A bord du remorqueur le Cyclone, le capitaine
André Laurent risque sa vie tous les jours, pour sauver celle des
autres. Il est marié à Yvonne, qui souhaite qu'il quitte ce métier.
Celle-ci lui cache sa grave maladie. Le capitaine Laurent, doit quitter
précipitamment la noce d'un de ses marins pour porter secours au cargo
Mirva, laissant sa femme Yvonne et la mariée. Le sauvetage, après
quelques péripéties, va réussir et les passagers sont secourus. Au
matin, le Cyclone remorque le Mirva. André tombe amoureux de Catherine,
la femme du capitaine renégat du Mirva et elle va devenir sa maîtresse.
Jean Grémillon retrouve avec Remorques Jean Gabin, sa star de Gueule d'amour (1937) l'œuvre qui lui permit de relancer sa carrière de réalisateur. Grémillon avait enchaîné ensuite avec le succès de L'Étrange Monsieur Victor.
Il pouvait ainsi soumettre à au producteur Raoul Ploquin son désir
d'adapter le roman Remorques de Roger Vercel paru en 1935. La production
connaîtra moult soubresauts et ce dès l'écriture du scénario. Les
premiers jets écrits par Charles Spaak et André Cayatte et Grémillon
plutôt fidèle au livre (soi la vengeance d'une femme témoignant contre
son époux ayant escroqué des remorqueurs venus à son secours en pleine
tempête) déplaisent à Gabin qui convoque Jacques Prévert pour une
réécriture plus radicale. C'est une romance tragique qui est désormais
au centre du récit, profitant de la réunion du mythique couple de Quai des brumes de Marcel Carné (1938), Jean Gabin/Michèle Morgan. Les ennuis
se poursuivent une fois le tournage entamé puisque celui-ci est
interrompu par l'entrée dans la Seconde Guerre Mondiale puis l'arrivée
en France de l'envahisseur allemand. Le décorateur Alexandre Trauner et
le producteur Joseph Lucachevitch (qui a repris le projet suite au
retrait de la UFA dont Raoul Ploquin dirigeait la branche française)
tous deux juifs quittent Paris et Jean Gabin part rejoindre Michèle
Morgan à Hollywood. Grémillon une fois démobilisé termine donc le film
comme il peut, renonçant notamment aux extérieurs pour les scènes
maritimes filmées en studio et le tournage s'achèvera près de deux ans
près le premier clap.
Dans Gueule d'amour,
Jean Grémillon déconstruisait le Jean Gabin séducteur en le rendant
totalement soumis et vulnérable à l'amour d'une femme indigne
qu'incarnait Mireille Balin. Dans Remorques,
c'est plutôt le Gabin ouvrier et chef de bande charismatique qui tombe
de son piédestal. Avec ce capitaine André Laurent à la tête d'un navire
remorqueur et en responsabilité d'un groupe de marin, le mimétisme avec
d'autres rôles fameux se fait automatiquement. La locomotive de La Bête humaine (1938) est remplacée par un bateau, le groupe de travailleur de La Belle équipe
(1936) par l'équipage de marin dont la subsistance dépend du brio de
Gabin. Le film s'ouvre donc sur une scène célébrant cette communion
ouvrière à travers le mariage d'un des marins mais exprime aussi les
angoisses étouffées de ce dangereux métier pour les couples, l'attention
passant des jeunes mariés à André et son épouse Yvonne (Madeleine
Renaud) lasse de cette existence.
Une violente tempête vient d'ailleurs
interrompre les festivités et André y perdra matériellement face à un
navigateur escroc (Jean Marchat) tout en gagnant en tombant amoureux de
Catherine (Michèle Morgan), l'épouse de ce dernier. Cette entrée en
matière symbolise ainsi l'adrénaline et le renouveau permanent que
constituent les périlleux sauvetages pour André, fuyant et repoussant
constamment les demandes de son épouse aspirant à une vie plus
casanière. Jean Grémillon donne à la fois panache et sens des
responsabilités à Gabin, l'assurance en mer du héros se conjuguant à un
caractère paternel pour ses hommes sur terre notamment le personnage de
mari cocu et raillé qu'incarne Charles Blavette. Ainsi malgré la
mélancolie de Madeleine Renaud, le caractère d'André s'équilibre entre
sa nature aventureuse et responsable (l'emploi de son équipage dépendant
de son maintien en tant que capitaine).
Tout volera en éclat
avec la passion d'André pour Catherine. Grémillon amène pourtant ce
trouble progressivement, en dépouillant visuellement André de ses
responsabilités. Lors de leur première rencontre en plein sauvetage,
André rabroue avec gouaille Catherine, tout obnubilé qu'il est par sa
tâche et la ramène sans ciller à son époux corrompu qu'il allongera
d'ailleurs d'un coup de poing. La rencontre inopinée en tête à tête, la
ballade sur une plage déserte puis la visite d'une maison vide déleste
André de ce qu'il représente (un capitaine, un ami et un époux) et le
laisse démunis face à ce qu'il est aussi : un homme capable d'amour et
de désir. Gabin exprime cette vulnérabilité avec une plus grande
subtilité que dans Gueule d'amour et Jean
Grémillon n'en fait pas cette fois une déchéance impudique pour
l'acteur. Les silences, la gouaille virile perdue et l'agressivité
inopinée pour masquer l'émergence d'une sensibilité enfouie, Gabin
révèle tout cela dans une grande pudeur que Grémillon se charge de
magnifier. Les mots qu'il ne sait trouver, Catherine l'incite à les
exprimer par le geste en lui susurrant un langoureux embrasse-moi,
leur disparition hors-champ puis l'ombre des nuages survolant la plage
illustrant l'ellipse de leur étreinte.
En redevenant homme, André laisse
aussi son environnement lui échapper, basiquement en ne souciant pas
assez vite de sa mission maritime et tragiquement en ne voyant pas la
maladie de son épouse. Grémillon crée une sorte de parallèle entre
l'épouse et l'amante par la photo d'Armand Thirard. Dans les dernières
scènes la photo de Thirard éclaire le visage et le regard de Michèle
Morgan dans une chambre pourtant privée d'électricité par la tempête,
laissant vibrer la passion tandis que l'ombre de la pièce isole mais
affirme aussi le destin impossible de cette union. Dans la scène
suivante où Gabin est au chevet de Madeleine Renaud, l'ombre inonde le
visage de celle-ci pour révéler un avenir tout aussi impossible mais
dans une pulsion de mort. Le final aux accents religieux (que Prévert
n'aimait pas) réduit et condamne ainsi Gabin à son seul sacerdoce des
mers, et seules ses larmes se mélangeant à la pluie tombante l'autorise
encore à révéler ses failles d'homme.
Sorti en dvd zone 2 français chez Mk2
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire