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dimanche 28 février 2016

True Romance - Tony Scott (1993)

Clarence Worley est un vendeur de bandes dessinées de Détroit, amateur de films d'arts martiaux et grand fan d'Elvis Presley. À l'occasion de son anniversaire, il se rend dans un cinéma pour voir une trilogie de films de Sonny Chiba et rencontre par hasard une jeune femme nommée Alabama. Celle-ci finit par lui avouer être en réalité une call girl engagée par le patron de Clarence comme « cadeau d'anniversaire » mais le coup de foudre est réciproque et ils se marient le lendemain.

True Romance est autant un des sommets de la filmographie de Tony Scott que la pierre fondatrice de toute la réussite à venir de Quentin Tarantino. Encore employé de vidéo club rêvant de percer au cinéma, Tarantino vit en colocation avec son ami Roger Avary nourrissant les même ambitions. Avary a alors sous le coude un script de 80 pages nommé The Open Road qu’il a mis de côté pour une improbable adaptation du Surfer d’Argent. Tarantino lui demandera donc s’il peut prendre la suite ce que lui accordera généreusement Avary. Se cloitrant de long mois à cette réécriture, Tarantino reviendra avec un script monstre de 500 pages où se trouvent les grandes lignes de True Romance, Pulp Fiction et Tueurs nés. Les liens s’y feront à coup de narration alambiquée, de flashback et d’effets en tout genre mais Avary incitera Tarantino à recentrer l’histoire sur son cœur émotionnel, la romance entre Alabama et Clarence. Pour True Romance comme pour toutes ses œuvres des 90’s, Tarantino fera donc un travail d’élagage pour ne garder que le meilleur de ce script initial touffu. Le duo tentera sans succès de produire le film en indépendant pour 150 000 dollars mais se confrontera à sa méconnaissance du milieu hollywoodien. Le salut viendra du producteur français Samuel Hadida désireux de se lancer sur le marché américain et en quête d’un jeune scénariste au talent original. On lui recommande de rencontrer un Tarantino alors archiviste vidéo et quand Hadida lui demandera un exemple de son travail, il lui donnera le script de True Romance. Hadida subjugué à la lecture en rachète les droits et décide de le produire. Quelques bisbilles surviendront encore avant le tournage (l’interventionnisme des frères Weinstein initialement distributeurs américains du film qui amènera Hadida à le produire seul et miser sur les préventes internationales grâce à un casting fabuleux) notamment concernant le réalisateur. A l’origine destiné à William Lustig (excellent réalisateur de série B), le film échoit finalement à force de volonté à Tony Scott. Parrain de Tarantino lors d’un stage d’écriture à Sundance, Tony Scott s’amourache à son tour du script de True Romance et fera le forcing pour le réaliser. Ce n’est d’ailleurs pas pour déplaire à Tarantino, grand admirateur de Revenge (1990) où Scott se montra capable d’entremêler brutalité et romantisme avec brio. Le mariage Tarantino/Scott fonctionne d’ailleurs merveilleusement dès la splendide ouverture. 

Modeste employé d’un magasin de comics, Clarence Worley (Christian Slater) est une âme solitaire ne trouvant guère de compagne susceptible de partager sa passion pour Elvis ou Sonny Chiba, star des films d’arts martiaux japonais. Ce sera jusqu’à sa rencontre avec la pulpeuse Alabama, curieuse de ses hobbies et sincèrement attirée par lui. Malgré la révélation qui suivra leur nuit ensemble (elle est une call girl engagée par son patron), Scott parvient à capturer une candeur non feinte dans ce coup de foudre, que ce soit les regards perdus d’Alabama se sentant fondre pour ce qui ne devait être qu’un « client » ou les scènes d’amour à l’érotisme suranné (déjà le cas de Revenge aussi sur ce point). Du coup l’aveu renforcera le couple et rendra leur relation plus intense. Le script oscille constamment entre le rêve et le cauchemar, entre le conte de fée et la réalité d’une Amérique violente et dangereuse. 

Ce n’est d’ailleurs pas un hasard que l’on passe de la grisaille de Détroit à l’artificialité ensoleillée de Los Angeles, Tarantino transposant ses rêves d’ailleurs dans le parcours de Clarence. Clarence et Alabama constitue le reflet inversé des meurtriers de Tueurs nés (1994), poursuivit par le chaos plutôt que le semant. Purs produits de l’Amérique white trash dont on devine un passé difficile (la rencontre avec l’attachant père joué par Dennis Hopper) leur refuge sera le bonheur plutôt que la destruction mais il faudra en passer par bien des épreuves. Toujours dans cette tonalité de conte, Tony Scott alterne les figures de croquemitaine (Gary Oldman terrifiant et dont l’antre évoque une tanière démoniaque, Christopher Walken glacial et à la présence spectrale et James Gandolfini à la brutalité sadique) avec d’autres plus naïves quasis enfantines (l’apprenti acteur Michael Rappaport, l’hilarant fumeur de joint incarné par Brad Pitt) auxquels on peut ajouter des portraits au vitriol du milieu hollywoodien avec producteur cocaïnomanes et autre excentriques.

