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samedi 3 juin 2017

La La Land - Damien Chazelle (2017)


A Los Angeles, Mia, aspirante actrice, est fatiguée d'enchaîner les auditions. Sebastian, un pianiste de jazz, est remercié du club miteux où il exerce car son jeu n'est pas assez accessible aux touristes de passage. Les deux jeunes gens se rencontrent dans un embouteillage, partent sur de mauvaises bases avant de découvrir leurs nombreux points communs. Ils tombent amoureux l'un de l'autre. Sebastian veut monter son propre club pour y jouer enfin la musique qu'il aime et encourage Mia dans ses projets.

Damien Chazelle offre avec La La Land une superbe variation de son Whiplash (2014) qui le révéla au grand public. Ce dernier s’inspirait de la passion pour le jazz du réalisateur et notamment de son expérience de batteur au lycée. Déjà l’histoire y questionnait les sacrifices nécessaires de l’accomplissement artistique à travers le chemin de croix d’un aspirant batteur confronté à la rigueur d’un chef d’orchestre. Dès lors le film adoptait une étouffante esthétique de souffrance et une tonalité d’entraînement militaire, les environnements exigus capturant les heures de pratiques, l’épuisement et les stigmates physiques allant avec. Dans Whiplash la facette sentimentale était rapidement expédiée (le héros arrogant signifiant assez vite à sa petite amie qu’elle serait un frein à son ascension) pour se concentrer sur l’affrontement maitre/élève. La La Land déplace donc le curseur pour creuser la même thématique en observant les amours contrariés d’un couple d’artistes. Tout comme pour son précédent film, Damien Chazelle s’inspire à la fois d’une passion musicale (cette fois les comédies musicales) et d’une expérience intime, à savoir son arrivée pleine d’espoir à Los Angeles dans l’espoir de devenir réalisateur - La La Land était d’ailleurs un projet antérieur à Whiplash qu’il n’avait pu financer car encore inconnu.

En anglais l’expression « la la land » désigne le quartier de Hollywood à Los Angeles, ainsi qu'une situation déconnectée de la réalité. C’est précisément toute la dualité du film qui voit les personnages déchirés entre leurs ambitions artistiques et leurs sentiments, l’esthétique et la tonalité de l’ensemble jouant sur ces deux tableaux de la rêverie et du réel. Selon le moment du récit, cette rêverie ou ce réel prendront le pas l’un sur l’autre pour éblouir ou ramener douloureusement à terre. L’éblouissante ouverture en est la preuve avec cet embouteillage sur une autoroute de LA dont l’ennui et la lenteur sont soudainement transcendé par un numéro musical. Les automobilistes lâchent le volant pour entamer une danse endiablée sur le bitume, monter sur le toit des voitures et chanter un euphorisant Another day of sun. L’énergie de la scène repose moins sur la chorégraphie que sur le mouvement, la caméra mobile de Chazelle poursuivant les cavalcades des danseurs (qui peuvent surgir dans d’un saut dans le cadre ou par un élément de décor comme cette intérieur de camion dissimulant une fanfare), les panoramiques dynamiques faisant basculer les situations. Enfin le surgissement du titre fige ce côté mythologique et réaliste quand les danseurs regagnent leur place dans un dernier mouvement, tandis que l’urbanité de LA et cet entrelacement d’autoroute se dessine à l’arrière-plan.

Mia (Emma Stone) et Sebastian (Ryan Gosling) se rejoignent dans une aspiration professionnelle et artistique reposant sur ce fantasme rattaché au passé glorieux de Los Angeles. Pour Mia c’est le Hollywood de l’âge d’or, ses chefs d’œuvre impérissables et ses stars. Chez Sebastian c’est la glorieuse époque des clubs de jazz enfumés et des génies musicaux Louis Armstrong, Charlie Parker. Tous deux se confrontent ainsi douloureusement à un réel que Chazelle rend cruel tout en le pliant à la personnalité de ses protagonistes. On souffre ainsi avec Mia lors d’éprouvantes séances de casting (Chazelle recyclant les vraies déconvenues rapportées par Emma Stone congédiée au bout d’une phrase ou interrompue pour commander à déjeuner par d’odieux directeur de casting) et l’on rit jaune de l’obstination de Sebastian ne faisant pas long feu dans ses emplois alimentaire. Cet idéal inaccessible donne donc des moments de mélancolie magnifique appuyant la solitude des personnages dans ce LA superficiel (Mia perdue parmi les poseurs d’une fête hollywoodienne) et trop immense (Sebastian arpentant seul les quais au crépuscule) sur les titres Someone in the crowd et City of stars

Chazelle orchestre le rapprochement de son couple en les faisant chacun investir l’univers de l’autre (Sebastian rendant visite à Mia dans studios puis l’emmenant dans un club de jazz), cette rêverie et attachement au passé guidant les scènes romantiques. Une danse sur les hauteurs de LA offre donc un beau numéro de séduction ou l’amour se lie à la mythologie de la ville, avant de fusionner à la mythologie du cinéma avec cette belle redite de la scène du planétarium de La Fureur de vivre. Là encore l’émotion prime sur la virtuosité, Damien Chazelle ravivant subtilement le souvenir sans chercher à le reproduire. L’enrobage du réalisateur prend ainsi le pas sur les compétences vocales et dansantes volontairement limitées des acteurs dont la gaucherie participe au sentiment d’ensemble. 

Les chorégraphies survoltées d’antan et les numéros flamboyant à la Vincente Minnelli ou Busby Berkeley sont rattachés à un pur monde de l’imaginaire et de tous les possibles, quand La La Land garde toujours un pied désabusé dans le réel – une manière de remettre en question la nostalgie de ses personnages. Dès lors la romance représente un aparté, une parenthèse enchantée où Mia et Sebastian s’élèvent dans ce ciel étoilé des amours plus que dans leurs ambitions. 

 La ville est véritablement le troisième protagoniste du film où Chazelle trouve un équilibre harmonieux entre la splendeur hollywoodienne et le réalisme, la mélancolie du Jacques Demy des Parapluies de Cherbourg (1963). Le choix des décors oscille donc entre cette aura mythologique, touristique et atypique (les studios Warner Bros, le Château Marmont, les quartiers de Beverly Hills, des espaces abandonnés rarement vus au cinéma) de Los Angeles, la féérie étant reposant sur l’ornement où l’histoire du cinéma est omniprésente par le détail (affiche des Tueurs de Robert Siodmak, une immense photo d’Ingrid Bergman dans la chambre de Mia), l’esthétique du film et le propos du film. Les teintes du ciel par leur gamme chromatiques bleutées et mauves renvoient au Brigadoon (1954) de Vincente Minnelli, les amours contrariés d’artistes rappellent les films du duo Ginger Rogers/Fred Astaire ou les différentes versions d’Une étoile est née. Le désenchantement final fait d’ailleurs de La La Land une variation californienne du New York, New York de Martin Scorsese (1977) qui travaillait les mêmes questions.

La réalité va rattraper Mia et Sebastian à travers les malentendus, les renoncements et cette quête d’absolu artistique inconciliable avec une vie sentimentale. Chazelle ose donc alors longuement estomper la magie pour le drame, celle-ci ne pouvant ressurgir que quand elle sera rattachée au passé, au fantasme. Seulement il ne s’agira plus de la seule nostalgie et féérie de cette ville de Los Angeles, mais également celle du souvenir de cette romance et du regret de ce qui aurait pu être. La multitude de références ravivent autant un paradis perdu cinématographique que sentimental, sublimé par un dernier échange de regard bouleversant.

 Sorti en bluray et dvd zone 2 français chez M6 vidéo

 

4 commentaires:

  1. Coucou,

    J’ai adoré voir ce film ! C’est un chef-d’œuvre ! Je trouve que Ryan Gosling et Emma Stone forment un incroyable duo. Leur histoire d’amour a rendu le film très émouvant.

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  2. Je n'ai pas vu La La Land, mais à propos de Whiplash je parlerais plutôt de cruauté, de sadisme, de perversité du prof, plutôt que de rigueur. Je pense qu'on peut amener un musicien au meilleur en jouant sur d'autres ressorts. Ça peut mettre légèrement mal à l'aise. Mais le film est excellent.
    Bien à vous

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  3. Il y a un peu des deux le film reste ambigu là dessus. On peut y voir effectivement du sadisme ou alors estimer que l'excellence passe forcément par une forme de souffrance et de sacrifice. La La Land dit la même chose sans le côté brutal mais avec une profonde mélancolie.

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