connu
si ce n'est les facéties des Monty Pythons. Vivian Shall
réunit et exacerbe là tout ce qui constitue l'excentricité de l'identité
anglaise. Le noir et blanc sépia, le cadre rural où trône le domaine de
Rawlinson End ainsi que la voix off décalée semble déjà situer
l'ensemble dans une sorte de réalité alternative. Dès lors nous
découvrons la folle famille Rawlinson dominée par Sir Henry (Trevor
Howard que l'on a rarement vu aussi déjanté) noble bougon plus qu'à son
tour et convoquant domestique au petit matin à coup de fusil au plafond.
Le reste autres membres sont à l'avenant et les séquences surréalistes
s'enchaînent sous nos yeux ébahis : Sir Henry travesti en indigène
faisant du monocycle pour guérir son lumbago, son frère sonnant la
charge à cheval dans les couloirs du domaine, un camp de prisonnier allemand dans son jardin par nostalgie... Le semblant de trame
tourne d'ailleurs autour du fantôme du frère tragiquement décédé (le
flashback de sa mort ridicule vaut son pesant de cacahouètes) sans
pantalon et qui ne peut trouver la paix face à telle infamie. Sir Henry
va donc engager le prêtre défroqué Slodden (Patrick Magee) pour
exorciser le château, avec des conséquences dramatique. Paillard,
grotesque et halluciné le spectacle s'avère rapidement incompréhensible
dans sa surenchère bouffonne et en fera décrocher plus d'un ne rentrant
pas dans le "trip".
Le problème du film et qui le l'éloigne du génie des
Monty Python est de ne pas choisir entre une trame digne de ce nom et
le vrai film à sketches. Les Monty Pythons surent dans leur film poser
un fil conducteur thématique qu'il mettait au service d'un vrai récit
certes nourri en dérapages en tous genres (Sacré Graal (1975) et le grandiose La Vie de Brian (1979)) ou alors oser le film à sketches à la vraie cohérence dans Le Sens de la vie (1983). Sir Henry at Rawlinson End
ne choisit pas et part dans tous les sens, finissant par lasser dans sa
surenchère même si les séquences "autres" ne manquent pas comme une
cérémonie de paganisme digne de The Wicker Man (1973). Reste donc une vraie curiosité (et film culte du cinéma anglais) même si un peu indigeste.
Un milliardaire puritain et son cousin
tentent de compromettre une toute nouvelle production de Broadway mise
en scène par un de leurs parents éloignés.
En trois triomphes artistiques et commerciaux signés en durant la seule année 1933 (42e rue et Prologue de Lloyd Bacon, Gold Diggers of 1933
de Mervyn LeRoy), Busby Berkeley était devenu une figure incontournable
de la Warner avec ses numéros musicaux extravagant. Cette importance se
manifesterait également au générique des films puisque de simple
chorégraphe sur Gold Diggers of 1933 et 42e rue
il serait désormais crédité comme coréalisateur et seul créateur des
séquences musicales.
Cette mainmise progressive permet du coup de saluer
le talent de Lloyd Bacon et Mervyn Leroy puisque dans leurs films le
final sur un grande séquence musicale constituait le point d'orgue mais
pas la seule raison d'être d'un récit qui aura su nous tenir en haleine
par son énergie et euphorie (Prologue), sa force drame (42e rue) et une tonalité constamment inscrite dans le contexte d'alors de la Grande Dépression (42e rue). Avec Dames
(1934), la formule est désormais bien installée tout comme les acteurs
récurrents (on retrouve le couple Dick Powell/Ruby Keeler, Joan Blondell
ou encore Hugh Herbert et Guy Kibbee caution comique des films
précédents) et le réalisateur semble avoir une marge plus réduite, Ray
Enright étant le troisième choix après notamment la défection de Archie
Mayo initialement envisagé.
