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dimanche 27 novembre 2016

La Tortue Rouge - Michael Dudok de Wit (2016)

Un homme, rescapé d'un naufrage, se retrouve seul sur une île tropicale. Après avoir découvert le lieu, le naufragé organise sa survie. Observé par les crabes et se nourrissant de fruits, l'homme apprivoise son environnement. La végétation de l'île lui permet bientôt de se construire un radeau. Mais ses multiples tentatives pour quitter le lieu sont empêchées par une force sous-marine qui s'en prend à son embarcation. L'homme découvre bientôt que l'animal qui a détruit son esquif est une tortue à la carapace rouge...

La Tortue Rouge est une œuvre qui a suscité la curiosité avant sa sortie en étant le premier film occidental coproduit par le Studio Ghibli puis la surprise au Festival de Cannes 2016 où il obtint la Caméra d’or dans la catégorie « Un certain regard ». Pourtant pour l’amateur d’animation le néerlandais Michael Dudok de Wit n’était pas un inconnu puisqu’il fit sensation il y a 20 ans déjà avec son premier court-métrage Le Moine et le poisson (1996), récompensé d’un César et nominé aux Oscars. La mélancolie, la tonalité contemplative et la temporalité suspendue, tout se trouvait déjà dans ce premier essai. Il rencontrera un même plébiscite avec son second court-métrage, Père et fille (2000) récompensé au Festival d’Annecy, vainqueur d’un Oscar et qui dessine les mêmes contours dans une veine plus touchante encore. En 2004, Michael Dudok de Wit est membre du jury du Festival d’Hiroshima et y fait la rencontre d’Isao Takahata (Le Tombeau des Lucioles (1988), Pompoko (1994)…) avec lequel il sympathise et aura la surprise de le compter parmi les spectateurs d'un colloque qu’il donne deux ans plus tard au Festival de Séoul. On suppose donc que c’est Takahata qui aura poussé Ghibli à une collaboration, Dudok de Wit recevant en 2006 carte blanche pour un projet commun.

Le réalisateur réfléchit alors depuis longtemps à la thématique d’un homme seul sur une île déserte, non pas dans un récit de survie éculé mais plutôt dans l’idée de creuser le sillon du longing, cette attente et spleen intemporel qui parcoure l’ensemble de ses court-métrages. Le processus d’écriture sera cependant très laborieux, le scénario et les premières ébauches visuelles se lançant dès 2007. Michael Dudok de Wit va prendre conscience que son scénario est trop détaillé, alors que le longing ne fonctionne que dans une épure qui laisse les sensations se propager de manière diffuse dans une veine purement contemplative. La contribution de Pascale Ferran (Lady Chatterley (2006), Bird People (2014)) sera ainsi décisive pour affiner le récit et atteindre l’équilibre délicat attendu. La Tortue Rouge fonctionne sur un motif de ligne claire à la fois formelle et narrative qui se révèle progressivement. Le film s’ouvre par le chaos des flots qui propulse le héros sur une île déserte à la faune et au panorama très dépouillé. 

Le minimalisme de l’intrigue et l’épure de cet environnement semblent tout d’abord s’opposer à l’activité et au mouvement permanent de l’homme. Le tumulte de la civilisation l’agite encore dans sa pressante exploration de l’île, dans l’urgence de construire un radeau pour quitter les lieux. Cette séparation s’illustre plus concrètement dans une scène de rêve avec la nuit de l’île est en noir et blanc et son échappée comme une impasse. Ce n’est qu’à travers une harmonie de son être avec les lieux que l’homme pourra s’accomplir mais la violence du monde moderne le poursuivra une dernière fois lorsqu’il s’attaquera par dépit à une immense tortue rouge ayant détruit son radeau. Ce n’est que lorsque les regrets l’assailliront pour cette violence qu’il se montrera prêt à changer. La magie peut alors opérer, la tortue devenant une belle jeune femme dont il faudra gagner la confiance avant de pouvoir l’aimer.

Le thème musical de Laurent Perez del Mar se fait entêtant pour désormais accompagner les sentiments d’une trame déroulant la quête d’une vie. Le mystère et l’incertitude expriment la solitude de l’homme dans le silence et un espace apparaissant comme austère et étranger. Avec la romance cette ligne claire de formes et de couleurs se révèle dans son entier poétique. La mer synonyme de séparation et la faune hostile deviennent les éléments du jeu de séduction et apprivoisement mutuel (la femme tortue attendant dans l’eau, l’homme l’observant derrière un buisson). Visuellement le réalisateur navigue entre épure et naturalisme qui convoque autant les travaux d’un Moebius que justement ceux du Studio Ghibli, la simplicité « dessinée » des visages des personnages se conjuguant à la richesse de la composition de plan, d’un choix de couleur finement travaillé via le numérique. L’humain s’inscrit dans l’univers désormais familier de l’île pour de magnifiques idées visuelles et narrative comme l’explication de la civilisation que fait l’homme à son fils avec un dessin sur le sable.

Le panorama limité de l’île rapidement exploré dépeint finalement une boucle pour un récit jouant sur la répétitivité. Le jeune fils traversera ainsi à son tour les mêmes lieux, trébuchera aux mêmes piège et ressentira à son tour cette notion de longing. Cette idée de boucle joue pourtant une note différente, une variation correspondant à un être différent tandis que celle entamée par le naufragé, arrivé au bout du chemin, peut s’achever. Là encore l’expression des sentiments s’épanouira pleinement après le chaos d’une tempête avant qu’un nouveau chemin s’ouvre. La retenue et délicatesse des émotions fonctionnent magnifiquement par les choix audacieux de Michael Dudok de Wit qui signe un véritable chef d’œuvre de l’animation. 

Sorti en dvd zone 2 français chez Wild Side

 

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