Metropolis
constitue autant une relecture animée du classique de Fritz Lang qu’un immense
hommage à Osamu Tezuka, maître de du manga et de l’animation japonaise. Le film
est l’adaptation du manga éponyme de Tezuka paru en 1949 et où inspiré par une
photo de l’œuvre de Fritz Lang il en offrit sa version sans avoir vu le film
original. Tezuka fonda au début des années 60 le studio Mushi qui contribua à
façonner les codes de l’animation japonaise, notamment à la télévision avec des
œuvres cultes telles que Astro Boy
(Astro le petit robot en France) ou encore Le
Roi Léo. Il y formera nombres de futures grandes figures de la japanimation
amenées à voler de leurs propres ailes sur les cendres de Mushi qui fit
faillite suite à l’échec de Belladonna
(1973). Les anciens de Mushi fonderont ainsi dans la foulée Madhouse, un des
studios les plus audacieux et novateurs qui lancera les carrières de Katsuhiro
Otomo ou encore Yoshiaki Kawajiri et produira des classiques comme La Cité Interdite (1987), Akira (1988) ou Ninja Scroll (1994). En 2001 Madhouse paie donc son tribut à Osamu
Tezuka en adaptant son Metropolis que
réalise son disciple Rintarō sur un scénario de Katsuhiro Otomo.
Le film constitue une belle réussite où s’harmonisent
totalement les velléités humaniste de Tezuka, le sens du chaos de Otomo et le
style fluide et malléable (l’esthétique de Tezuka et notamment le design si
singulier de ses personnages est totalement respecté) de Rintarō, vrai Zelig de
l’animation. Le récit façonne une fable plus marquée politiquement et moins
allégorique que le film de Fritz Lang, en tout cas marquée par une expérience
réelle du totalitarisme japonais quand Hitler n’obtiendra le pouvoir en Allemagne
que six ans après le Metropolis
original. La version animée dépeint certes une cité futuriste et dystopique où
le statut social s’inscrit par la hauteur où l’on s’y situe mais finalement
traite symboliquement d’un phénomène d’exclusion plus raciale que sociale dans
son déroulement.
Les nantis vivent dans les hauteurs bariolées, aérées et
luxuriantes de la ville quand les pauvres se terrent dans des profondeurs
ténébreuses, engoncées et tentaculaires où la promiscuité témoigne de ce
dénuement. Les hommes sont pourtant renvoyés dos à dos dans une même
imperfection, entre quête de pouvoir et instincts violents. Les vrais exclus
sont les robots, exploités et pliés à une discipline cruelle par les riches,
détestés et conspués par les pauvres dont ils prennent les emplois. La mise en
scène de Rintarō par sa manière d’amener les maltraitances arbitraires envers
les robots crée immédiatement l’empathie par son parallèle évident l’esclavage. La fillette robot Tima est à la
croisée des chemins des clivages de la cité : au départ création
révolutionnaire destinée à contrôler la ville, elle va au contraire découvrir
le monde sous son angle le plus chaleureux au contact du jeune Kenichi. Ainsi
détournée de son objectif destructeurs, elle va s’avérer le personnage le plus
touchant du film dans sa quête d’elle-même.
Le chaos prend toujours des contours bibliques avec
Katsuhiro Otomo qui multiplie les symboles. La tour Ziggurat reprend le nom d’un
édifice babylonien transposé en Tour de Babel dans l’Ancien Testament et
illustre donc cette quête du pouvoir, cette volonté des hommes de défier le
divin et qui les perdra. On retrouve une relecture de Caïn et Abel où Tima,
image de la fille défunte du Duc Rouge est détestée par le fils adoptif Rock.
Tima est l’innocence et la candeur incarnée quand Rock est corrompu, névrosé et
le bras armé du parti totalitaire de Marduk (dont les tenues oscillent entre l’uniforme
nazi et les tuniques noires fascistes). Toute cette richesse thématique est
rendue accessible par l’approche de Rintarō. L’esthétique enfantine des
personnages s’oppose ainsi à l’architecture oppressante de la ville. Chez les
nantis, le foisonnement de couleurs et de monuments excentrique a quelque chose
de forcé et factice dans son bonheur, toujours contrebalancé par l’autorité qu’incarnent
les tours imposantes au style plus sobre. A l’inverse les profondeurs dessinent
une machinerie tortueuse lorgnant sur le steampunk (là encore l’influence d’Otomo
est évidente et anticipe les dédales à vapeurs de Steamboy (2004)) mais aussi une photo sombre, des couleurs opaques
et un environnement chargé. L’ensemble revêt une imagerie monumentale mais tout
aussi inquiétante en haut comme en bas malgré les différences et témoigne ainsi
du renvoi à une imperfection chez les humains quel que soit leur statut social.
On oscille entre le récit d’initiation et la romance naïve
pour tout ce qui a trait à Tima et Kenichi (avec un attachement mutuel joliment
amené dans la découverte du monde de Tima, et la poursuite de la métaphore
biblique avec l’allure réellement céleste que lui confère Rintarō dans
certaines scènes) et le film noir pour l’enquête du détective Shunsaku Ban. La
bande-son jazzy de Toshiyuki Honda et la direction artistique lorgnant sur le
polar des années 40 (le design des véhicules, l’imper et le feutre de Shunsaku
Ban) amènent donc cette facette plus référencée qui se fond bien à l’ensemble.
Tout cela va progressivement s’estomper pour laisser place à la furie des
hommes, égaux dans la violence et les émotions négatives quand les robots
seront toujours bienveillants, que ce soit dans la candeur de Tima, le bon sens
du robot policier Pero et une rencontre avec un robot éboueur digne du Miyazaki
du Château dans le ciel (1986).
Chacun
des robots sera à son tour de cette folie humaine se laissant dépasser par la
jalousie, l’ambition ou la revanche. Si les robots domestiques se plieront à
cette souffrance attendue, Tima renvoyé à son statut de machine va déchaîner l’enfer
dans un final apocalyptique à la Otomo mais que Rintarō atténue par une émotion
poignante. Alors que tout s’effondre, ce sont bien les ultimes instants entre
Kenichi et Tima qui émeuvent, porté par le I
Can't Stop Loving You de Ray Charles. Une belle réussite, où le respect d’Osamu
Tezuka et Fritz Lang n’exclue par une approche originale et captivante.
Sorti en dvd zone 2 français chez Sony
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