En 2005, un jeune
Texan de 19 ans, Billy Lynn, est pris dans une violente attaque avec son
régiment d'infanterie en Irak. Lui et les autres survivants sont présentés
comme des héros. Ils sont ensuite rapatriés aux États-Unis par l'administration
Bush pour parader dans tout le pays, parade qui culmine lors du show de la
mi-temps du match de NFL (football américain) des Dallas Cowboys pour
Thanksgiving, match à domicile à Dallas. Mais ils doivent ensuite retourner au
front...
Un jour dans la vie de
Billy Lynn vient encore prouver, après les brillants Démineurs (2011) de Kathryn Bigelow et American Sniper de Clint Eastwood (2015), que les films les plus
intéressants sur la guerre d’Irak furent réalisés après la fin du conflit, loin
des passions et de l’idéologie anti-Bush. Le film d’Ang Lee partage avec ses
prédécesseurs une absence de jugement moral et/ou politique sur le conflit et
un choix de capturer les états d’âmes des soldats et le rapport à leur
environnement. Le meilleur moyen pour ces œuvres de ne pas paraître datée et de
délivrer un message plus universel, loin des ruades stériles et sans finesses
des années 2000 comme Redacted de
Brian de Palma (2007) ou Fahrenheit 9/11
de Michael Moore (2004). Ang Lee adapte là le roman Fin de mi-temps pour le
soldat Billy Lynn de Ben Foutain paru en 2012. L’idée du livre lui serait venue
un soir de Thanksgiving où il regardait un match de football américain à la
télévision.
Le grand show et la parade rythmant la mi-temps voyait des vétérans
de la guerre d’Irak exposés au public entre les danseurs et autres poms poms
girls, au garde à vous dans une vision totalement surréaliste. Le roman
essayait donc d’imaginer le ressenti de ces militaires plongés dans ce tumulte.
Après L'Odyssée de Pi (2012) c’est un
nouveau défi à la fois technique et narratif qui se pose alors à Ang Lee qui
souhaite traduire de la manière la plus sensitive possible l’état d’esprit de
son héros. Il fera ainsi le choix de tourner le film au format 4K, en 3D et à 120
images par seconde au lieu de 24. La conjonction de ces techniques multiplie
par 40 la quantité d’informations reçues par le spectateur par rapport à une
image traditionnelle et permet une plongée plus immersive dans la psyché de
Billy Lynn (Joe Alwyn). Le peu d’écrans susceptibles de projeter le film dans
les conditions idéales (aux Etats-Unis mais aussi en France où il fut diffusé
de manière classique au cinéma) sera une des causes de l’échec du film, mais on
peut néanmoins entrevoir les possibilités de ces choix formels.
Des caméras de télévision ont capturés l’exploit de du
soldat Billy Lynn, parti sauver seul son sergent au milieu d’une embuscade de
son régiment. Cette image forte dans une Guerre d’Irak si verrouillée
médiatiquement va faire le tour du pays et l’ériger avec sa section « Bravo »
au rang de héros nationaux. Ils sont donc invités à parader travers le pays jusqu’à ce jour où ils
devront défiler à la mi-temps d’un match des Dallas Cowboys durant un concert
des Destiny’s Child. La narration adopte le point de vue confus de Billy,
perdus entre cette journée hors-normes, ses souvenirs du front et ceux plus
récents des retrouvailles avec sa famille. Cela nous offre un portrait intime
où quel que soit le cadre, notre héros cherche sa place et doute de sa vocation
de soldat. Son engagement est une échappatoire à un acte de délinquance pour
défendre l’honneur de sa sœur (Kristen Stewart), les foules béates ne lui font
pas oublier qu’il a perdu un ami cher au front, ce lieu où il n’avait de cesse
de s’interroger sur le sens de sa présence. Le film constitue ainsi à travers
les doutes de Billy, une véritable photographie de l’Amérique déchirée de Bush.
La séquence en famille montre le déchirement entre la classe moyenne naïvement
confiante en son gouvernement (qui va forcément guerroyer en Irak pour nous
protéger) et la sœur plus éduquée et inquiète pour Billy qui y voit des raisons
plus discutables.