Le scénario de Robert Lord et Delmer
Daves tente une approche différente, le cœur du récit ne reposant plus
sur la seule confection du spectacle et ce dernier ne constituant plus
ce refuge face à la crise économique qui n'est plus évoquée (seul le
personnage Joan Blondell reste rattaché légèrement à ce contexte sinon
les héros sont des nantis). L'angle choisit reste néanmoins pertinent en
dépeignant le monde du spectacle comme un havre de liberté s'opposant à
une société puritaine et adepte de la censure, d'autant que le Code
Hays désormais bien mis en pratique amène un lissage de l'érotisme et de
la provocation des films précédents.
Hal Wallis fit notamment éliminer
du script avant tournage un numéro qui montrait une bagarre entre un
chat et une souris conclut par une Joan Blondell entonnant la douce
invitation "come up and see my pussy sometime" qui aurait eu du mal à
passer. Dans le film le puritain et excentrique milliardaire Ezra Ounce
(Hugh Herbert) soumettra ainsi ses héritiers à une morale irréprochable
qui n'implique évidemment pas de participer à des spectacles de
Broadway. Jimmy' Higgens (Dick Powell) et Barbara Hemingway (Ruby
Keeler) n'en ont cure et feront passer quelques suées à leur entourage
lorgnant sur l'héritage, le père (Guy Kibbee) subissant même le chantage
de la provocante Mabel Anderson (Joan Blondell irrésistible comme
d'habitude) pour financer le spectacle.
L'approche était donc intéressante mais reste à l'état d'ébauche et fait
plutôt figure de prétexte en attendant le final musical. La comédie un
peu balourde arrache certes quelques sourires, le couple Dick
Powell/Ruby Keeler est toujours aussi charmant mais on sent la formule
et tout cela fait tout de même office de remplissage avec les numéros
musicaux. Heureusement là tout est pardonné tant Busby Berkeley semble
au sommet de son inventivité et extravagance. The Girl at the Ironing Board
voit une Joan Blondell modeste lingère s'épanouir au milieu des pyjamas
et autres sous-vêtement masculins, osant une promiscuité audacieuse (un
pyjama ayant semble-il la main baladeuse) et des images complètement
folles.
Ce n'est pourtant rien à côté de I Only Have Eyes for You,
déclaration d'amour et ode délirant à Ruby Keeler. On opère d'abord par
le vide avec un contexte réaliste (ruelle, métro, publicité) se vidant
pour laisser place à un Dick Powell énamouré d'une ravissante Ruby
Keeler. On procède ensuite par l'envahissement, l'espace mental de
l'amoureux fou se remplissant de l'image de Ruby Keeler sous toutes les
formes possibles : masques gigantesques, illusion d'optique et jeu sur
la perspective nous faisant croire qu'elle se démultiplie à l'écran à
travers toutes les danseuses vêtues comme elle et bien sûr omniprésence
de l'intéressée quasiment de tous les plans et renforçant la prouesse
vertigineuse.
La déclaration s'étend à la femme et à ses charmes dans
son ensemble avec Dames, ultime
numéro coquin en diable et où la caméra de Berkeley se fait plus
virevoltante que jamais, multipliant les effets pour mieux s'abandonner à
son gouts pour les formes géométriques. La résolution est expédiée avec
la même désinvolture que ce qui a précédé mais en dépit du récit lâche
l'émerveillement pour les séquences musicales aura quand même réussi à
nous emporter.
À la sortie d'un casino, une jeune femme (Isabelle
Adjani) est témoin d'un braquage effectué par deux gangsters qui
parviennent à échapper à la police grâce à l'habileté du chauffeur de la
voiture. Elle refuse de donner leur signalement à la police et parvient
à se lier avec le chauffeur (Ryan O'Neal). Ceci afin de tenter de lui
dérober son butin...
