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lundi 25 décembre 2017

Avatar - James Cameron (2009)

Malgré sa paralysie, Jake Sully, un ancien marine immobilisé dans un fauteuil roulant, est resté un combattant au plus profond de son être. Il est recruté pour se rendre à des années-lumière de la Terre, sur Pandora, où de puissants groupes industriels exploitent un minerai rarissime destiné à résoudre la crise énergétique sur Terre. Parce que l'atmosphère de Pandora est toxique pour les humains, ceux-ci ont créé le Programme Avatar, qui permet à des " pilotes " humains de lier leur esprit à un avatar, un corps biologique commandé à distance, capable de survivre dans cette atmosphère létale. Ces avatars sont des hybrides créés génétiquement en croisant l'ADN humain avec celui des Na'vi, les autochtones de Pandora. Sous sa forme d'avatar, Jake peut de nouveau marcher. On lui confie une mission d'infiltration auprès des Na'vi, devenus un obstacle trop conséquent à l'exploitation du précieux minerai. Mais tout va changer lorsque Neytiri, une très belle Na'vi, sauve la vie de Jake...

Après le triomphe commercial et la reconnaissance critique de Titanic (11 Oscars et plus grand succès au box-office de tous les temps aux Etats-Unis et de nombreux pays du monde dont la France avec 20 millions d’entrée), James Cameron effectuera un long hiatus où il se dispersera entre divers documentaires maritimes (Les Fantômes du Titanic (2003), Volcans des abysses (2003) et Aliens of the Deep (2005)) et la télévision avec la série Dark Angel. Loin d’être repu de défi ou blasé par le succès, le réalisateur a déjà en germe Avatar dont les ébauches datent des années 80 et les premières réflexions concrètes de 1995 quand il en fera lire un traitement au producteur Jo Landau. Le projet devait suivre immédiatement Titanic mais la technologie existante n’était pas encore au point pour illustrer les visions de Cameron, le projet traîne jusqu’aux premiers miracles de la motion-capture avec le personnage de Gollum dans la saga du Seigneur des Anneaux (2001, 2002, 2003). Convaincu par ces nouvelles possibilités Cameron lance donc des recherches à tâtons où tout est à concevoir : l’univers de la planète Pandora dans son entier, ses autochtones et les outils pour les illustrer et animer.

L’ensemble de la filmographie de Cameron repose sur cette contradiction entre l’avertissement constant contre les miracles et méfaits de la technologie (Terminator 1 et 2 (1984, 1991), et Titanic en particulier) et les moyens colossaux qu’il déploie pour le mettre en scène dans une finalité qui s’avère toujours profondément humaniste et intimiste (Abyss (1989) qui parle au final des retrouvailles d’un couple séparé). Avatar est l’incarnation la plus extrême de ce fonctionnement, la complexité de sa mise en œuvre servant un récit simple et primitif. Cameron convoque ainsi le space opera d’Edgar Rice Burroughs (John Carter of Mars), Jack Vance (Le Cycle de Tschaï) et les films d’aventures comme La Forêt d’émeraude de John Boorman (1987) ou Danse avec les loups de Kevin Costner (1991), toutes ces œuvres se caractérisant par le soin apporté pour dépeindre la découverte et le lien naissant avec une civilisation autre, réelle ou imaginaire. Les efforts de Cameron vont se concentrer sur le monde inconnu à découvrir et la nature du contact. 

Le scénario revisite donc via la SF un postulat archétypal du western et de manœuvre coloniale avec dans un futur lointain, la planète Pandora dont les ressources sont visées par les humains mais dont les Na’vi, population indigène locale, freine l’exploitation. Les scientifiques façonnent alors des avatars, croisement d’ADN humains et na’vi dont le corps biologique peut se mêler aux locaux en étant investi par un esprit humain qui le pilote à distance. Jake Scully (Sam Worthington) ancien militaire désabusé et cloué dans une chaise roulante accepte la mission en échange de pouvoir retrouver ses jambes. Cameron pose une opposition classique entre les industriels qui cherchent à exploiter l’environnement, les militaires qui veulent le dominer et les scientifiques souhaitant le comprendre. Personnage paumé et désabusé, Jake vogue des uns aux autres jusqu’au premier investissement de son corps de n’avi. Cette figure sans attache fera toute la différence puisque vierge de toute attente et ambition elle sera fin prête à se fondre et appartenir au monde de Pandora. 

Cameron l’exprime par étape, la première tant tout simplement physique quand Jake retrouve l’usage de ses jambe dans son nouveau corps. Loin du nourrisson hésitant dans ses premiers pas, Jake est plutôt le gamin turbulent et avide de dévaler de toute part. La mise en scène de Cameron traduit ainsi physiquement une renaissance tout d’abord morphologique tout en nous faisant découvrir une entité autre mais encore pourvue d’attitude humaine. Ce point de vue humain se prolonge dans les premiers pas de Jake sur Pandora, mais également dans l’illustration de sa faune et son bestiaire certes bigarré mais simple déclinaison extraterrestre d’une jungle terrienne (un singe à six pattes, un décalque de rhinocéros, un autre de panthère noire en plus imposant) et prétexte à une première scène d’action exotique. La bascule interviendra lorsque Jake se retrouve seul de nuit dans la jungle hostile et subi les assauts de créatures féroces. 

