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vendredi 25 novembre 2016

Les bandes originales synthétiques au cinéma

En 1955, la screwball comedy La Blonde et Moi de Frank Tashlin se dotait, en plus de ses gags splapstick et des formes affolantes de Jane Mansfield, d'un atout novateur. La bande-son contribua en effet grandement au succès du film en y incluant des stars du rock'n'roll naissant et faisant fureur au sein de la jeunesse avec des artistes comme Little Richards, Fats Domino ou encore Eddie Cochran, certains apparaissant même dans le film. La voie était tracée pour l'arrivée au cinéma du rock et, plus généralement, de la musique contemporaine. L’évolution se poursuit durant les 60's avec évidemment la célébrissime musique d'Easy Rider (1969) et le fameux Born to be wild de Steppenwolf. Du côté des compositeurs de films, des artistes issus de la musique pop se font une place dorée comme le maître du Brill Building Burt Bacharch, à qui l'on doit les inoubliables ambiances easy listening de Casino Royale (1967), After The Fox (1965) ou plus tard Butch Cassidy and Sundance Kid (1969).
Un des compositeurs les plus brillants de l'époque était évidemment John Barry, qui alliait à la perfection influences modernes et parfaite maîtrise du classicisme.


Sur Ia musique novatrice et mémorable du James Bond Au service secret de sa majesté (1969), John Barry intègre un instrument très en vogue dans le rock psychédélique : le synthétiseur Moog, instrument (ainsi que son ancêtre, le mellotron) qui fait Ie bonheur des groupes du Swinging London qui s’en donnent à cœur joie avec les sonorités modernes de l'instrument dont les effluves font immédiatement décoller les atmosphères opiacées au LSD et aux acides. Au début des années 70, l'usage du synthétiseur Moog se démocratise encore plus, entre les compositeurs de films novateurs comme François de Roubaix et les champions du rock progressif que sont Emerson Lake and Palmer ou les célèbres Pink Floyd. Ces derniers, en signant la musique du film de Barbet Schroeder More (1969), entérinent définitivement le lien entre rock et cinéma, puisqu'on échappe au domaine de la chanson ajoutée. C'est l'explosion du post-punk et de la new wave, dont il est le pivot à la fin des années 70, qui intègre pour de bon le synthétiseur à la musique du film. 


L’heure est à la modernité et parallèlement au retour du tout symphonique amorcé par les scores de Star Wars (1977) et Superman (1978) de John Williams, des artistes inattendus se trouvent désormais choisis par les réalisateurs en vue. Les Allemands de Tangerine Dream, issus du rock progressif, lancent le mouvement avec le chef-d’œuvre de William Friedkin, Le Convoi de Ia Peur (Sorcerer, 1977). Le célèbre producteur disco Giorgio Moroder obtient quant à lui l'Oscar (au nez et à la barbe d'Ennio Morricone pour Les Moissons du Ciel) avec l'entêtant score de Midnight Express (L978). Ces deux artistes abonnés aux productions de prestige feront bientôt bien mieux.


Moroder (avant de tomber dans le racoleur efficace sur Top Gun, Scarface et Flashdance) délivre une œuvre exceptionnelle avec le score de La Féline (1982) pour Paul Schrader. Pulsations synthétiques envoûtantes, tout à la fois accrocheuses (la chanson de David Bowie récemment réutilisée par Quentin Tarantino dans son lnglourious Basterds) et atmosphériques qui parviennent parfaitement à capter la sensualité vénéneuse du film. Tangerine Dream offrent deux œuvres de haute volée à Michael Mann pour Le Solitaire (1981) et La Forteresse Noire (1983). Pour le premier synthétiseur planant et guitares agressives contribuent à la tonalité inédite instaurée dans le polar urbain par Michael Mann.
Quant au second, il transcende totalement les lacunes du film (coupes, effets spéciaux désuets même pour l'époque) en instaurant le mystère et l'ambiguité que Ies coupes de ce film maudit ont un peu atténués. Parallèlement, les compositeurs plus classiques tentent aussi l'aventure, tel Jerry Goldsmith qui intègre de plus en plus le synthétiseur à ses scores des 80's, notamment sur Rambo 2 : La Mission (1985) et Rambo 3 (1988). Plus surprenant encore la musique du « Peckinpanien » Extrême Préjudice (1987) de Walter Hill dont l'ambiance néo western se voit offrir un contrepoint sonore surprenant car entièrement synthétique. À l'instar du Queen de Flash Gordon (1980), les groupes rock mastodontes du moment tentent aussi l'aventure. Les champions du rock FM Toto signent ainsi une grande réussite avec Dune (1984), croisant musique symphonique, synthétiseur et guitares rock pour un résultat épique, romanesque et hypnotique rehaussé par un fabuleux morceau de Brian Eno. Le synthétiseur, c'est aussi la solution idéale pour les productions modestes qui souhaitent doter leur image d'une musique à la hauteur bien que dénuées de grand orchestre.


