Sept ans après leur fracassante séparation (et peut être avant une
reformation fantasmée par tous), le documentaire de Mat Whitecross se
penche sur l'odyssée des frères Gallagher et du groupe Oasis. Le film se
penche plus précisément sur les trois folles premières années qui
virent à force de scandales et coup de génie musicaux le groupe réitérer
une frénésie inédite en Angleterre depuis les Beatles. Le récit s'ouvre
d'ailleurs sur l'apogée du phénomène Oasis, le mythique concert de
Knebworth donné en juillet 1996 devant près de 250 000 personnes. Du
survol du site gigantesque en hélicoptère à l'arrivée du groupe sur
scène dans l'hystérie générale, toute la folie de l'Oasismania est
saisie dans cet instantané. La narration passe alors du monumental à
l'infiniment petit, la chanson Columbia scandée par des
milliers de personnes reprenant dans un local anonyme quelques années
plus tôt.
Tout le parcours du groupe sera ainsi parcouru à travers des
images rares et intimes autant que d'autres plus fameuse, accompagnées
de la voix-off lucide de chacun des membres. Asif Kapadia réalisateur du
magnifique Amy consacré à Amy Winehouse est ici producteur
mais on retrouve sa patte pour capturer ce vertige entre l'intime et la
notoriété. Le ton du documentaire s'adapte au tempérament rigolard et
vachard des Gallagher tout en se montrant capable de capturer leur
vulnérabilité. L'amour et l'attrait pour la musique dépeint comme une
démarche intime et libératrice pour le taciturne Noel Gallagher devient
une révélation mystique absurde pour le déluré Liam après s'être fait
fendre le crâne d'un coup de bouteille par un caïd local.
On
retrouve par cette idée la dualité des frères Gallagher. Liam tête
brûlée instinctive et talent naturel (on rira beaucoup de la
stupéfaction de Noel face au chant inouï de ce frère duquel il a si
longtemps partagé une chambre, devant lequel il a tant de fois trituré
sa guitare sans l'entendre ouvrir la bouche) s'oppose ainsi à un Noel
plus laborieux qui aura longtemps rongé son frein en tant que roadie,
rêvant du devant de la scène. Tous deux conjuguent cependant une rage face
au déterminisme social de leur existence moribonde à Manchester, et
d'une enfance malheureuse auprès d'un père violent. On capture donc une
énergie de tous les instants d'une formation qui joue son va-tout et
exposée dans les images rarement vues des premiers concerts chaotiques. C'est
évidemment quand cela se concrétise dans le processus musical que le
documentaire fascine le plus, la vulnérabilité et le sens mélodique de
Noel étant transcendé par le timbre désinvolte de Liam sur Live Forever, un des titre les plus touchant du groupe.
De même l'emblématique Supersonic,
instantané de la puissance d'Oasis, est en fait une chanson composée à la
va vite alors que l'enregistrement d'un autre titre piétinait. C'est
dans cette spontanéité, ces chansons à expulser comme exutoire que
reposeront l'art et la réussite du groupe, dont l'allant se prolonge
dans des textes s'éloignant du misérabilisme grunge. Comme le soulignera
Noel Gallagher, aucun d'entre eux n'était le meilleur musicien qui soit
mais animé de cette volonté commune d'en découdre, ils étaient
intouchables. Le récit de l'enregistrement du premier album Definitly Maybe
exprime bien cela, avec une première mouture ratée car les enfermant
dans un carcan avant qu'une seconde tentative grave de manière live
toute la puissance des membres du groupe - le réalisateur comparant
judicieusement les deux enregistrements.
Cette fougue entraînera
donc une Oasismania inattendue tant pour le groupe que la scène musicale
d'alors (alors que des groupes comme Blur ou Suede montaient
tranquillement en puissance, Oasis surgit littéralement de nulle part
pour tout emporter sur son passage) et amène les premières failles. Si
l'on rit des excès alcoolisés et opiacés en tout genre (une expulsion
des Pays-Bas après une altercation avec les autorités, un concert
américain donné sous acides) qui forgent leur réputation de bad boys, le
succès fait des caractères antinomiques de Liam et Noel un obstacle. Là
où les contradictions prêtaient à rire (le récit du recrutement de Noel
très différent selon le frère interrogé est très drôle) c'est désormais
une guerre d'égo qui amènera Noel à chanter à son tour, rompant la
complémentarité parfaite du groupe. Malgré les soubresauts dont ils
sauront faire une force (la composition de la magnifique Talk tonight écrite par Noel dépressif après un départ précipité du groupe) Oasis
file cependant tant bien que mal vers ce pic de génie, popularité et
aura générationnelle que constituera donc le concert de Knebworth.
De
leur propre aveux ils admettent que ce fut leur plus grande ivresse, que
la suite ne pouvait égaler et qui explique la carrière plus inégale (et
l'impossible réconciliation après la baston de trop). Le fan sera
heureux de retrouver l'humour ravageur (et encore plus spontané dans les
archives inédites) qui caractérisait Oasis - des clients hors pairs en
interview pour se moquer des collègues - tandis que le néophyte sera
forcément touché par la fragilité que dissimulait ces airs bravaches (le
choc de voir leur père violent venir fanfaronner à un de leur concert,
moment très fort du doc). Riches en intervenants, images et anecdotes un
beau documentaire qui aurait mérité une sortie salle en France.
Sorti en dvd zone 2 anglais
J'ai hâte de le découvrir, tu m'avais parlé de ta frustration de pas le voir en salles. As-tu vu "Senna" de Karpadia? Il suit le même fil narratif qu'Amy et arrive à fédérer même si t'es pas fan de formule 1. J'attends toujours ton avis sur les docus d'Alex Gibney! Son "we steal secrets" est un sommet de travail documentaire narratif!
RépondreSupprimerEt non pas vu Senna mais je vais rattraper ça j'avais vraiment beaucoup aimé Amy. Je note pour Alex Gibney, là aussi pas grand chose de sorti en France on dirait...
SupprimerSinon pour Oasis pareil même sans spécialement apprécier le groupe le documentaire est passionnant, c'est une des dernières fois qu'on voit un peut le rock symboliser une source d'évasion et de réussite à travers cette odyssée.
Salut Justin! On pouvait craindre d'Amy un simple montage habile mais racoleur, mais le postulat du film et sa capacité à saisir l'intime pour rendre ce personnage touchant et le réhabiliter était tellemeny bien executé. Sans compter le crescendo poignant quand elle plonge dans l'addiction, pour l'avoir vu en salles, les gens étaient vraiment sonnés et très affectés! Apparemment, la non-nomination de Senna aux Oscars fut une injustice à l'époque, savamment rattrapée par l'accueil triomphal d'Amy. Tu peux trouver les films de Gubney en DVD des deux côtés de la Manche. Son documentaire sur la scientologie est un monument, et sa source originale de Lawrence Wright est excellente! Je te le conseille vivement! J'adore le cinéma de Gibney pour sa capacité à raconter et déconstruire la face cachée de ses sujets, et son extreme rigueur dans ses recherches et storytelling.
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