Sa hargne à survivre et se défendre l’associe au tempérament guerrier des n’avi (ce qui incitera Neytiri (Zoe Saldana) à le sauver) tandis que son incompréhension de cet environnement en fait un étranger. Cameron traduit cela formellement avec Jake brûlant une torche dans une forêt ténébreuse où la peur se devine par la manière bruyante dont il la traverse et attire donc les bêtes sauvages qui devinent en lui l’intrus. Après le sauvetage de Neytiri qui jette sa torche dans l’eau et dont il suit les pas feutré, la dimension organique de Pandora se révèle. Forêt à l’écosystème bioluminescent, interconnexion de la moindre parcelle de vie organique se traduisant dans les pas des personnages, on comprend là enfin l’immense travail de Cameron et ses collaborateurs pour rendre ce monde vivant et singulier.

 La mue suivante sera donc anthropologique et spirituelle pour Jake dans son apprentissage des us et coutume des n’avi. Le design de Cameron des n’avi trouve l’équilibre idéale entre l’étrangeté de ce qui est différent et « l’anthropomorphisme » nécessaire à l’identification (validée par la stupéfiante première apparition de Neytiri) notamment la romance naissante entre Jake et Neytiri. Taille démesurée et silhouette longiligne, regard hyper expressif entre le reptile et le lémurien, couleur bleue déroutante constituent les aspects les plus différents des créatures dont le reste de l’inspiration relève d’un savant mélange de tribus africaines, indiennes et polynésiennes. Cela se prolonge à leur rapport à la nature, chaque étape vers la maturité étant faîtes de rites d’initiations destinés à se fondre de plus en plus, à ne faire plus qu’un avec Pandora. Chevaucher la moindre créature terrestre ou volante nécessite un lien psychique où il ne s’agit pas de dompter mais d’être choisi par l’autre. Dès lors le lien intime de Jake avec Pandora se renforce, faisant de lui un n’avi à part entière. 

Cameron joue superbement de la notion de temps qui passe et de la perte de repère de Jake pour lequel Pandora à laquelle il est connecté et où ces aptitudes physiques décuplées semble plus réelle que le cadre austère des humains où sa motricité (et libre-arbitre tout allant de pair) est limitée. Cette ouverture s’affirme aussi dans les paysages de plus en plus grandioses (les montagnes volantes) et baigné de spiritualité (la maison des âmes) auquel notre héros totalement assimilé a désormais accès. La mise en scène de Cameron passe ainsi de l’épique virevoltant et trépidant le temps d’une scène de vol ou de chasse, à un croisement d’osmose intime et collective dans les rites ancestraux des n’avis puis de la magnifique scène d’amour entre Jake et Neytiri. Le score de James Horner passant de rythmiques tribales primitives à des thèmes héroïques et sentimentaux purement symphoniques accompagne cette mue et accomplissement de Jake.

Dès lors Cameron réussit le même miracle que dans Titanic où la romance était si prenante qu’on regrettait presque l’arrivée de l’iceberg et donc du film catastrophe spectaculaire argument de vente initial. Dans Avatar l’immersion palpable au monde de Pandora (via un usage fabuleux de la 3D l’expérience salle était un sacré moment à la sortie en 2009 mais guère suivit par les productions qui s’engouffrèrent dans la brèche ensuite) nous fait donc oublier que nous sommes venus voir un film de SF à grand spectacle mais la folie des hommes vient nous le rappeler en rompant le charme. En convoquant les codes du western, Cameron ravive aussi la dimension politique du genre notamment en rappelant la notion de génocide inhérente à la conquête de l’Ouest ici avec la traumatisante scène où l’Arbre-Maison est abattu. Nous sommes dans les archétypes avec l’industriel avide incarné par Giovanni Ribisi et le militaire belliqueux Quarritch (Stephen Lang) mais leurs objectifs de conquêtes simplistes les y enferment quand toute la complexité des n’avis, du lien à leur planète et passé nous aura été longuement exposé. 

Le message anti-impérialiste et écologique est donc prépondérant dans le récit où Cameron politise son habituelle veine alarmiste. Certains critiques ont vu malgré tout un aspect colonialiste dans le fait que Jake constitue un élu/homme blanc aidant les n’avis (indigènes noir ou indiens donc) à vaincre. C’est mal comprendre le message de Cameron qui fait de l’assimilation et du métissage le moteur de l’accomplissement de Jake. C’est fort de son apprentissage des n’avis qu’il saura les convaincre à sa cause, de sa connaissance de la Pandora dans ses moindres recoins qu’il pourra combattre les militaires et enfin de son amour de cette planète et de ce peuple qu’il a fait sien qu’il aura la hargne et le courage de les défendre. L’avatar, cest désormais son corps humain malingre quand le Docteur Augustine (formidable Sigourney Weaver) acceptera même de fondre son âme mourante dans Eywa, déité et mémoire de Pandora. 

Le climax est une véritable leçon d’action pour Cameron qui y mêle de façon impressionnante son passif SF (les méchas d’Aliens (1986) formidablement revisités) et des situations de western, le technologique s’opposant au primitif dans quelques images marquantes avant que la planète elle-même boute les importuns. Avant l’assimilation finale complète, l’amour dépassera même la notion d’identification mutuelle le temps d’une magnifique scène où les amoureux se font face sous leurs formes originelles. James Cameron réussit une fois de plus l’impossible et à la réussite artistique se conjuguera un triomphe commercial qui dépassera encore celui déjà stupéfiant de Titanic

Sorti en bluray et dvd zone 2 français chez Fox

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