Cette dualité jouera aussi ce mélange de douceur et d’éclairs de violences sanglants. Ce n’est que de la fange, du sang et des larmes que peut surgir la beauté notamment le féminisme si cher à Tarantino. Si Clarence est attachant dans son aisance feinte, Alabama (superbe Patricia Arquette) est le vrai pivot du couple face danger. Prenant une rouste en serrant les dents face à la brute James Gandolfini, c’est aussi elle qui sauve et « ressuscite » son homme lors du final apocalyptique et qui endosse la voix-off de narratrice. C’est une figure de matriarche solide qui s’ignore encore. 

Tony Scott tout en suivant à la lettre le script de Tarantino aura fait le film sien en en ôtant toute distance, cynisme et nihilisme. Tout en mettant en scènes les débordements de violence, il n’oubliera jamais de maintenir cette aura bienveillante autour de ses personnages (ce moment furtif où Michael Rappaport qui vient de remporte un rôle hésite puis décide d’accompagner Clarence dans sa transaction finale). Du coup son seul changement sera un happy-end différend de la conclusion trop noire de Tarantino car il s’était attaché aux personnages et voulait les quitter heureux. Une belle réussite qui sera pourtant un échec à sa sortie mais qui a plus que gagnée une aura culte depuis.

Sorti en dvd zone 2 français chez Metropolitan

jeudi 25 février 2016

Passage pour Marseille - Passage to Marseille, Michael Curtiz (1944)

Au cours de la Seconde Guerre mondiale, le capitaine Freycinet (!) raconte l'histoire de Jean Matrac à un correspondant de guerre intrigué par le comportement de cet homme taciturne. Matrac, journaliste français opposant aux accords de Munich, a été condamné au bagne et déporté à l'Île du Diable. Il s’évade avec quatre autres prisonniers qui s'enfuient dans une barque et sont recueillis en plein océan Atlantique par le navire du capitaine Freycinet voguant vers Marseille. C’est à son bord qu’ils apprennent par la radio que la France a capitulé et demandé l’armistice. Et la création du Gouvernement de Vichy, ouvertement collaborationniste.

A première vue avec son dépaysement et son patriotisme exacerbé, Passage to Marseille semble être une tentative de redite du classique Casablanca dont on retrouve nombre de participants devant (Humphrey Bogart, Peter Lorre, Claude Rains) et derrière (Michael Curtiz of course !) la caméra. Même s'il ne retrouve pas tout à fait la puissance romanesque de Casablanca, le film s'avère captivant et trouve sa propre identité. Cela se ressent par sa narration alambiquée qu'on imagine plutôt dans un film noir avec ces flashbacks s'emboitant dans d'autres flashbacks (un film comme Le Médaillon (1946) de John Brahm utilisera le procédé de manière vertigineuse). Curtiz introduit cette idée d'enchâssement révélant une vérité de manière visuelle au début du film. Un correspondant de guerre ((John Loder) vient réaliser un reportage dans une campagne anglaise paisible qu'en apparence puisque de nuit elle se transforme en aérodrome de l'aviation française de Résistance où les écuries deviennent hangar d'avion et les meules de foin des tours de contrôle. Fasciné par la détermination du taciturne mitrailleur Jean Matrac (Humphrey Bogart) le journaliste va donc se faire conter son histoire, ce dernier s'entremêlant à celle des compagnons de route.

Le film respecte ainsi la structure du roman Men Without Country de Charles Nordhoff ici adapté. On passera ainsi d'une impressionnante ouverture en pleine bataille aérienne à un haletant huis-clos en pleine mer puis un oppressant passage dans l'humidité poisseuse de la prison à ciel ouvert de l'île de Cayenne. Cette progression dramatique maintient l'attention par ses révélations sur le background des personnages mais aussi la thématique autour de l'essence de l'identité française et du patriotisme. Les plus exaltés seront des parias condamnés qui voient dans cet amour du drapeau une chance de rédemption. La caractérisation des protagonistes par Curtiz est limpide, sommaire (la brute épaisse, le bonimenteur roublard joué par Peter Lorre) mais s'appuyant plus sur le contexte que l'exploration trop fouillée de chacun, ce qui fonctionne parfaitement tout en dressant certaines personnalité attachantes comme Grand-père (Vladimir Sokoloff ) le condamné tragique et héroïque de Cayenne. Le personnage d'Humphrey Bogart effectue un parcours inverse, passant du patriote exalté mais brisé par un régime français tournant mal et désormais individualiste face à cette France qui l'a tant déçu.

Les aléas de tournages (Bogart qui faillit céder sa place à Jean Gabin à cause d'un différend avec Jack Warner puis englué durant tout le tournage par son divorce et son remariage avec Lauren Bacall) ne permirent pas de suffisamment définir le revirement de son personnage, tout comme sa relation avec son épouse jouée par Michelle Morgan (castée en compensation justement du rôle manqué de Casablanca finalement interprété par Ingrid Bergman). Néanmoins le patriotisme frontal fonctionne très bien dans le huis-clos, les parias revanchards s'opposant à une aristocratie militaire plus malléable et toute prête à se ranger derrière les allemands et le Régime de Vichy. La narration alambiquée compense les aspects qui aurait pu paraître simpliste avec une progression linéaire et propose un haletant suspense qui culmine dans un spectaculaire final où par un acte discutable Bogart ranime l'ambiguïté qui manquait précédemment à son personnage. Le drapeau tricolore dressé bien haut et la Marseillaise puissamment entonnée parvient même à se mêler à une émotion plus intime dans la très belle scène finale.

Un spectacle rondement mené par un Curtiz signant un produit soigné et teinté de fulgurances visuelles dont il a le secret (l'évasion dans les ténèbres du dortoir baigné dans la photo de James Wong Howe est un modèle du genre), pas Casablanca certes mais une belle réussite.

Sorti en dvd zone 2 français chez Warner

mardi 23 février 2016

Agatha - Michael Apted (1979)

Le film est basé sur un événement réel de la vie de l'auteur de romans policiers britannique, Agatha Christie : sa disparition soudaine durant 11 jours en décembre 1926.

Agatha est une œuvre méconnue qui s'attarde sur le seul mystère irrésolu d'Agatha Christie et qui la touche directement. En 1926, le célèbre auteur anglais se trouve à la croisée des chemins. La parution de Le Meurtre de Roger Ackroyd s'apprête à en faire l'écrivain britannique le plus célèbre de son temps mais parallèlement sa vie personnelle se délite avec la mort de sa mère et l'échec de son mariage avec Archibald Christie qui la trompe avec sa secrétaire Nancy Neele. Oppressée par les évènements, Agatha Christie se volatilisera 11 jours durant décembre 1926, mobilisant la police et l'opinion publique qui imagine déjà une issue criminelle digne des ouvrages de la romancière. Elle sera retrouvée dans la station balnéaire d'Harrogate où elle séjournait sous le Teresa Neele », du nom de la maîtresse de son mari.

Elle prétendra à l'amnésie, laissant toutes les interprétations ouvertes quant aux vraies raisons de sa disparition : promotion de son nouveau livre (en effet les ventes du Le Meurtre de Roger Ackroyd se démultiplieront), volonté de mettre son mari dans l'embarras en en faisant un coupable potentiel ou plaisir de se moquer de l'incompétence des autorités que supplantent souvent ses héros Hercule Poirot et Miss Marple. Toujours est-il que cet épisode nourrira le mythe d'Agatha Christie à travers d'autres œuvres de fiction dont le roman Les Apparences de Gillian Flynn récemment adapté par David Fincher avec son excellent Gone Girl (2014).

La journaliste et scénariste Kathleen Tynan fascinée par cette énigme envisage dans un premier temps d'en tirer un documentaire pour la BBC. Le producteur David Puttnam lui suggère plutôt d'en faire un film dont elle coécrira le script avec Arthur Hopcraft. Agatha Christie décède en 1976 tandis que le film doit être une production anglaise financée par la Rank mais la vive opposition de sa fille Rosalind (rappelant à la compagnie qu'Agatha Christie siégea un temps à son conseil d'administration) fera capoter le projet qui ne verra le jour qu'au sein de la petite société First Artists adossée à la Warner. Le film se nourrit ainsi habilement des évènements réels de la vie de l'auteur tout en osant une vision romanesque imprégnée de l'imaginaire criminel de son univers.

Agatha Christie (Vanessa Redgrave) nous parait ainsi au départ chétive, timide et écrasée par sa célébrité naissante tout en étant intimidée par la personnalité glaciale de son époux (Timothy Dalton). L'échappée par la fiction que l'on imagine par l'écriture se conjugue ainsi à la vraie fuite que Michael Apted filme d'ailleurs à la lisière du surnaturel. La femme bafouée et l'écrivain observateur, imaginatif et méticuleux se dessinent seulement dans l'épisode fantasmé de cette fugue où elle guette sa rivale en cure thermale au même endroit et semble échafauder un stratagème diabolique pour se venger. Le seul élément pouvant la retenir serait la rencontre avec le journaliste Wally Stanton (Dustin Hoffman) qui l'a démasquée et voit l'aubaine d'un bel article en étant celui ayant retrouvé celle qu'un pays entier recherche.

Michael Apted parvient à instaurer une tonalité déroutante de bout en bout. On oscille entre une atmosphère vaporeuse nous faisant plonger dans la psyché perturbée d'Agatha et un romantisme délicat et tout en retenue ambigüe lors des rencontres avec Dustin Hoffman. La dualité entre réalité et fiction se joue autant dans l'intrigue que dans la duplicité des personnages. Vanessa Redgrave apparait tour à tour froidement calculatrice ou totalement vulnérable, faisant de son Agatha un être plus à l'aise dans un imaginaire où elle joue un rôle et s'oublie.

Dustin Hoffman dissimule au départ son attirance sous l'ambition mais l'armure élégante et cynique se fendra progressivement. L'esthétique chatoyante du film (magnifique photo cotonneuse de Vittorio Storaro et une reconstitution somptueuse qui vaudra au film une nomination à l'Oscar des meilleurs costumes) nous envoute donc tout en laissant planer l'argument criminel qui se révèlera dans une séquence au suspense haletant. Au final l'icône est préservée tout en ayant laissée une captivante ouverture à l'imaginaire dans une œuvre troublante et romantique. Une belle réussite méconnue.

Sorti en dvd zone 2 français chez Warner

lundi 22 février 2016

La Femme aux deux visages - Two-faced woman, George Cukor (1941)

Larry Blake, directeur d'un magazine new-yorkais, s'éprend d'une monitrice de ski (Karin Borg) qu'il épouse en lui promettant de s'installer à la montagne auprès d'elle. Pourtant, le travail reprend très rapidement ses droits et Larry repart pour New York. Lassée de l'attendre, Karin part le rejoindre, mais elle découvre qu'il semble l'avoir oubliée car il fréquente assidûment une auteur dramatique, Griselda. Ces circonstances inattendues obligent Karin à se faire passer pour sa propre sœur Katherine.

Two-Faced Woman est un Cukor mineur tout en constituant une œuvre d'importance puisqu'il s'agit du dernier rôle au cinéma de Greta Garbo avant son retrait définitif. Une décision d'autant plus regrettable que son interprétation, dans lignée du célèbre Ninotchka (1939) semblait lui ouvrir de nouvelles possibilités dans la comédie pure. Garbo retrouve d'ailleurs ici son partenaire de Ninotchka Melvyn Douglas avec lequel elle va à nouveau constituer un couple mal assorti. Suite à un coup de foudre le temps de vacances au ski, Larry Blake (Melvyn Douglas) et Karin Borg (Greta Garbo) se marient sans réellement se connaître.

Patron de magazine et adepte de la trépidante vie urbaine new yorkaise, Larry déchante vite face l'austère monitrice de ski Karin adepte d'une vie simple et au grand air. Amoureux mais incapable de se fondre dans le quotidien de l'autre, les époux retournent à leurs vies sans se séparer pour autant mais le fossé se creuse pourtant. En visite à New York, Karin va pouvoir le vérifier en voyant Larry se rapprocher de Griselda (Constance Bennett) mais va trouver une solution en s'inventant une sœur jumelle, Katherine. Cet alter ego est tout l'opposé de Karin, une vamp et "chercheuse d'or" sans états d'âmes ni inhibition.

On s'amuse beaucoup à cette transformation que façonne génialement Greta Garbo, forçant le trait dans les attitudes lascives et séductrices loin de la simplicité initiale. Le meilleur moment sera d'ailleurs lorsqu'elle improvise malgré elle une danse qui contamine toute la piste, en faisant une noceuse hors pairs dans un mouvement et une chorégraphie dont Cukor filme avec une belle fluidité la construction. Le double jeu de Karin est d'abord destiné à dégouter Larry de la frivole Katherine pour qu'il lui revienne mais au contraire celui-ci va s'amouracher du double séducteur de son épouse. Dès lors Karin va retourner son stratagème pour piéger Larry et demander le divorce face à cette possible infidélité d'esprit. Le problème du film est de ne jamais totalement exploiter son postulat excitant, Cukor ne retrouvant son mordant que le temps d'un crêpage de chignon avec Constance Bennett digne de Femmes (1939).

Les possibilités de quiproquos et situations troubles sont à peine esquissées voire escamotée (un remontage rendant Larry conscient de la mascarade) et la situation n'est finalement traitée que par des scènes de dialogues insipides qui n'existent que grâce à l'abattage des acteurs. Greta Garbo offre un grand numéro entre froideur et frivolité (à laquelle elle prend subtilement gout sous le simulacre), entre amoureuse éperdue et femme revancharde qui égaye toutes les situations. De même Melvyn Douglas perdu entre le citadin macho et l'amoureux transi, est très bon et tous deux créent le compagnon versatile et idéal dans leurs contradictions. Malheureusement le scénario ne leur offre pas de moments réellement exaltant, remplissant le vide par des scènes de ski certes superbes mais sans grand intérêt. Pas désagréable mais La Divine aurait mérité une meilleure sortie...

Sorti en dvd zone 2 français chez Warner 

dimanche 21 février 2016

The Doorway to hell - Archie Mayo (1930)

Louie Ricarno, un jeune chef de gang à Chicago, devient le patron des bas-fonds de la ville. Il tombe amoureux de Doris, sans savoir qu'elle est en fait avec son second, Steve Mileaway. Lorsque Doris accepte de l'épouser, Louie décide de tout quitter et de partir pour la Floride. En chemin vers le sud, il s'arrange pour que Doris rencontre son jeune frère Jackie, qui est dans une école militaire sous un faux nom. Une fois en Floride, Doris s'ennuie, Chicago lui manque. Pendant ce temps, Mileaway est incapable de mettre fin à une guerre des gangs qui s'est déclenchée à Chicago, il demande à Louie de rentrer pour reprendre les choses en main.

The Doorway to hell est une œuvre fondamentale pour la Warner et plus globalement le cinéma américain puisqu'il lance la grande vague du film de gangster des années 30. Même s'il sera supplanté par des successeurs plus célèbre désormais (L'Ennemi public de Wellman, Le Petit César de Mervyn LeRoy ou Scarface de Howard Hawks) le film d'Archie Mayo possède ses propres qualités et instaure même quelques standards du genre. On n’a pas encore ici la caractérisation outrancière, violente et tourmentée de la figure du gangster avec le chef de gang Louis Ricarno (Lew Ayres). Jeune, avenant et séduisant, c'est précisément lorsqu'il fait passer un nuage de violence dans son regard, quand il durcit soudainement ses traits juvéniles qu'il s'avère terriblement intimidant. C'est cette capacité qui lui aura permis d'avoir la mainmise sur la pègre de Chicago comme le montre une superbe ouverture où il met au pas les trognes patibulaires qui l'entoure. Seulement Louis désormais richissime et amoureux songe à se retirer au sommet de sa gloire et bien vivant de ce monde du crime mais le destin va le rattraper.

On retrouve de manière plus subtile que dans d'autres films de gangsters à venir cette notion de fatalité finissant par perdre le criminel. Si cette idée sera plus guidée par l'application du Code Hays par la suite (le final ajouté de Scarface notamment), ici elle s'instaure avec une logique implacable au récit. L'appartenance aux bas-fonds (la scène où Louis parcoure les rues de son enfance avant de quitter la ville) est un marqueur dont l'argent ne nous débarrasse pas, la guerre des gangs explosant dès son départ forçant ses acolytes à exiger son retour. Sa nouvelle vie est d'ailleurs viciée avant même son début puisque son épouse (Dorothy Mathews) est l'amante de son bras droit Mileaway (James Cagney) et se languira vite de leur ancienne vie plus excitante que la tranquilité de Floride.

La vision des gangsters oscillent d'ailleurs entre la dualité suave et brutale qui définit Louis, leurs méfaits se voyant dépeint à la fois par des gros titres à sensation dans les journaux et la vision des règlements de comptes brutaux et cruels dont une action tragique forcera le retour de Louis. L'appât du gain justifiera cette schizophrénie, Louis gardant une certaine naïveté sous sa nature criminelle avec cette croyance que le dieu dollar mettra fin à tous ses problèmes mais sa richesse n'aura aucun effet sur l'incorruptible O'Grady (Robert Elliott ) et n'empêchera pas la tournure dramatique des évènements.

Lew Ayres offre une prestation assez fascinante notamment dans la dernière partie où brisé il devient un être opaque et violent, délesté du masque séduisant en perdant les idéaux auxquels sa réussite lui avait fait croire. L'issue implacable offrira à notre héros une sortie flamboyante et lucide mais l'on aurait aimé que le parallèle à Napoléon son plus fouillé ce qui aurait donné une plus grande force encore. Reste une œuvre efficace posant les jalons du genre dans son esthétique mais aussi ses figures de proues puisque James Cagney qui en impose déjà dans un second rôle sera repéré ici par Wellman qui en fera son mythique Ennemi Public.

Sorti en dvd zone 2 français chez Warner 

jeudi 18 février 2016

Assassinats en tous genres -The Assassination Bureau , Basil Dearden (1969)

Jeune femme indépendante qui cherche à faire carrière dans le journalisme, Miss Winter (Diana Rigg) enquête sur une entreprise assez spéciale : le bureau des assassinats. Elle vend son projet d’article au propriétaire d’un gros journal anglais Lord Bostwick (Terry Savalas) et se fait passer pour le commanditaire d’un assassinat pour rencontrer le directeur du bureau, un certain Ivan Dragomiloff (Oliver Reed). Celui-ci est quelque peu surpris quand il apprend l’identité de la victime, mais accepte la mission au nom du bureau.

Basil Dearden signe un divertissement de haute volée avec The Assassination Bureau, drôle, trépidant et classieux. Le film a pour origine un roman inachevé de Jack London, dont l'ami et auteur Sinclair Lewis lui suggéra l’idée d'un récit traitant d'une société secrète d'assassin. Jack London se lança donc en 1910 mais, incapable d'en donner une conclusion satisfaisante mis le roman de côté pour un temps et celui-ci resta inachevé à sa mort en 1916. Bien plus tard en 1963, l'auteur Robert L. Fish se basant sur des notes de Jack London achève le roman qui peut enfin paraître.

En ces 60's pop marquée par le succès des James Bond, une adaptation est rapidement mise en route par le producteur Michael Relph qui convoque pour le mettre en scène son vieil ami Basil Dearden dont il fut le directeur artistique sur de nombreux films à la Ealing comme Au cœur de la nuit (1945) ou Saraband for Dead Lovers (1948). Marqué par ses créateurs de renom, le film marquera donc une première rupture avec le roman en se déroulant en Europe plutôt qu'aux Etats-Unis et étant bien plus marqué par un certain esprit british.

Le récit conjugue habilement questionnement moral, réflexion sur la féminité et un jeu astucieux sur le contexte politique européen explosif de l'avant Première Guerre Mondiale. Comme le montre un hilarant pré générique, l'assassinat est plus matière à ridiculiser la maladresse ou la virtuosité des tueurs officiant plus par l'amour du sport que par volonté politique. C'est la vertu détachée de l'Assassination Bureau dirigé par Ivan Dragomiloff (Oliver Reed), pour peu que la cible ait eu des agissements répréhensibles et que le cachet soit lucratif. Cette ambiguïté morale va le rattraper lorsque l'apprentie journaliste Miss Winter (Diana Rigg) remonte la piste du Bureau pour commanditer son propre meurtre. Ivan par amour du jeu relève le défi et se voit traqué à travers l'Europe par ses anciens collègues mais la manœuvre cache un complot plus vaste.

Le ton ludique conjugué à une narration enlevée et pleine de rebondissements fait passer tous les écarts (notamment narratifs voir la facilité avec laquelle Miss Winter infiltre le Bureau même si on aura une explication)) grâce à la richesse du propos sous la légèreté. Cela passe notamment par une délicieuse Diana Rigg. Miss Winter est une jeune femme portée par sa seule ambition et velléités féministe, dont la rigueur morale et le désintérêt pour la frivolité relève plus du manque de vécu. Révoltée par le principe de l'Assassination Bureau, elle va pourtant user d'un procédé douteux pour le démanteler et tirer un bon sujet d'article par la même occasion. Suivant bien malgré lui Ivan dans son périple à travers l'Europe où il essaie de devancer ses poursuivants, Miss Winter va bientôt vaciller en tombant amoureuse de lui.

Chaque étape et pays visité permet d'aborder une ambiance et une tonalité différente incarnée notamment par le tueur auquel se confronte nos héros. Le Paris libertin de la Belle Epoque nous vaudra une visite dans une rutilante maison close dirigée par le vénal Lucoville (Philippe Noiret). Le décor pétaradant joue autant du fantasme que l'on se fait de cette période que de l'esthétique pop et de la liberté de ton des 60's avec ces jeunes filles courte vêtues, la manière dérobée dont on accède à ses lieux de plaisirs. Oliver Reed se situe l'humour en plus dans le sillage du Love de Ken Russell avec des personnages élégants et loin des rôles de rustres qui l'on fait connaître. Il associe cette classe à un transformisme à la Arsène Lupin et une présence virile à la James Bond qui le rend irrésistible dans les différents stratagèmes qu'il monte pour méduser ses poursuivants.

On s'amuse beaucoup de la complicité naissante avec une Miss Winter qui se déride au fil de l'aventure et de ses propres mésaventures. Diana Rigg alterne avec brio ingénuité (notamment durant les scènes avec un Telly Savalas qu'elle recroisera cette même année dans le grandiose Au service secret de sa majesté), présence sexy et forte personnalité. La scène où elle se retrouve en petite tenue, subit une rafle policière et garde tant bien que mal sa dignité en réclamant l'ambassadeur anglais est un régal. Cette vulnérabilité et féminité subie devient naturelle au fil du récit, sa vision se faisant moins binaire avec les sentiments naissants pour Ivan. Là encore de jolis moments (la scène où elle cherche une bombe dans sa chambre où celle où elle sauve Ivan en oubliant son investissement initial) vienne ponctuer la transformation dans les attitudes plus séduisantes et la présence de plus en plus sexy de Diana Rigg.

Même si l'on traverse une sorte d'Europe décalée à la Tintin (passant par Venise, Vienne ou Paris) le sujet est intéressant dans son enjeu voyant l'assassinat revêtir des vertus politique en vue de manipulation en cette ère pré Première Guerre Mondiale. Ivan est presque le garant d'une époque plus morale et insouciante malgré son statut d'assassin tandis que les adversaires seront des adeptes du complot et du chaos. Cette vilenie ordinaire est parfaitement représentée par la veuve pulpeuse qu'incarne Annabella Incontrera. Michael Relph offre une splendide direction artistique parfaitement mise en valeur par Dearden avec des visions chatoyantes de cette Europe reconstituée à Pinewood, appuyant sur un faste et un rococo dont l'éclat cherche à masque le danger tapis dans chaque recoin (le face à face entre Ivan et Annabella Incontrera dans le somptueux palais vénitien).

Trépidant de bout en bout, le film s'offre même un final sacrément spectaculaire entre James Bond rétro et steampunk avec un long affrontement en Zeppelin lourdement armé. Dearden joue autant des intérieurs tortueux de l'engin que des visions impressionnantes le montrant avancer et vaciller dans les airs. Les transparences sont certes assez voyantes mais c'est mis en scène avec un tel panache qu'on reste bien accroché. Seul regret le scénario retrouve un semblant d'élan machiste (alors que c'était parfaitement équilibré jusque-là) en ne faisant pas réellement participer Diana Rigg au sauvetage final même si cela vaudra un bon dernier gag. Un thriller et film d'aventures originale et ludique épatant donc, bonne surprise.

Sorti en dvd zone 1 Warner Archive et doté de sous-titres anglais

mardi 16 février 2016

Boulevard du crépuscule - Sunset Boulevard, Billy Wilder (1950)

Norma Desmond, grande actrice du muet, vit recluse dans sa luxueuse villa de Beverly Hills en compagnie de Max von Meyerling, son majordome qui fut aussi son metteur en scène et mari. Joe Gillis, un scénariste sans le sou, pénètre par hasard dans la propriété et Norma lui propose de travailler au scénario du film qui marquera son retour à l'écran, Salomé. Joe accepte, s'installe chez elle, à la fois fasciné et effrayé par ses extravagances et son délire, et devient bientôt son amant.

De ses balbutiements à ce début des années 50, Hollywood aura connu bien des mutations pour maintenir intact son attrait, du faste du cinéma muet des années 20 à la révolution du parlant en passant par la rutilance du technicolor. Ces basculements se seront fait par la grâce d’artistes de talents et bien évidemment de stars alors élevées au rang de déité en ces heures où le septième art était le divertissement le plus populaire. Pour préserver son éclat et faire sa mue au fil des décennies, l’industrie hollywoodienne aura dû sacrifier ses icônes désuètes pour en élever d’autres, possédant désormais une histoire faire de gloires et de destin brisées. C’est sur ce le poids de ce passé que se penche Billy Wilder avec Sunset Boulevard et c’est ce qui fait l’originalité du sujet, Hollywood s’étant déjà penché par la fiction sur ses coulisses mais le plus souvent en s’inspirant d’une réalité contemporaine comme avec What price Hollywood (1932) de George Cukor ou Une étoile est née (1937) de William A. Wellman. 

L’acuité du regard de Billy Wilder viendra à la fois de son statut d’étranger observant avec une certaine distance le manège hollywoodien, celui de l’ex scénariste ayant connu les vaches maigres et gravit lentement les échelons et enfin celui du réalisateur à succès ayant désormais la hauteur d’observer ce qui l’a précédé. Le point de départ viendra de son coscénariste Charles Brackett imaginant une vedette oubliée du muet souhaitant faire son comeback. S’y ajouteront bientôt des éléments plus retors avec la relation avec un homme plus jeune, l’entremêlement entre fiction et réalité hollywoodienne avec le casting de Gloria Swanson et  Erich von Stroheim ainsi qu’un regard cruel et quasi documentaire avec un tournage dans les vrais studios Paramount et un guest de Cecil B. DeMille dans son propre rôle.

