Vidocq naît en prison
en 1775. Après une jeunesse faite d'expédients, il devient, grâce à une bande
d'escrocs, sous-lieutenant dans l'armée de Bonaparte. Le nom de Vidocq, il le
fera sien après l'avoir emprunté à une pierre tombale. Séducteur par tempérament,
escroc par hérédité, sa connaissance du crime en faisait le préposé idéal aux
fonctions de Chef de la Sûreté…
Troisième film hollywoodien de Douglas Sirk, Scandal in Paris était son œuvre favorite
de sa période américaine et avec son adaptation de Tchekhov L’Aveu (1944), une des rares vraies
réussites d’un difficile apprentissage hollywoodien. C’est sur le tournage de L’Aveu que Sirk fait la rencontre et se
lie d’amitié avec George Sanders avec lequel il collabore à nouveau ici. L’Aveu et Scandal in Paris constitue les deux revers d’une même pièce par
leur nature atypique mais pour des raisons différentes. Les deux projets sont
des productions indépendantes faisant la part belle à travers leur sujet,
traitement et même équipe technique à une veine plus européenne qu’américaine.
La réflexion sociale et la tragédie de Tchekhov illustre cette veine pour L’Aveu
tandis que Scandal in Paris l’affirme par une audacieuse causticité. Le film
est une très libre adaptation des mémoires d’Eugène-François Vidocq, aventurier
à la tumultueuse existence qui le vit passer de criminel, bagnard évadé à chef
de la sûreté de la police de Paris.
Le scénario d’Ellis St. Joseph dépeint donc ce parcours
atypique en jouant grandement du charme et du panache de George Sanders dans le
rôle de Vidocq. La scène d’ouverture dans le décor austère d’une prison est
ainsi porté par la brillante voix-off de Sanders avec un Vidocq narrant avec
ironie sa naissance derrière les barreaux et le « bonheur » de
retrouver ces lieux familiers à l’âge adulte. La schizophrénie entre sa nature
de coquin et son cheminement vers la probité qui en fera le chef de sûreté
constitue donc le fil rouge d’un récit riche en rebondissement. Sirk use de
divers motifs pour exprimer cette dualité, parfois purement formels et
symboliques, d’autres fois narratifs. Evadé en cavale, Vidocq est ainsi choisi par un
religieux pour ses traits avantageux à servir de modèle pour une iconographie
religieuse de Saint-Georges et le dragon (ce dernier arborant les traits de son
acolyte Emile (Akim Tamiroff)). Le malfrat sous les traits d’un saint dans un
tableau montrant d’ailleurs ce saint face au démon, voilà une image chargée d’ironie
que Sirk conclut de façon plus cinglante encore puisque le vol du cheval sur
lequel était juché Vidocq conclut la séance de pose.
L’autre attrait sera le triangle amoureux dans lequel sera
englué Vidocq. D’un côté l’oie blanche Therese De Pierremont (Signe Hasso)
noble tombée fort peu chastement sous le charme du tableau, et de l’autre Loretta
(Carole Landis) fille de cabaret et croqueuse d’hommes riches. Comme le
soulignera un dialogue, les deux femmes représentent l’homme vertueux que
Vidocq aspire éventuellement à être et la canaille qu’il est indiscutablement
encore - in her eyes I see myself as I
am, in your eyes I see myself as I could be, as I hope to be. Sirk multiplie
les dialogues piquants, les situations osée et multiple les ruptures de ton
inattendues. Le savoir-faire de l’équipe technique fait des miracles pour
mettre en valeur une direction artistique chatoyante de Frank Paul Sylos qui
masque brillamment les moyens limités, bien aidé par l’inventivité de la mise
en scène de Sirk. On pense à la scène de spectacle qui introduit Loretta avec
ses superbes jeux d’ombres, les intérieurs de la demeure des De Pierremont ou
la magnifique scène romantique du carrousel.
Le cheminement de Vidocq affirme
en fait un propos où le bien et le mal se confondent et s’intervertissent au
gré des situations, et de l’inconséquence de la nature humaine. D’une identité
et mensonge à l’autre, Vidocq se rachète de manière factice puis sincère une « virginité »
au point de métaphoriquement devenir Saint-Georges et affronter son dragon lors
du final intense (où l’on voit déjà Sirk brillant illustrateur mais piètre
filmeur de l’action). Tous les autres personnages fonctionnent ainsi, cette
inconséquence pouvant se faire charmante (Therese prête à endosser la carrière
criminelle par amour, Loretta usant de la rouerie pour les sentiments pourtant
sincères qu’elle a envers Vidocq) ou tragique avec le revirement du policier
Richet (Gene Lockhart). De même la famille d’Emile trouvant finalement un
certain confort à une profession honnête hésitera à mettre en œuvre le projet
criminel lors du final. Œuvre assez injustement oublié dans la filmographie de
Sirk, Scandal in Paris est un objet
charmant et atypique au regard de ce qui fera la postérité du réalisateur.
Sorti en dvd zone 2 français chez Artus
un pur chef-d'oeuvre injustement méconnu.
RépondreSupprimer