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mardi 23 août 2016

La Fille dans la vitrine - La Ragazza in vetrina, Luciano Emmer (1961)

Vincenzo, travailleur d'origine italienne, est employé dans une mine de charbon en Belgique. Après avoir survécu à un grave accident, il veut retourner dans son pays. Il fait un détour à Amsterdam en compagnie de son ami Federico. Là, il rencontre une prostituée d'une très grande beauté, Else, dont il tombe éperdument amoureux. Ses perspectives sont alors entièrement bouleversées...

La Fille dans la vitrine est une œuvre qui signe malheureusement le glas de la carrière de Luciano Emmer dans la fiction. Le sujet du film provoque les foudres du parti de la Démocratie chrétienne qui via la censure en imposera de larges coupes avant de lui accorder une sortie réservée aux adultes pour un évident échec commercial. Dégouté Luciano Emmer retournera donc à ses premières amours documentaires durant les 30 années suivantes (notamment pour la RAI) et ne reviendra à la fiction qu'en 2001 avec Une longue, longue, longue nuit d'amour. Rien de scabreux pourtant dans ce beau film où Luciano Emmer revisite avec brio le sujet de son film le plus connu, Dimanche d'août (1950). Dans ce dernier il évoquait à travers un récit choral les hauts et les bas d'un groupe de personnages durant le congé dominical et y observait donc une Italie à la croisée des chemins de la crise d'après-guerre et du boom économique à venir.

 Dix ans plus tard Luciano Emmer s'intéresse ainsi aux travailleurs émigrants italiens avec ces mineurs quittant le pays pour travailler en Belgique. On retrouve l'habile mélange du réalisateur en fiction et documentaire où il capture dans un même mouvement la camaraderie de ce groupe de travailleur mais aussi l'âpreté du travail à la mine. Après avoir introduit le jeune Vincenzo (Bernard Fresson) et ses compagnons, Emmer les fait disparaître en tant qu'individu. La descente à la mine symbolise un oubli du monde (ce zoom arrière voyant la lumière du jour s'éloigner brutalement) et de soi, réduisant chacun à un travailleur anonyme et interchangeable par son visage noir de suie, par son corps disparaissant dans les tunnels exigus, sombres et rocailleux. Ayant frôlé la mort et longuement agonisé après un éboulement, Vincenzo se laisse entraîner par Federico (Lino Ventura) un autre survivant, à un weekend de plaisir à Amsterdam.

Les péripéties des protagonistes de Dimanche d'août étaient à la mesure de leur quotidien de travailleur, entre langueur à la plage ou solitude urbaine. L'oubli recherché par Vincenzo et Federico est donc aussi radical que la dureté de leur tâche en semaine, un weekend avec les prostituées posant en vitrine dans les rues d'Amsterdam. L'habitué Federico sert de guide à son compagnon et au spectateur quant aux codes de ce monde tandis que la caméra d'Emmer arpente crûment l'activité de ces rues des plaisirs et l'aguichage des belles d'âges, physiques et talents variés. Le récit prend son temps, nous faisant explorer les différents bars du quartier où grouille cette diaspora italienne travailleuse venue se relaxer et où le se sexe (même celui non désiré hilarante scène ou Lino Ventura se trouve à son insu dans un bar gay) semble partout pouvoir se monnayer selon les finances et la capacité à communiquer.

La réserve de Vincenzo est tout autant un obstacle que l'attitude balourde de Federico, mais si le second retrouve sa compagne habituelle Corrie (Magali Noël) le premier n'arrive pas à oublier la belle et mystérieuse Else (Marina Vlady) aperçu en voiture. Trouvant le courage de la solliciter il va passer la nuit puis le weekend avec elle. Bernard Fresson loin de certains rôles rustres qui le feront connaître par la suite est surprenant en jeune homme emprunté et amoureux. L'alchimie fonction à merveille avec une troublante Marina Vlady. Elle est d'abord vue comme une vamp distante et avide exprimant le détachement qu'exige ce métier de prostituée, Emmer capturant subtilement son trouble naissant face à l'innocence et au regard timide de ce garçon cherchant le courage de l'aborder et étonnement tendre au moment de "consommer".

Le drame du film va naître de l'incapacité des hommes à reconnaître dans leur compagne des esclaves tout comme eux recherchant l'oubli dans leur bras. Magali Noël laisse ainsi peu à peu se fissurer son cynisme de façade, jalouse et colérique quand Federico sollicite d'autres femmes au détour du weekend. Lui ne semble voir en elle qu'un repos du guerrier après sa semaine à la mine. La douceur des regards et attitudes d’Else trahissent également d'autres sentiments auquel Vincenzo ne semble pouvoir répondre que par l'expression de son pressant désir physique. Luciano Emmer magnifie Marina Vlady lors de leurs retrouvailles sur les dunes surplombant la plage (également lors de la superbe scène de ballade en barque), délestant sa féminité de tous artifices séducteurs pour simplement capturer une beauté libre et désormais dénué de tout esprit de calcul.

Le machisme italien ordinaire semble pourtant incapable d'entrevoir cette vérité, une situation ou un dialogue maladroit venant toujours rappeler aux femmes leur nature d'objet de consommation éphémère le temps de ce weekend - Vincenzo riant lorsque Else lui demande son avis sur le mariage. Tout le film navigue dans cet entre-deux incertain, mais lorsque les personnages sont à court de mots et se montre les plus empruntés (ce baiser furtif et maladroit de Else à la gare) on ressent comme cette relation pourrait être plus sincère. La belle fin ouverte laisse à l'interprétation la suite possible avec le retour inattendu aux mines. Les retrouvailles en fin de semaine augurent elles une romance (le choix de reprendre à la mine de Vincenzo) ou une débauche ordinaire comme le suggère un dernier dialogue trivial ? Luciano Emmer laisse la réponse à la libre interprétation du cynisme et du côté fleur bleue du spectateur.

Sorti en dvd zone 2 français chez SNC/M6 Video

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