Tout ce croisement de drame, d’ironie et de cruauté est contenu dès l’ouverture où Joe Gillis (William Holden) commente de manière sarcastique sa propre scène de crime et observe son cadavre flottant dans une piscine. Il nous contera donc ce qui l’a conduit à ce moment fatal, Wilder retrouvant (l’emphase, le mystère et l’étrangeté en plus) la narration distanciée en voix-off de son classique du film noir Assurance sur la mort (1944). Scénariste fauché, sans inspiration et aux abois, Joe Gillis en fuyant ses créanciers échoue après avoir crevé un pneu dans une villa fantomatique situé sur Sunset Boulevard. Les lieux s’avèreront certes êtres habités mais n’en contiendront pas moins des spectres du passé avec la gloire oubliée du muet Norma Desmond (Gloria Swanson). 

Celle-ci ne vit que dans le souvenir de sa magnificence passée qu’elle maintient avec un intérieur tenant autant du musée que du mausolée entièrement à sa gloire. Les photos, objets et le luxe d’un autre âge lui maintient l’illusion de sa grandeur, son valet Max (Erich von Stroheim) entretenant la chimère en écrivant de fausses lettres d’admirateurs. Après avoir jadis dompté les hommes par sa beauté et son prestige, c’est en vampirisant un Joe Gillis démuni que Norma va déployer son emprise. 

Gloria Swanson déploie l’expressivité et l’outrance théâtrale d’un jeu hérité du muet mais teinté d’un malaise et d’une folie où son personnage semble constamment se regarder, en perpétuelle représentation sans jamais laisser poindre un éclair de lucidité. Wilder use d’ailleurs d’une lumière surexposée et de composition de plan issues du muet pour capturer le personnage dans son monde intérieur, le retour au réel se faisant par un plan d’ensemble désamorçant l’effet, la photo ténébreuse de John F. Seitz ou par un champ contre champ sur le regard consterné d’un interlocuteur. Le réalisateur rend même concret ce dispositif lors de la scène où Norma Desmond retourne sur un plateau de la Paramount. 

Un vieil éclairagiste la reconnaît et braque son projecteur sur elle, attirant une nuée d’admirateurs comme au temps de sa gloire. Seulement en parallèle on découvrira que Norma ne doit se retour qu’à un besoin accessoire et non pas pour un nouveau rôle. Le moment est pathétique, le projecteur s’éteignant et les fans s’éloignant alors que se révèle la supercherie, maintenant Norma dans un fantasme qui ne doit surtout pas être estompé – superbe face à face avec Ceci B. DeMille usant du décor de Samson et Dalila (1950) qu'il vient de terminer.

Tous les protagonistes s’accrochent à une obsession qui n’a que finalement peu à voir avec l’art. Norma est désormais un pantin narcissique rendue folle par l’adulation d’antan, Max un esclave sans volonté si ce n’est d’entretenir l’éclat bien éteint de celle dont il fut l’époux et le metteur en scène et ne pouvant survivre à sa muse. Wilder pousse d’ailleurs loin le mimétisme avec le réel puisque Gloria Swanson fut en partie responsable de la déchéance d’Erich von Stroheim qu’elle fit renvoyer de Queen Kelly (1929), dont on voit un extrait dans Sunset Boulevard lorsque Norma Desmond se projette ses anciens succès. Partagé entre démence et lucidité quant à sa décrépitude, Norma tient donc Joe par le bienfait matériel et le chantage affectif. Le cynisme résigné et la pitié de celui-ci s’estomperont pourtant au contact de Betty Schaefer (Nancy Olson) le ramenant à des sentiments purs et à l’inspiration artistique. C’est un être encore en construction et hésitant, regardant encore vers l’avenir quand d’autres s’accroche anxieusement au passé. 

Toute l’imagerie du film oscille ainsi dans cet entre-deux. L’atmosphère se fait presque gothique et oppressante dans la villa de Norma Desmond, sinistre vestige et personnage à part entière tandis l’illusion hollywoodienne se conjugue au présent dans la romance naissante entre Joe et Betty qui arpentent de nuit les ruelles factices du studio Paramount. Ce sont finalement les fantômes du passé, les monstres qu’Hollywood à façonné par sa capacité d’oubli qui vaincront lors d’un final désormais légendaire où Norma Desmond retrouve les feux des projecteurs pour de mauvaises raisons. All right, Mr. DeMille, I'm ready for my close-up… Deux décennies plus tard et à son tour du côté des fossiles, Wilder donnera une superbe variation de ce classique avec Fedora (1978).

Sorti en dvd zone 2 et bluray chez Paramount