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vendredi 15 juillet 2016

Voici le temps des assassins - Julien Duvivier (1955)


À Paris, André Chatelin, restaurateur aux Halles à l'enseigne Au rendez-vous des Innocents, est un modèle d'homme droit, patron paternaliste et le cœur sur la main. Mais un beau matin, une jeune fille tout juste arrivée de Marseille se présente à son restaurant. Elle dit être Catherine, la fille de Gabrielle, première femme de Chatelin, dont il est divorcé et n'a plus de nouvelles depuis vingt ans. Selon Catherine, Gabrielle vient de mourir, et elle n'a nulle part où aller. Chatelin lui offre alors son hospitalité. Mais insidieusement, Catherine mène un jeu trouble auquel Chatelin ne voit que du feu.

Pour Julien Duvivier Voici le temps des assassins sonne comme la réponse noire et désespérée au romantisme naïf et flamboyant de Marianne de ma jeunesse (1955), son film précédent fraîchement accueilli par la critique et le public. Ce sera l’occasion des retrouvailles entre Duvivier et Jean Gabin, qui avaient tournés La Promesse (1944) le temps de leurs exil Hollywoodien sous l’Occupation mais dont les grandes collaborations remontaient aux années 30 avec les mythiques La Bandera (1935), La Belle équipe (1936), Pépé le Moko (1937) entre autres… Ce sera avec Touchez pas au grisbi de Jacques Becker (1954) un des films qui reconstruira l’image de Jean Gabin aux yeux du public, pas encore le « Patron » et plus le jeune premier écorché vif des années 30. 

Les grands classiques de Duvivier avaient souvent été empreints d’une vraie noirceur mais le lyrisme et le romanesque l’emportaient toujours malgré les conclusions tragiques. S’il s’adonne à la plus franche comédie dans certains de ses films d’après-guerre (Le petit monde de Don Camillo (1952) et Le Retour de Don Camillo (1954) qui restent ses plus gros succès), c’est également là qu’il signe ses films les plus nihilistes. Les fantômes de l’Occupation planent au-dessus de Panique (1947) avec son racisme ordinaire et sa peur de l’autre, mais également Marie-Octobre (1959) où la fraternité de la Résistance se voit ébranlée par la suspicion. Même n’évoque pas frontalement le sujet, on peut tout à fait y associer Voici le temps des assassins. Le personnage faussement angélique Catherine (Danièle Delorme) est le portrait d’une jeunesse précocement avilie par la misère de cette Occupation, et prêt à tout pour ne pas y retomber. Tout comme dans La Belle équipe, c’est l’aura corruptrice d’une séductrice qui viendra briser un espace de fraternité. Duvivier filme dans une approche réaliste (les extérieurs tournés sur place, et les intérieurs minutieusement reconstitués en studio) l’activité foisonnante des Halles (superbe photo de Armand Thirard), la camaraderie des maraîchers qui se connaissent  tous et dont l’allant teinté de bonhomie est bien représenté par le restaurateur André Chatelin (Jean Gabin). Catherine, fille de l’ex-épouse de Chatelin va venir y semer le chaos.

Le choix de Danièle Delorme peut surprendre mais alors que le choix d’une vamp pulpeuse aurait été trop évident, la candeur  de l’actrice peut bien plus aisément laisser s’immiscer la discorde chez ses interlocuteurs ne soupçonnant pas sa duplicité. Un regard enjôleur, une déclaration d’amour innocente, une allusion ambigüe, tout cela suffira à enflammer le cœur du vieux Chatelin comme du jeune fils spirituel Gérard (Gérard Blain) et les brouiller sans raison. Jean Gabin incarne un personnage gentiment bourru et attachant qui ne voit rien venir, tant sa vie semble destiner à être dominée par des femmes fortes. Chacune symbolise une figure de cauchemar où la fragilité de Catherine dissimule une âme pervertie, l’ex-épouse en fait bien vivante Gabrielle (Lucienne Bogaert) tire les ficelles du complot en coulisse et la mère de Chatelin (Germaine Kerjean qui n’avait en fait que 10 ans d’écart avec Gabin) véritable harpie castratrice et envahissante – on pourrait même y ajouter la vieille domestique intrusive jouée par Gabrielle Fontan. Elles auront toutes droit à une scène montrant l’envers monstrueux de cette féminité que ce soit le regard meurtrier et fou de Catherine lors d’un meurtre révoltant dans la dernière partie – la Jean Simmons du final de Un si doux visage (1952) n’est pas loin - , le visage déformé par le manque de Gabrielle devenue junkie,  et la froideur impitoyable de la mère Chatelin qui châtie sa belle-fille à coups de fouet lors séquence hallucinante. 

Toutes les aspirations légitime à une existence douce (matérielle, sentimentale…) guide les personnages vers un point de non-retour dont il sera impossible de revenir. Visuellement tous les éléments positifs initiaux se voient teintés de cette noirceur. L’espace convivial du restaurant se resserre peu à peu ne plus capturer que la jalousie et la suspicion naissante, le fourmillement pittoresque des travailleurs des Halles s’interrompt saisir un bagarre brutale et Duvivier inverse même l’imagerie de ses films précédent ici avec les rives de la Marne - théâtre de moments de joie hédoniste dans La Belle équipe - où se déroulera la tragédie finale. Cette quête d’ailleurs sera synonyme de perte dramatique (de son âme, de sa vie, d’un proche et surtout de ses illusions) pour tous les protagonistes dans une conclusion parmi les plus désespérée du cinéma français des années 50. Un pur diamant noir, un des chefs d’œuvres de Duvivier. 

Sorti en dvd et bluray chez Pathé 

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