Parfois ce point de vue entre le cynisme et la crédulité
passe par une ironie mordante, que ce soit cet homme d’affaire pétrolier
parfaitement conscient de l’enjeu économique véritable du conflit (et qui s’en
réjouit) ou cette pom pom girl (Makenzie Leigh) énamourée pour l’uniforme. Dans
chacun de ces contextes, Billy n’a qu’une seule bouée de sauvetage : ses
camarades et le corps de l’armée. Loin d’une logique va-t’en guerre, c’est
plutôt une manière de découvrir ses aptitudes, que ce soit avec la rudesse
affectueuse du sergent Dime (excellent et charismatique Garrett Hedlund) ou la
sagesse teintée de mysticisme du sergent Breem (étonnant Vin Diesel). La
camaraderie virile et potache affirme les liens profond de l’unité Bravo,
quelques beaux moments intimistes exprimant le sens qu’offre l’armée à leur vie
jusque-là sans but, d’un point de vue humain mais aussi social (le personnage
latino échappant à des jobs alimentaire sans éclat).
Ce n’est pas l’armée dans
sa facette patriotique qui est célébrée, mais la simple dimension de frères d’armes
soudés et finalement apolitique – un dialogue soulignant le simple devoir d’aller
là où on les envoie sans se poser de question. Démineurs voyait son héros revenir au front par pure addiction à l’adrénaline,
American Sniper déshumanisait le sien
en en faisant un professionnel de plus en plus glacial alors que Billy Lynn
montre des jeunes gens apeurés qui combattent par solidarité les uns envers les
autres. L’Irak n’est pas un lieu où exprimer leurs pulsions, mais celui où l’on
partage tout et protège son camarade.
Ang Lee évite totalement l’écueil patriotique en se montrant
incroyablement critique envers la bannière étoilée. Même si l’on ne peut en
apprécier les nuances fautes de conditions idéales, la mise en scène d’Ang Lee
par son placement parfois quasi subjectif et son image hyperréaliste renforce
la notion intime des sensations de Billy. Cela donne facette chaleureuse plus
intense dans les moments intimes (la discussion sous un arbre entre Billy et
Breem) et plus étrange et flottante dans les moments où Billy perd pied avec le
réel. Cela reste diffus dans les habiles transitions d’un contexte à l’autre et
dans la pure rêverie (Billy s’imaginant coucher avec sa pom pom girl). Mais c’est
quand l’absurde s’invite dans la réalité que l’effet est le plus saisissant
avec la guerre devenue entertainment pyrotechnique, un spectacle son et lumière
destiné à divertir les foules. Les feux d’artifices sont des réminiscences des
explosions et coup de feu du front qui tétanise Billy soudain extérieur à
lui-même avec ce travelling circulaire qui capture son visage hébété au milieu
du tumulte.
En flashback nous découvrons enfin pleinement la nature
douloureuse, sanglante et pathétique de l’acte d’héroïsme célébré avec tant de
ferveur et la survie ainsi que le sauvetage d’un camarade semble avoir plus de
sens que ce show pathétique. Quand Billy et ses amis soufrent et combattent
ensemble, la société américaine fait de leur action un spectacle pour justifier
leur mobilisation auprès du peuple. En renonçant à être les objets du grand
barnum médiatique - le fil rouge de l’adaptation cinématographique de leurs
exploits -, l’unité Bravo retrouve sa raison d’être de survie et protection
mutuelle. Billy ne retourne pas au front pour le drapeau ou ses concitoyens pour
lesquels il n’est qu’une image (le saisissant moment où la pom pom girl semble
se détacher de lui quand il renonce presque à être ce héros en uniforme) mais
car il est le seul à pouvoir protéger sa seul vraie famille, ses compagnons d’armes.
Ang Lee signe une œuvre brillante et un des grands films de l’année en
conjuguant la fraternité et le récit d’apprentissage cher à Samuel Fuller et la
notion plus critique du Clint Eastwood de Mémoires
de nos pères (2006).
Sorti en dvd zone 2 et bluray (dont un bluray 3D pour le voir dans les conditions voulues pas le réalisateur) chez Sony
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