Walter Hill avait fait sensation le temps d’un début de carrière fulgurant où l’on vit en lui le digne successeur des réalisateurs hollywoodiens "francs-tireurs" comme Samuel Fuller, Robert Aldrich ou plus tardivement Sam Peckinpah pour lequel il signera le scénario de Guet-apens (1972). Walter Hill se partage en fait entre la tradition des auteurs de l’âge d’or hollywoodien (apposer sa patte tout en délivrant le spectacle le plus satisfaisant et rentable pour le studio) et donc les francs-tireurs précités dont il reprend la volonté de bousculer et de réinventer les genres qu’il aborde. Cette réinvention ne s’inscrit pas dans une logique politique (Aldrich), sociale (Fuller) ou humaniste (Peckinpah), mais purement post-moderne. Hill pousse ainsi à l’extrême dans ses premiers films l’idée de ligne claire narrative classique avec des intrigues minimalistes dans des films déclinant plus que reproduisant un genre.
Le Bagarreur est un mélodrame de la Grande Dépression s’astreignant au maximum de toute sentimentalité, ou encore Les Guerriers de la nuit emprunte une trame de western dans un pur environnement urbain. De façon plus large, chez Walter Hill les personnages vont d’un point A à un point B dans une économie de moyens tant narratifs (comme déjà évoqué) que visuels - la simplicité redoutable de définir l’arène par les plans d’ensemble, faire surgir l’impact des coups par le découpage et ressentir la souffrance des boxeurs avec la caméra portée dans le dernier combat du Bagarreur - et psychologique dans la caractérisation sommaire des personnages ne se définissant que dans l’action. Walter Hill va pousser ses principes vers une forme d’abstraction dans The Driver, avec l’aval d’un de ses mentors d’ailleurs puisqu’il enverra le premier jet du script à Raoul Walsh qui lui témoignera son enthousiasme.
Cette logique post-moderne de Walter Hill s’illustrera par exemple en définissant le cadre du récit par une forme d’intemporalité (l’histoire de Sans retour (1981) pourrait à quelques détails près se dérouler à n’importe quelle époque) mais aussi la création d’une sorte de réalité alternative. Si le réalisateur façonnera par la suite cette réalité alternative dans la surenchère - les gangs à l’apparat farfelu des Guerriers de la nuit, l’univers rétro-futuriste des Rues de feu (1984) - avec The Driver il pousse au contraire au summum l’épure déjà manifeste de son premier film. Le flic, la fille, le voyou, la voiture et la ville. On pourrait presque résumer The Driver à ces mots tant l’ambiance nocturne hypnotique, la sécheresse du récit dénuée de tout le superflu (dans la bande-annonce on voit un baiser entre Adjani et Ryan O'Neal, évidemment coupé par Hill qui ne s’embarrasse pas d’une histoire d’amour) et la tonalité glaciale forment un ensemble fascinant et redoutablement efficace.
Le scénario est un squelette de polar empruntant grandement au Samouraï de Jean-Pierre Melville. Tout comme Delon, Ryan O'Neal incarne un expert mutique et rigoureux dans son domaine (un chauffeur virtuose pour les malfrats), à l’existence janséniste qui ne trouve une raison d’être que dans l’adrénaline et le vrombissement nocturne des moteurs. Alors que Melville montrait progressivement les fêlures de son professionnel quand son univers se déréglait, Hill rend son héros de plus en plus indestructible dans l’adversité.
Les difficultés (le témoin gênant que constitue Isabelle Adjani, le harcèlement du flic Bruce Dern, les acolytes récalcitrants) ne sont que des piments de plus pour son gout du jeu et du risque - qui le voit foncer tête baissée dans le piège tendu par Bruce Dern par simple attrait du défi. Cette dimension jouée s’étend au film tout entier, sorte de plateau ludique et archétypal du polar. Du coup, tel des pions - qui retrouvent les traces les uns des autres avec une facilité déconcertante tout au long de l’histoire - les protagonistes s’y résument à leur fonction sans jamais être nommés (le driver/cowboy, le flic/shérif et la fille), tout comme la ville où se déroule l’action - le film fut tourné à Los Angeles.
