Vincenzo, travailleur d'origine italienne, est employé dans une mine
de charbon en Belgique. Après avoir survécu à un grave accident, il
veut retourner dans son pays. Il fait un détour à Amsterdam en compagnie
de son ami Federico. Là, il rencontre une prostituée d'une très grande
beauté, Else, dont il tombe éperdument amoureux. Ses perspectives sont
alors entièrement bouleversées...
La Fille dans la vitrine
est une œuvre qui signe malheureusement le glas de la carrière de
Luciano Emmer dans la fiction. Le sujet du film provoque les foudres du
parti de la Démocratie chrétienne qui via la censure en imposera de
larges coupes avant de lui accorder une sortie réservée aux adultes pour
un évident échec commercial. Dégouté Luciano Emmer retournera donc à
ses premières amours documentaires durant les 30 années suivantes
(notamment pour la RAI) et ne reviendra à la fiction qu'en 2001 avec
Une longue, longue, longue nuit d'amour. Rien de scabreux pourtant dans ce beau film où Luciano Emmer revisite avec brio le sujet de son film le plus connu,
Dimanche d'août
(1950). Dans ce dernier il évoquait à travers un récit choral les hauts
et les bas d'un groupe de personnages durant le congé dominical et y
observait donc une Italie à la croisée des chemins de la crise
d'après-guerre et du boom économique à venir.
Dix ans plus tard Luciano
Emmer s'intéresse ainsi aux travailleurs émigrants italiens avec ces
mineurs quittant le pays pour travailler en Belgique. On retrouve
l'habile mélange du réalisateur en fiction et documentaire où il capture
dans un même mouvement la camaraderie de ce groupe de travailleur mais
aussi l'âpreté du travail à la mine. Après avoir introduit le jeune
Vincenzo (Bernard Fresson) et ses compagnons, Emmer les fait disparaître
en tant qu'individu. La descente à la mine symbolise un oubli du monde
(ce zoom arrière voyant la lumière du jour s'éloigner brutalement) et de
soi, réduisant chacun à un travailleur anonyme et interchangeable par
son visage noir de suie, par son corps disparaissant dans les tunnels
exigus, sombres et rocailleux. Ayant frôlé la mort et longuement agonisé
après un éboulement, Vincenzo se laisse entraîner par Federico (Lino
Ventura) un autre survivant, à un weekend de plaisir à Amsterdam.
Les péripéties des protagonistes de
Dimanche d'août
étaient à la mesure de leur quotidien de travailleur, entre langueur à
la plage ou solitude urbaine. L'oubli recherché par Vincenzo et Federico
est donc aussi radical que la dureté de leur tâche en semaine, un
weekend avec les prostituées posant en vitrine dans les rues
d'Amsterdam. L'habitué Federico sert de guide à son compagnon et au
spectateur quant aux codes de ce monde tandis que la caméra d'Emmer
arpente crûment l'activité de ces rues des plaisirs et l'aguichage des
belles d'âges, physiques et talents variés. Le récit prend son temps,
nous faisant explorer les différents bars du quartier où grouille cette
diaspora italienne travailleuse venue se relaxer et où le se sexe (même celui non désiré hilarante scène ou Lino Ventura se trouve à son insu dans un bar gay) semble
partout pouvoir se monnayer selon les finances et la capacité à
communiquer.
La réserve de Vincenzo est tout autant un obstacle que
l'attitude balourde de Federico, mais si le second retrouve sa compagne
habituelle Corrie (Magali Noël) le premier n'arrive pas à oublier la
belle et mystérieuse Else (Marina Vlady) aperçu en voiture. Trouvant le
courage de la solliciter il va passer la nuit puis le weekend avec elle.
Bernard Fresson loin de certains rôles rustres qui le feront connaître
par la suite est surprenant en jeune homme emprunté et amoureux.
L'alchimie fonction à merveille avec une troublante Marina Vlady. Elle
est d'abord vue comme une vamp distante et avide exprimant le
détachement qu'exige ce métier de prostituée, Emmer capturant
subtilement son trouble naissant face à l'innocence et au regard timide
de ce garçon cherchant le courage de l'aborder et étonnement tendre au
moment de "consommer".
Le drame du film va naître de l'incapacité
des hommes à reconnaître dans leur compagne des esclaves tout comme eux
recherchant l'oubli dans leur bras. Magali Noël laisse ainsi peu à peu
se fissurer son cynisme de façade, jalouse et colérique quand Federico
sollicite d'autres femmes au détour du weekend. Lui ne semble voir en
elle qu'un repos du guerrier après sa semaine à la mine. La douceur des
regards et attitudes d’Else trahissent également d'autres sentiments
auquel Vincenzo ne semble pouvoir répondre que par l'expression de son
pressant désir physique. Luciano Emmer magnifie Marina Vlady lors de
leurs retrouvailles sur les dunes surplombant la plage (également lors
de la superbe scène de ballade en barque), délestant sa féminité de tous
artifices séducteurs pour simplement capturer une beauté libre et
désormais dénué de tout esprit de calcul.
Le machisme italien ordinaire
semble pourtant incapable d'entrevoir cette vérité, une situation ou un
dialogue maladroit venant toujours rappeler aux femmes leur nature
d'objet de consommation éphémère le temps de ce weekend - Vincenzo riant
lorsque Else lui demande son avis sur le mariage. Tout le film navigue
dans cet entre-deux incertain, mais lorsque les personnages sont à court
de mots et se montre les plus empruntés (ce baiser furtif et maladroit
de Else à la gare) on ressent comme cette relation pourrait être plus
sincère. La belle fin ouverte laisse à l'interprétation la suite
possible avec le retour inattendu aux mines. Les retrouvailles en fin de
semaine augurent elles une romance (le choix de reprendre à la mine de
Vincenzo) ou une débauche ordinaire comme le suggère un dernier dialogue
trivial ? Luciano Emmer laisse la réponse à la libre interprétation du
cynisme et du côté fleur bleue du spectateur.
Sorti en dvd zone 2 français chez SNC/M6 Video
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire