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jeudi 2 novembre 2017

Point Break - Kathryn Bigelow (1991)


Johnny Utah, âgé de 25 ans et ancien joueur universitaire de football américain, a dû faire une croix sur sa carrière sportive à la suite d'une blessure au genou. Désormais agent du FBI, on le charge d'enquêter sur le gang des « ex-présidents », auteur de vingt-sept braquages de banques, appelés ainsi parce qu'ils agissent en utilisant des masques représentant d'anciens Présidents des États-Unis. Son équipier, Angelo Pappas, a une théorie : pour lui, tout porte à croire que les braqueurs sont une bande de surfeurs. Johnny infiltre alors leur milieu, se lie d'amitié avec la jolie Tyler, et découvre le mystique Bodhi.

Point Break est certainement l’œuvre la plus populaire et culte de Kathryn Bigelow, mais aussi un film charnière dans sa carrière. La vocation de réalisatrice naît chez Bigelow après la vision de La Horde Sauvage de Sam Peckinpah (1969), soit un spectacle viscéral, épique et brutal aux antipodes de sa formation intellectuelle initiale. Kathryn Bigelow baigne en effet dans les milieux intellectuels des arts, de la contre-culture et de l’engagement politique durant ses premières années d’études avant de basculer vers cette nouvelle passion du cinéma. Ses premiers films constituent donc une hésitation constante avec ce passé, que ce soit la dimension arty et esthétisante de The Loveless (1982), le recul qui amène à la démystification du western désormais croisé au film de vampire dans le formidable Near Dark (1987) et le féminisme qui se greffe au polar dans Blue Steel (1990). C’est réellement avec Point Break qu’elle s’extrait de ce bagage pour enfin livrer ce film viscéral propre à retraduire l’adrénaline d’où est né cet attrait pour le cinéma. C’est par l’entremise de James Cameron, producteur (et coscénariste officieux) que le projet est amené à Kathryn Bigelow et si sur le papier le postulat pourrait paraître simpliste voire stupide (des surfeurs braqueurs de banque) elle y trouve le matériau idéal à ses obsessions et va le transcender.

Les meilleurs films de Kathryn Bigelow montrent des personnages en quête de sensations fortes dans lesquelles ils trouvent une forme d’extase et transcendance, mais où ils peuvent également se perdre. Ce sont les accros aux expériences virtuelles extrêmes du futuriste Strange Days (1995) et bien évidemment Jeremy Renner dans Démineurs (2009). Cette dualité est au cœur de Point Break à travers le parcours de Johnny Utah (Keanu Reeves), jeune flic infiltré chez les surfeurs et qui va se découvrir une véritable passion pour cette culture. Toute la première partie reposant sur l’enquête en elle-même relève d’une distance, intellectualisation et regard extérieur inhérents au double jeu calculé de Utah cherchant des suspects. Le gourou Bodhi (Patrick Swayze) devine pourtant la folie et quête de sensations fortes latentes de Utah et l’éveille à cette transcendance lors de la partie de surf nocturne. La connexion entre les deux personnages sans forcément être qualifiée de gay est tout de même fortement marquée sexuellement. Les premiers échanges voit Bodhi repérer une égal à prendre sous son aile à travers les attitudes de Johnny Utah et cette complicité s’expriment dans les démonstrations viriles d’un match de football puis d’une bagarre à la plage. 

Dès lors toute décharge d’adrénaline commune sous-entend une métaphore sexuelle. Après des premiers essais de surf maladroits car calculés et pas habités, Utah est « dépucelé » lors de cette vague nocturne où il est initié et guidé par Bodhi, ressentant enfin les sensations et « l’orgasme » de la vague. Un dialogue le souligne d’ailleurs par la suite quand lorsque Tyler (Lori Petty) lui trouvera enfin les traits apaisés et épanoui, comme après un coït où il a enfin su s’oublier et simplement ressentir. Le schéma se reproduit plusieurs fois dans le film et si les enjeux tendent désormais entre Bodhi et Utah, dès que ce shoot d’adrénaline s’amorce les deux personnages oublie le conflit pour s’abandonner aux sensations. Les deux incroyables scènes de chute libre (réellement tournées par les acteurs, on sent toute la différence viscérale avec une séquence équivalente constituant le pré générique du James Bond Moonraker (1979)) obéissent ainsi autant au défi viril qu’à un coït dont il faut faire durer le plaisir le plus longtemps ou à une dispute amoureuse, avec ce leitmotiv de retarder le tirage de parachute. Kathryn Bigelow montre d’ailleurs Bodhi et Utah après l’atterrissage comme exsangue et vidé comme après des ébats fiévreux.

Kathryn Bigelow joue magnifiquement de ce versant euphorisant et tourmenté des sensations fortes notamment dans la perte de repère des personnages. Johnny Utah fini par ne plus trop savoir où il se situe dans son rapport à la loi (la scène où il préférera tirer en l’air plutôt que d’abattre Bodhi à sa portée) tandis que Bodhi ne fait finalement aucune différence entre une vague gigantesque et le braquage d’une banque, l’essentiel étant l’ivresse du risque. La seule différence étant que Johnny a le garde-fou moral de son mentor Angelo Pappas (Gary Busey qui fait le lien avec l’autre grand film sur le surf signé John Milius, Big Wednesday (1978) et celui amoureux de Tyler. Bodhi lui ne vit que pour la vague, la criminalité et la spiritualité se confondant pour lui dans cette quête d’absolu – obsession magnifiquement illustrée dans la belle séquence finale . Kathryn Bigelow traduit cette énergie dans une mise en scène constamment alerte et stylisée. 

Le moindre dialogue s’avère systématiquement percutant dans son découpage et les scènes d’actions font preuve d’une furie électrisante sans jamais recourir à la pyrotechnie comme cette incroyable scène de course à pied dans un lotissement filmée caméra à l’épaule. Patrick Swayze trouve le rôle de sa vie avec ce gourou mystique et destructeur dont l’attrait et la fascination dégagée n’en font jamais un « méchant » au sens simpliste du terme. Bigelow invente également le Keanu Reeves (qui quitte les personnages ahuris auxquels il était cantonné à l’époque) héros d’action avec cette grâce féline, cette silhouette svelte qui semble s’élever au-dessus de l’action plutôt que la mener ou la subir. Cela dénotait complètement face aux gros bras de l’époque et c’est une aura que d’autres exploiteront dans Speed (1994), la trilogie Matrix (1999, 2003) et plus récemment John Wick (2014, 2017). Point Break demeure donc une œuvre culte et à l’impact populaire jamais démenti en plus d’être une des grandes réussites de Kathryn Bigelow.

Sorti en dvd zone 2 et bluray chez Fox 

2 commentaires:

  1. Ce que tu écris de ce film emblématique des 90's correspond assez au souvenir que j'en garde, et je me demandais récemment à quel point son esthétique avait vielli ?

    E.

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    1. Non ça n'a pas vieilli du tout je ne l'avais pas revu depuis très longtemps et ça fonctionne parfaitement le film se bonifie bien (si on fait abstraction du culte/moquerie érigé avec du Brice de Nice) et est un beau condensé des thèmes de Kathryn Bigelow.

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