Le film pourrait ainsi aisément se regarder et se comprendre en coupant le son. Ryan O’Neal (reprenant un rôle initialement prévu pour Steve McQueen) prolonge l’idée du héros mutique à la Charles Bronson dans Le Bagarreur ; mais quand ce dernier semblait dégager un lourd passif sous son air taciturne (le contexte de Grande Dépression aidant), le Driver se soustrait au monde réel (dans le récit comme dans l’approche du film) par ses traits presque enfantins par rapport à son environnement criminel et détonne en comparaison de ce qu’aurait donné une star plus "burinée" dans le rôle. Les airs à la fois absents et déterminés de l’acteur en font autant un pur héros badass qu’une coquille vide, une facette qu’avait su exploiter Kubrick qui en faisait à la fois un héros romantique et sa totale antithèse dans Barry Lyndon. La confusion classique du genre entre gendarmes et voleurs n’en est que plus forte grâce au flic teigneux et aux méthodes douteuses qu’incarne Bruce Dern avec truculence. Isabelle Adjani par sa présence éthérée et son charisme amène une vraie fascination pour le personnage féminin, son premier rôle américain choisi par admiration pour Le Bagarreur et l’absence de caractérisation liée à sa nationalité française.
La tonalité ludique sous l’apparente froideur se décuple lors des deux fabuleuses séquences de poursuite en voitures qui ouvrent et concluent le film. La ville y devient un immense terrain de jeu nocturne à ciel ouvert plié à la volonté du plus joueur justement. L’espace urbain s’y résume à des ruelles désertes et des parkings désaffectés où Walter Hill se plait à jouer avec les genres. La première poursuite évoque presque la chorégraphie d’un combat aérien avec l’agencement savamment étudié des véhicules dans le cadre, son jeu sur les esquives et la mise en valeur de la dextérité et du sang-froid du Driver - on découvrira là l’ancêtre de « la dégonfle » de Last Action Hero (1993) de John McTiernan.
On y retrouve les préceptes évoqués pour les combats du Bagarreur : un environnement parfaitement défini dans sa topographie amenant sur la résultante spectaculaire d’un impact/d’une cascade et la notion de point de vue démontrant la supériorité du Driver sur ses adversaires (les conducteurs des voitures de police restent anonymes, tout comme la menace qu’ils représentent quand chaque manœuvre du Driver au volant s’inscrit dans le découpage de l’action).
La seconde poursuite, tout aussi efficace, joue plus sur un registre de suspense et d’épouvante où le Driver serait le boogeyman, Hill y plaçant aussi comme souvent du western qui s’ignore (la partie de cache-cache dans l’entrepôt pouvant s’imaginer dans des rocheuses avec un même déroulement) par une notion de duel plus prégnante où deux as du volant se jaugent et se font face. Le parti pris minimaliste fait merveille, le score tendu du maître de la paranoïa 70’s Michael Small laissant place à une bande-son tout en crissements de pneus et tôles froissées. La conclusion ironique viendra saluer l’approche amusée et abstraite (l’apparition finale de Bruce Dern et d’une horde de flics) d’une œuvre troublante et insaisissable.
L’héritage du film est vaste pour l’amateur de polar. On peut y voir dans son urbanité nocturne et son héros méthodique l’ancêtre du Michael Mann du Solitaire (1981) et de Collateral (2004). Nicolas Winding Refn tentera d’ailleurs maladroitement de fusionner le spleen du Solitaire et le post-modernisme de The Driver avec le bien nommé Drive (2011), décalque pas totalement convaincant. Le monde du jeu vidéo s’est également emparé du film avec le classique de Playstation 1 Driver paru en 1999 et où nous incarnons un as du volant à la solde de la mafia dans des poursuites aux quatre coins des USA. La parenté ne fut jamais assumée mais se devine aisément, notamment lorsque le joueur pilote le même modèle vintage de Chevy aperçu dans le film.
Sorti en dvd zone 2 français et bluray à L'Atelier d'images et The Corporation
Après des études dans
un pensionnat suisse, Stefano Mattioli, adolescent timide et sensible, se
destine à la prêtrise. Mais alors qu'il est sur le point de l'annoncer à son
père, Leonardo, grand éditeur milanais, ce dernier lui fait part de son souhait
de voir son fils lui succéder à la tête de l'entreprise. Lorsque Stefano
assiste à une entrevue difficile entre son père et un jeune magasinier accusé
d'un vol qu'il n'a pas commis, il découvre le vrai visage de son père.
