La secrétaire de Victor Grandison, animateur
d'une série criminelle à la radio, est retrouvée pendue dans la maison
de son patron. Le fiancé de celle-ci, policier de son état, est revenu
de la Guerre et suspecte Grandison d'avoir maquillé un meurtre en
suicide. Sous une fausse identité, il essaye de confondre le vrai
coupable en s'introduisant dans son intimité.
The Unsuspected
est un film noir que Michael Curtiz signe alors que le genre est à son
apogée. En adaptant le roman éponyme de Charlotte Armstrong, Michael
Curtiz se singularise en troquant les bas-fonds urbains habituels du
genre pour la haute société. Le réalisateur est ainsi contemporain du Laura (1944) d'Otto Preminger où le mal était également tapis chez les nantis, tout en ayant une approche façon murder mystery (sous-genre abrdé par Curiz dans Le Mystère de la chambre close
(1933) par son crime insoluble initial et l'aspect ludique de ses
rebondissements et personnages extravagants. Le film anticipe aussi les
thématiques de La Corde d'Alfred Hitchcock ou de Compulsion
de Richard Fleischer à travers le sentiment de supériorité du criminel
aristocrate sûr de son intelligence et en quête du meurtre "parfait". Il
s'agit ici de Victor Grandison (Claude Rains) narrateur radiophonique
hors-pairs des meurtres les plus sordides, une science qui lui permettra
justement de signer ce crime parfait. L'acte tient à la fois (comme
dans les films d'Hitchcock et Fleischer) de la beauté du geste que d'un
motif plus intéressé qui se révèlera au fil de l'intrigue tortueuse.
Claude
Rains est parfait de charisme et de distance froide, sa nature
attentionnée dissimulant toujours le calcul. Michael Curtiz n'avait pas
une grande estime pour le roman de Charlotte Armstrong et pose de
manière fort désinvolte la situation et les personnages. La
caractérisation solide de Grandison s'oppose ainsi à la nature
excentrique de sa nièce Althea (Audrey Totter), à la façon déroutante
dont ressurgit l'innocente Matilda (Joan Caulfield, Curtiz voulait Joan
Fontaine et cela se ressent dans la frayeur écarquillée constante du
personnage très vulnérable), au rôle mystérieux de l'intrus Steven
Howard (Ted North) sans parler de l'acceptation presque insouciante de
tous de l'accumulation de morts suspectes autour d'eux. Le récit est
donc un peu lâche tout en restant très ludique mais c'est vraiment par
sa mise en scène que Curtiz donne toute son ampleur au film.
Cette idée
d'une aristocratie capable de meurtres élaborés sans être inquiétés en
contrepoint d'une plèbe suivant ses pulsions de façon irréfléchie
fonctionne dans une des scènes les plus brillantes. Grandison au micro
de son émission dépeint un meurtre sordide avec panache tandis que la
caméra s'éloigne du studio pour suivre sa voix qui captive la population
à travers leur poste de radio à travers un paysage urbain symbolisant
le monde des "inférieurs". Soudain la caméra s'engouffre dans une
chambre de motel sinistre où le vrai auteur du crime (soumis à un
chantage par Grandison) écoute tremblant le récit de son acte sur les
ondes. Le clou de cette dichotomie entre sang-froid du nanti et
culpabilité du pauvre arrive lorsque l'homme voit le mot KILL se former à
travers les néons de l'hôtel à travers sa fenêtre sous un décor
pluvieux.
L'autre moment marquant est la scène d'ouverture les
effets stylisés du film noir dans un environnement luxueux décuple
l'angoisse et façonne une atmosphère gothique. L'ombre gigantesque du
tueur surplombant la malheureuse victime donne un effet saisissant,
Curtiz enfonçant le clou du macabre avec après l'ellipse du meurtre la
silhouette de la jeune femme pendue bien visible. L'intrigue plutôt
grossière (même si l'on ressent que c'était sans doute plus élaboré dans
le roman) est donc transcendée par les idées inventives (les
enregistrements de Claude Rains, sa manière de piéger tout le monde et
d'élaborer ses meurtres sophistiqués) et les morceaux de bravoure
filmique constant de Curtiz dont un final théâtral et grandiloquent du
plus bel effet.
Sorti en dvd zone 2 français chez Warner
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Beh non. Le roman n'est pas si élaboré. Le film, formellement, lui est infiniment supérieur. Et justement, ses faiblesses scénaristiques, il les doit à un livre écrit sans rigueur, où les manques sont masqués par des rebondissements grossiers (hélas, le film en suit la majorité)
RépondreSupprimerAutre génial moment de pure mise en scène: le plan du meurtre avec le disque qui tourne.
On ne dira jamais assez combien Michael Curtiz est grand. A mille lieues au-dessus du rôle de "bon petit artisan" dans lequel on le fige depuis des décennies.
Avec un script plus "tenu" ou plus épuré, ce film aurait pu être chef-d'oeuvre.
Mais, des fois, Charlotte Armstrong, elle pète les plombs (et la plume).
Pas lu le roman je lançai vraiment la question au conditionnel merci de la précision ;-) Donc le boulot de Curtiz est d'autant plus à saluer vu qu'il transcende les scories du matériau de base.
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