Brad Fiedel signe un score martial, héroïque et romantique inoubliable pour le Terminator (1984) de James Cameron. Pour rester dans la sphère « cameronienne », Tangerine Dream - encore eux - contribueront ainsi grandement à la réussite d'Aux frontières de l’aube (1987) de Kathryn Bigelow. Mariant sonorité western et guitares sèches pour le cadre du récit et sonorités froides et troublantes pour l'incursion déroutante du fantastique dans celui-ci, le résultat est fabuleux. George Romero en sait également quelque chose puisque, entre les Gobelin pour Zombie (1978) et surtout John Harrison dans Le Jour des morts-vivants (1985), il aura largement recours à des adeptes de l'instrument pour mettre en musique ces films. 

John Carpenter est bien évidemment le maître en la matière, cumulant les talents en réalisant et composant ses bandes originales. Au départ lui aussi confronté à ses budgets restreint, Carpenter en fait une force en conférant une identité unique à ses films dont la sécheresse et la précision de la mise en scène se conjugue au minimalisme entêtant de ses compositions. Le main theme menaçant et glacial de Assaut (1976), le groove martial et la dimension héroïque de New York 1997 (1980), l’alliance du blues traditionnel et des machines de Invasion Los Angeles (1987) ou encore l’agressivité rock de L’Antre de la folie (1993), tout cela aura constitué un enrobage idéal aux œuvres les plus cultes du réalisateur.

Cette identité sonore est d’ailleurs si marquée que même lorsqu’il fera appel au grand Ennio Morricone pour The Thing (1982), Carpenter le forcera à donner dans ce même minimalisme glacial (les compositions plus virtuoses et chargées de notes non utilisées dans le film se trouvent sur le disque et un Tarantino s’en donnera à cœur joie en les réutilisant à bon escient dans Les Huit Salopards (2016)). Même chose avec Jack Nitzsche loin de son classicisme sur un Starman (1985) aux mélopées romanesques inondées de nappes de claviers. Sans le savoir John Carpenter s’avérait un précurseur et une influence majeure de la musique électronique et du hip hop, une aura qui lui permettra une seconde carrière musicale avec deux albums et un récent et triomphal concert au Grand Rex en France.


Le style s'estompe dans les 90's et les artistes électro ne reprirent pas totalement le relais, à l'exception de quelques tentatives, comme Thomas Bangalter de Daft Punk (dont le hit Da Funk est largement inspiré du « main theme » de Giorgio Moroder pour Midnight Express) avec Irréversible (2002) ou encore Massive Attack sur Danny The Dog (2005). Alors même que peu de bandes originales se reposent uniquement sur lui, le synthétiseur fait définitivement partie des instruments plébiscités par les compositeurs pour le meilleur (le spleen introspectif de Heat (1995) de Michael Mann par Elliot Goldenthal, épaulé par un mémorable morceau de Moby) et pour le pire comme sur Titanic (1997) où James Horner remplace les cordes par des nappes synthétiques grossières. 


Avec la nostalgie qui caractérise les années 2010, ces sonorités reviennent cependant en force notamment le score très carpenterien du terrifiant It Follows (2014) ou le remake de Maniac (2012). Le style massif d’un compositeur comme Hans Zimmer popularise un usage plus moderne du synthétiseur dans les BO de réussites comme Inception (2010), et s’avère une influence sous-jacente d’artistes venus d’autres horizons sollicités par Hollywood. Daft Punk aura ainsi signé une musique particulièrement brillante pour Tron Legacy (2010) et la grandiloquence du groupe M83 se prêtera bien aux fabuleuses visions d’Oblivion (2013) de Joseph Kosinski, ce qui entérine d’ailleurs l’association entre le synthétiseur et le cinéma de genre. La curiosité est de mise chez le mélomane et cinéphile quant aux mues futures de cet usage toujours détonant du synthétiseur.

4 commentaires:

  1. Chouette retrospective d'un sujet passionnant. C'était pas très pop, mais aux origines il y avait aussi le theremin utilisé par Bernard Herrmann sur "The Day the earth stood still", ou la bande son expérimentale des Barron sur "Forbidden planet", qui ont fait beaucoup pour faire entrer les instruments non-accoustiques au cinéma, même si ça semblait réservé au genre SF. Et je constate que tu passes pudiquement sous silence le score d'Alan Parsons project pour Ladyhawke...

    E.

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    1. Hé hé mais tellement pour Ladyhawke ^^ L'un des rares exemples où la musique infâme gache totalement un film par ailleurs sympathique...

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  2. Et bien vu pour Planète Interdite je n'ai pas pensé à le mentionner vu que je suis parti d'une base plus pop rock dans le texte.

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  3. "Saint" Jerry Goldsmith avait deja donne dans le synthetique avant les 80's avec le score bicephale de Logan's Run; des "bip bip" synthes sous substences a l'interieur du Dome et du symphonique dans le monde exterieur.
    John Barry avait aussi livre une partiton hybride voisine du Star Trek 1 de Goldsmith avec The Black Hole reutilisant meme le blaster beam utilise par Goldsmith sur son score. On pourra au signaler son score 100% synthe pour le thriller de Richard Marquand Jagged edge (A Double Tranchant).

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