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lundi 5 décembre 2016

La Vallée du jugement - The Valley of Decision, Tay Garnett (1945)

William Scott, un maître de forges de Pittsburgh, engage Mary, la fille de l'un de ses ouvriers, comme domestique. Paul Scott, son fils, s'en éprend, la séduit et la demande en mariage.

The Valley of Decision est une œuvre passionnante mêlant romanesque Hollywoodien à un propos social progressiste et habile. Le début du film évoque le roman de D.H. Lawrence Amants et Fils (d'ailleurs Dean Stockwell futur héros de l'adaptation de Jack Cardiff tiens ici un petit rôle) dans le panorama et la division qu'il offre de la vallée en titre. D'un côté le monde industriel avec les aciéries détenues par la famille Scott symboles des nantis, de l'autre celui des ouvriers loin de cette modernité et richesse et vivant dans des conditions très modestes. Mary Rafferty (Greer Garson), fille d'un ancien ouvrier estropié est engagée comme domestique au sein de la famille Scott. Tout tend au départ à signifier la séparation de ces et paradoxalement bien plus du côté des pauvres à travers la rancœur tenace que tient le père de Mary (Lionel Barrymore ) à son ancien employeur qui continue pourtant de lui verser un salaire.

La différence finalement avec Amants et Fils, c'est l'environnement américain de cette cité de Pittsburgh qui ne peut reproduire l'injustice des clivages de classe de la vieille Europe. On apprendra au fil du récit que l'aciérie de la famille Scott a été façonnée par un ancêtre ouvrier et émigrant irlandais, traduisant la bienveillance du patron actuel William Scott (Donald Crisp) et de son fils Paul (Gregory Peck) qui a grandi dans la proximité des travailleurs. Dès lors les premiers pas de Mary dans la luxueuse maison seront intimidants de façon charmante mais jamais oppressante, faisant progressivement d'elle un membre de la famille plus qu'une simple domestique.

Greer Garson gagne ainsi en assurance pour dompter et finalement s'imposer aux cadets plus capricieux et inconstants que sont Constance (Marsha Hunt) et Ted Scott (Marshall Thompson). Tay Garnett nous le fait ressentir par sa mise en scène, perdant la silhouette frêle de Mary dans l'immensité luxueuse de la demeure, en étirant les séquences anodines où se ressent la gêne du personnage (les hésitations pour annoncer le dîner) avant de jouer de l'ellipse où l'implication domestique et personnelle de Mary prend de plus en plus d'ampleur. Cela se caractérisera par le rapprochement progressif avec Paul pour une romance contenue très attachante, le charme et la photogénie du couple Greer Garson/Gregory Peck (qui fait un fringant et charismatique jeune premier pour ce qui est seulement son deuxième rôle au cinéma) aidant.

Si l'Amérique semble faire fondre les clivages de classes anciens, elle en façonne de nouveaux avec le capitalisme moderne mettant à mal l'organisation chaleureuse de l'aciérie. On en verra les prémisses au début du film que William Scott refusera d'intégrer un plus vaste conglomérat, mais aussi par l'approche différente entre Paul soucieux des ouvriers et William jr (Dan Duryea) simplement soucieux du profit immédiat, ce qui conduira au conflit final. Le film évite tout manichéisme dans ce clivage de classe où les obtus comme les âmes de bonnes volontés se trouve tant chez les ouvriers que les nantis.

L'immaturité de la jeunesse riche justifie ainsi la rancœur tenace du prolétariat (Lionel Barrymore impressionnant en vieil infirme aveuglé par la haine), mais à l'inverse la relation quasi filiale entre Mary sa patronne (Gladys Cooper) démontre l'inverse tout comme bien sûr la romance entre Mary et Paul. L'histoire d'amour manque de s'épanouir à la fois à cause de ses conflits anciens qui n'ont plus lieu d'être dans le Nouveau Monde (les origines irlandaises des personnages nous étant rappelés plus d'une fois) mais aussi aux nouveaux maux qu'il fait naître par cette lutte entre le syndicat et le patron. L'utopie de la conciliation et du compromis à l'ancienne se confronte donc à la brutalité du capitalisme sauvage et des briseurs de grève, Garnett ayant pourtant longuement exposé la proximité irlandaise et l'amitié qui lient ces deux mondes. En passant toujours subtilement par cette belle histoire d'amour, le film n'est jamais lourd dans son propos tout en respectant les préoccupations sociales du roman de Marcia Davenport - présentes dans une autre adaptation de ses romans avec le Ville haute, Ville basse (1949) de Mervyn LeRoy.

Visuellement Tay Garnett manie habilement l'intime et les envolées romanesques, l'élégance et une certaine crudité s'alternant constamment. Les gros plans scrutent avec autant d'acuité le visage monstrueux et déformé par la haine de Lionel Barrymore que les détestables airs hautains de la prétendante Louisa Kane (Jessica Tandy bien fielleuse). Les vues impressionnantes de l'usine en font un havre de paix puis un champ de bataille, la maison des Scott constituera un cocon chaleureux puis un lieu de division au final, chaque rupture possible étant brisée dès que Greer Garson et Gregory Peck s'enlacent. Une belle odyssée sociale et intime, prenante de bout en bout et très touchante.

 Sorti en dvd zone 2 français chez Warner

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