La Corruption
prolonge la veine sociale initiée par Mauro Bolognini au contact de Pier Paolo
Pasolini. Après des débuts impersonnels durant les années 50 dans le registre
de la comédie populaire (mais qu’il rehaussait toujours de sa maîtrise
formelle) la rencontre avec Pasolini entremêla propos engagé et visuel
puissant, la connaissance des mœurs urbaines de Pasolini s’articulant au sens
du drame de Bolognini dans le diptyque romain Les Garçons (1959)/ Ça s'est
passé à Rome (1960) ainsi que dans Le Bel Antonio (1960). Cette veine sociale se prolongerait donc même quand
Bolognini aborderait enfin son registre privilégié du film en costume dans La Viaccia(1961) et donc dans le registre
contemporain de La Corruption. Le
film peut se voir comme une sorte de pendant plus incarné de Prima della rivoluzione (1964) de
Bernardo Bertolucci, le questionnement de ce dernier se perdant dans un style
trop précieux et référencé. Les deux films dépeignent un jeune héros idéaliste
qui va se confronter à la fin des utopies. Chez Bertolucci il s’agira de la
vacuité des idéaux politiques et plus précisément marxistes que reniera un
personnage superficiel et vaniteux.
Mauro Bolognini aborde la question dans un registre plus
existentiel. Au sortir de ses études, le jeune Stefano (Jacques Perrin) désire
embrasser une carrière de prêtre quand la logique voudrait qu’il reprenne la
succession de son père Leo (Alain Cuny) riche éditeur milanais. Dès la scène d’ouverture
les interrogations à venir sont posées avec le discours du doyen et Bolognini
démarque Stefano du monde qui l’entoure. La caméra scrute dans un même
mouvement les lycéens rigolards et trépignants avant les vacances quand
Stefano, visage juvénile et innocent est isolé en gros plan, calme et stoïque.
Les idéaux paraissent vide de sens et le catholicisme désuet va au culte de l’argent,
du pouvoir et du profit qu’exprime cette Italie de la bulle économique. Ceux
qui refusent cet état de fait sont perdus, que ce soit dans une prison mentale
hypocondriaque comme la mère hospitalisée perpétuelle ou bien sûr Stefano qui
va payer cher son idéalisme et sa foi. Bolognini montre en plusieurs temps ce
pouvoir implacable d l’argent, subtilement, insidieusement puis de façon crue
au final.
L’autorité de chef d’entreprise se manifeste ainsi au départ dans l’injustice
avec cet employé injustement accusé de vol et forcé de rembourser une somme qu’il
n’a pas. Dépité par la vocation ecclésiastique de son fils, Leo va l’en
détourner le temps d’une croisière où le garçon sans expérience résistera
difficilement aux charmes de la belle Adriana (Rosanna Schiaffino). Fille
légère se donnant au plus offrant, elle explique sans honte l’expression de son
amour intéressé pour les hommes qui la courtise à un Stefano dépité mais
néanmoins troublé. La scène où il cède à ces instincts est un moment érotique
et dramatique d’une rare intensité, magnifiquement filmé par Bolognini.
Perturbé par une dispute avec son père, Stefano se réfugie à la salle de bain
où se trouve une Adriana dévêtue et sortant de la douche. Le corps nu laisse
deviner ses promesses de voluptés, entraperçues dans le reflet d’un miroir
embué par Stefano. Lorsqu’un bout de serviette tombe, les sens du jeune homme
se déchaînent et il doit s’abandonner à une Adriana triomphante. Le problème de
notre héros est de ne pas avoir expérimenté le monde et ses tentations dans sa
pension suisse, rendant ses velléités chastes vaines face à la première
épreuve. La gestuelle maternelle d’Adriana trahit également un manque plus
profond chez Stefano ne connaissant que la brutalité du modèle paternel.
