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mardi 19 juillet 2016

Obsessions - Flesh and Fantasy, Julien Duvivier (1943)

Un homme, obsédé par un rêve, consulte un ami qui lui lit trois récits dans lesquels le rêve et les prédictions ont eu une influence prépondérante. Dans le premier, une jeune fille laide approche le jeune homme qu'elle aime, à la faveur d'un bal masqué. Dans le second un homme devient assassin malgré lui. Et dans la troisième, un acrobate a rêvé qu'il se tuerait en faisant son numéro à la vue d'une certaine femme brune.

Obsessions est une des belles réussites de la période américaine de Julien Duvivier et constitue pour Universal une manière de surfer sur le succès de Tales of Manhattan, un film à sketches que le réalisateur signa à la Fox l’année précédente. Duvivier se trouve pleinement dans son élément ici à travers trois sketches dont les sources d'inspiration diverses - un scénario original pour le premier et le troisième segment, une adaptation de la nouvelle d'Oscar Wilde Le Crime de Lord Arthur Saville pour le second - forment un tout cohérent autour du thème de la destinée. Celle-ci est une source de bonheur ou de tourments pour qui sait se détacher ou se soumettre à la connaissance, à l’interprétation qu'il en aura au cours des différentes histoires. C’est un questionnement que l’on trouve tout au long de la filmographie de Duvivier : cette destinée transcende la quête d’ailleurs dans La Bandera (1935), l’écrase dans Pépé le Moko (1937) et représente la source de variations intradiégétiques - le jeu narratif de La Fête à Henriette (1952) - ou extradiégétiques à travers les deux fins de La Belle équipe (1936). L'argument de départ tient dans la rencontre de deux amis à leur club, l'un (Robert Benchley) confiant à l'autre son trouble. La veille, une voyante lui a prédit qu'il agirait d'une certaine façon tandis que dans la nuit un rêve prémonitoire le montrait faire l'exact contraire. Son ami va donc lui faire lire trois histoires qui le guideront dans son dilemme. Les trois sketches se tiennent plutôt tous bien, les deux premiers captivent par leur esthétique et leur atmosphère tandis que l'émotion sera au rendez-vous surtout dans le troisième.

La première histoire se déroule à La Nouvelle-Orléans en plein Mardi Gras. La jeune Henrietta (Betty Field) n'est pas de la fête, rongée par la rancœur. Son physique disgracieux la complexe et la noie dans la solitude, à contempler son voisin étudiant (Robert Cummings) dont elle est amoureuse et qui ne la voit pas. Un être mystérieux lui donne alors un masque sous lequel elle paraîtra belle aux autres, le charme s'estompant le matin. L’ambiance nocturne est envoûtante et l'animation, les farandoles et les costumes de ce Mardi Gras forment un tourbillon aux contours de rêve éveillé et de pure féérie. Ce foisonnement visuel s'estompe progressivement pour laisser se découvrir et s'aimer les deux amoureux fraîchement rencontrés. Betty Field (dont l'allure masquée préfigure Les Yeux sans visage) au jeu volontairement forcé au départ avec ce maquillage qui l'enlaidit finit par exprimer une fragilité et une retenue surprenantes une fois masquée, l'émotion fonctionnant par sa voix douce, ses regards et sa gestuelle délicate. Enfin préoccupée par l'autre et non plus par son propre mal-être, Henrietta va enfin découvrir qu'elle peut être belle dans ce très joli moment. Il s’agit donc ici d’accepter le coup de pouce du destin pour s’améliorer.

La deuxième histoire voit l'avocat Marshall Tyler (Edward G. Robinson) victime d'une prédiction du voyant Podgers (Thomas Mitchell) qui lui annonce qu'il commettra un meurtre. Perturbé par la nouvelle, Tyler cherche à devancer l'événement et à commettre un crime, sans succès jusqu'à la pirouette finale. Le déroulement est attendu mais la mise en scène de Duvivier instaure une ambiance gothique oppressante, portée par les jeux d'ombres expressionnistes de la photographie de Stanley Cortez et des décors conçus par Robert Boyle. La savoureuse prestation schizophrène d’Edward G. Robinson permet une interprétation ambigüe entre pur cauchemar à tendance psychanalytique et vrai récit surnaturel dans lequel une destinée fatidique sera venue punir ce personnage arrogant.

 La transition se fait à même le récit précédent pour amorcer le dernier sketch. Charles Boyer est un funambule victime d'un rêve prémonitoire avant son numéro, au cours duquel il chute lorsque crie une femme qui a les traits de Barbara Stanwyck. Il finira par la rencontrer en chemin pour sa prochaine prestation à Londres. Barbara Stanwyck dégage charme, mystère et fragilité avec son brio habituel et forme un beau couple avec un Charles Boyer parfait de séduction. Le sketch résume bien le fil rouge du film où l’on ne sait si cette destinée annonce une menace inéluctable planant sur le couple s’il reste ensemble, ou si elle célèbre au contraire leurs sentiments dans un magnifique dilemme rédempteur. Au passage, Duvivier fait preuve d’un brio formel éblouissant pour illustrer le numéro virtuose de Charles Boyer. La séparation finale, chargée d’émotion, achève de faire de ce segment le meilleur du film. Un quatrième sketch fut d'ailleurs coupé au montage : le mort découvert au début la première histoire en était issu, tueur emporté dans une tornade et ayant échoué là. Universal préféra couper cette partie pourtant coûteuse - notamment une spectaculaire scène de tornade - finalement recyclée et complétée de scènes additionnelles dans Destiny (1944) de Reginald LeBorg.

Sorti en dvd zone 2 français chez Universal 

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