Dès lors une fois commis l’irréparable, le sacerdoce de ce
personnage en quête de perfection est mis à mal. Bolognini dessine la prison
dorée qui le fera rentrer dans le rang de manière symbolique (le père bloquant
sa fuite à la nage) et manifeste en le confrontant à ses contradictions pour le
ramener dans le giron de l’héritage familial. On s’attend à un final cinglant (façon Prima della rivoluzione justement) mais Stefano st trop pur pour
rentrer dans le rang aussi lâchement. Un ultime rebondissement cinglant
exprimera la profonde inhumanité de cette société où tout se monnaie, y compris
la bonne conscience avec la vraie nature de l’intellectuel de gauche Morandi (Filippo
Scelzo).
Quel choix alors pour Stefano. Accepter la réalité de ce monde cynique
et en prendre sa part ou se réfugier dans des utopies auxquelles il ne peut
plus souscrire (par faiblesse de l’attrait charnel avec la religion) ou dont il
a pu constater l’hypocrisie avec la gauche bienpensante ? Le film se
conclut sur ce dilemme cruel tout en nous en donnant subtilement le vainqueur.
La dernière scène se passe dans une sorte de boîte de nuit à ciel ouvert où
chacun entame une sorte de danse contemporaine où chacun s’exécute dans son
coin, sans partenaires et sans un regard pour le voisin. S’amuser et profiter
du moment pour son seul plaisir sans se préoccuper d’autrui, tel est la
promesse du futur qu’annonce Bolognini dans cet épilogue faussement enjoué… Tous ces éléments allaient nous mener vers Chronique d'un homicide (1972), conflit des générations bien plus brutal au coeur des Années de Plomb et un des meilleurs film de Bolognini.
L'organisation
criminelle SPECTRE détourne un avion de l'OTAN transportant deux bombes
atomiques et réclame une rançon au gouvernement britannique. L'agent secret
James Bond est envoyé aux Bahamas à la recherche de Domino, la sœur du
commandant Derval, qui pilotait le Vulcan. Celui-ci a en fait été tué et
remplacé par un sosie. 007 découvre que l'instigateur de l'opération est un
dénommé Emilio Largo, un homme riche et cruel, passionné par les requins...
Terence Young avait définit le caractère racé, élégant et
brutal de James Bond dans Dr No
(1962) et Bons baisers de Russie (1963) tandis que Guy Hamilton avait su amener
fantaisie et démesure à son univers dans Goldfinger
(1964). La formule James Bond ainsi définie en trois films et le triomphe
commercial de Goldfinger aidant, Opération Tonnerre allait s’avérer une
des productions les plus attendues de l’époque. Cet épisode vient de loin
puisqu’il faillit bien être le premier James Bond produit pour le cinéma.
Durant les années 50 les ventes des romans d’Ian Fleming décollent sans
toutefois atteindre l’immense popularité à venir mais l’auteur rêve déjà d’une
adaptation cinématographique. Il va s’associer au producteur Kevin McClory pour
façonner une aventure originale sur un scénario coécrit avec Jack Whittingham.
Le projet ne décollant pas, Ian Fleming s’en éloigne et part écrire le roman Thunderball où il reprend la trame et
certaines idées du scénario conçu avec McClory et Whittingham (pour en juger il
suffit de voir le film de guerre anglais Armes Secrètes (1939) que ce dernier écrit le scénario est déjà Bondien en diable sur
nombres d’idées narratives). Evidemment un procès s’ensuit mais entretemps
Cubby Broccoli et Harry Saltzmann ont acquis les droits des romans et lancent
la production de ses aventures avec succès. Au
service secret de sa majesté aurait dû suivre Goldfinger (comme annoncé au générique de fin) mais la météo ne
permettant un tournage en altitude la production se rabat sur Opération Tonnerre. Un accord est trouvé
avec Kevin McClory crédité comme producteur, une solution temporaire mais
source de problème par la suite pour la série puisque McClory signera un remake
avec Jamais plus jamais (1983) et
tentera de récidiver dans les années 90.
La saga entre définitivement dans l’ère de la grandiloquence
et de la superproduction avec Opération
Tonnerre. Cela se manifeste à la fois dans la démesure de la production
(tournage dans quatre pays) mais aussi celle de l’intrigue. Après l’intermède Goldfinger, Bond retrouve sa Némésis des
deux premiers films avec l’organisation criminelle du SPECTRE qui menace cette
fois le monde en volant deux bombes atomiques. Le vol en question déploie une
séquence impressionnante avec l’escamotage d’un avion, son crash en pleine mer
et l’extraction sous-marine des bombes. La partition de John Barry acquiert une
importance capitale dans le film, jouant un vrai rôle narratif dans ces longues
séquences sous-marines dont il illustre, ponctue et/ou accentue la tension. Ce
sera le cas avec cette spectaculaire entrée en matière (l’assassinat sommaire
du sosie de Derval accentué par une note tonitruante) sans parole et décuplera
la dimension épique dans la monumentale bataille sous-marine en conclusion.
Barry se met à la mesure de la tenue du récit avec son score le plus agressif
et grandiloquent (et le choix judicieux de Tom Jones en faisant des tonnes dans
la chanson-titre). James Bond devient réellement un surhomme dans cet épisode,
sentiment accentué par certains morceaux de bravoures (l’utilisation du jet
pack en ouverture, le face à face avec des requins, l’arrivée triomphale durant
le final sous-marin) qui édulcorent (à quelques exception près comme l’attaque
de la « veuve » durant le prégénérique, le meurtre au harpon de
Vargas) le personnage élégant mais impitoyable aperçu dans les premiers films.
Sean Connery joue davantage des bons mots et du décalage dans son incarnation
de Bond (sans tomber dans la pantalonnade à la Roger Moore même s’il s’en
approchera dans Les Diamants sont éternels (1971)).
Heureusement le sadisme ne s’estompe pas totalement et
est désormais entièrement l'apanage des méchants. La réunion glaciale du « conseil
d’administration » du SPECTRE où les moins productifs sont électrocutés est
un grand moment et, si Adolfo Celli compose un antagoniste convaincant (Blofeld pas encore nommé restant une menace invisible), on aura d’yeux
que pour la pulpeuse et vénéneuse Fiona Volpe (Luciana Paluzzi). Séductrice et
impitoyable, elle offre un contrepoint souligné par un dialogue cinglant aux
figures féminines en quête de rachat revenant dans le droit chemin par la seule
grâce du charme viril de Bond. Terence Young l’érotise avec attrait, comme une
rose magnifique mais dangereuse sur laquelle il vaut mieux éviter de se piquer.
La mise en scène alerte de Young (loin de l’élégante mollesse
de Guy Hamilton) est un sacré atout dans l’action, une nouvelle fois rehaussé
par le montage percutant de Peter Hunt. La bagarre d’ouverture dans le château
fait montre d’une férocité rare, tout comme le mano à mano dans le cockpit du
Disco Volante où les cadrages heurtés de Young se marient idéalement à l’agencement
chaotique de Hunt (qui ira encore plus loin dans l’expérimentation quand il
réalisera Au service secret de sa majesté(1969).
Le dépaysement et l’évasion est encore accentué par les fabuleuse
créations du décorateur Ken Adam. L’arsenal sous-marin du SPECTRE par son
design inventif et cinégénique accentue le phénomène pop que dégage Bond et
après le Fort Knox chromé or de Goldfinger
bienvenue aux repères sous-marin imprenables. et aux yacht escamotables La montée en puissance de la
bataille finale, le tour de force technique de cette longue bataille en pleine
mer et les cascades folles (le saut en parachute des marines) relevaient alors
du jamais vu et faisaient vraiment des James Bond l’expérience ultime et
moderne en terme de cinéma spectaculaire.
Le public ne s’y trompera pas,
décuplant le succès de Goldfinger et en en faisant un des plus gros cartons du
box-office des années 60. On pardonnera donc les quelques défauts (des
longueurs, une James Bond Girl un peu transparente avec la française Claudine
Auger) tant le divertissement fut réjouissant.