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samedi 2 décembre 2017

La Prisonnière - Henri-Georges Clouzot (1968)



Gilbert Moreau, artiste d'avant-garde, travaille pour la galerie d'art que dirige Stanislas Hassler, et vit avec la charmante Josée. Un concours de circonstances amène, un soir, Josée chez Stanislas, qui lui projette diverses photos dont un nu érotique qui choque et bouleverse la jeune femme. Elle tombe sous l'emprise de cette vision, demande à voir une séance de pose et bientôt sollicite Stanislas de la choisir comme modèle.

Henri-Georges Clouzot était un grand féru et collectionneur d’art dont la passion s’exprima le plus explicitement dans son documentaire Le Mystère Picasso (1956). Cet intérêt se prolongeait à une vraie curiosité pour les différentes avant-gardes qui auraient dû se concrétiser avec L’Enfer dont les audaces se laissent entrevoir dans les rushes visibles. Le perfectionnisme du réalisateur puis des problèmes cardiaques rallongèrent puis interrompirent le tournage, tuant dans l’œuf ce qui aurait pu être la grande révolution formelle de Clouzot. Dès lors, suscitant la crainte des assureurs Clouzot passera quatre ans sans tourner (si ce n’est le documentaire Grands chefs d'orchestre (1967)) avant cette ultime œuvre que sera La Prisonnière.

Plusieurs films de Clouzot traitent de façon plus ou moins explicites de la notion de soumission. Elle peut s’exprimer dans la trame criminelle de Les Diaboliques (1955) ou le tumulte amoureux de Manon (1949) et était bien sûr au cœur du récit de jalousie maladif de L’Enfer. Le réalisateur se déleste des trames/genres plus établis de ces œuvres pour traiter frontalement cette idée de soumission, la forme novatrice façonnant le ton singulier du film. La Prisonnière sort un an après Belle de jour Luis Buñuel et creuse le même sillon quant à l’exploration d’une libido féminine plus libérée et fantasmée. Cependant quand la bourgeoise effacée et frigide incarnée par Catherine Deneuve était moteur de la réalisation de ses fantasmes, Clouzot s’avère plus ambigu. Josée (Élisabeth Wiener) est une jeune femme indépendante et libérée à la fois dans son couple (les aventures mutuelles acceptées tant qu’elles sont partagées avec son époux) que dans sa vie professionnelle contrairement à la bourgeoise au foyer incarnée par Catherine Deneuve. Lorsqu’elle découvrira les penchants de Stan (Laurent Terzieff) le mécène de son époux, le trouble ressenti constitue moins une transgression d’ordre moral qu’intime. 

 La modernité de Josée se heurte à la nature soumise et rétrograde du fantasme d’être assujettie, malmenée et commandée par un homme dans une dimension fétichiste (positions suggestives et humiliantes, accessoires) immortalisée en photo mais également d’ordre verbal. L’amusement et la curiosité semblent au départ guider l’intérêt de Josée pour ses pratiques, sa connaissance allant graduellement d’une photo à une séance photo de Stan à laquelle elle assiste. Quand toute la bascule de Belle de jour semble découler de la psyché de son héroïne, Clouzot l’inscrit de façon bien plus viscérale et charnelle pour Josée. Le caractère enjoué de l’héroïne se fait plus silencieux et agité face à ses pratiques qui la bouscule, d’abord par la gestuelle contradictoire (ses mains qui se tordent, ses jambes qui se croise et se décroisent, son regard qui se fige puis se détourne) quand elle n’est que spectatrice puis par une émotion démonstrative et tout aussi schizophrène quand elle devient actrice des injonctions de Stan.

Clouzot exacerbe ainsi par le une sexualité différente la soumission inhérente à toute relation de couple selon lui - et y compris le sien au vu de la rudesse connue de sa part envers son épouse Vera actrice inexpérimentée sur trois de ses films. Là encore c’est une différence fondamentale avec la Catherine Deneuve de Belle de jour, personne éthéré et craintif pour qui les pratiques même les plus humiliantes étaient une libération non rattachée à un homme en particulier. Clouzot au contraire lie fantasme, soumission et sentiment dans le lien entre Josée et Stan, le retour à la « normalité » étant tout aussi impossible avers le terre à terre Gilbert (Bernard Fresson). C’est là la force du film qui évite le machisme en déplaçant cette soumission par l’intrusion de l’amour. L’abandon de Josée est autant dû à un désir coupable qu’aux vrais sentiments qu’elle ressent pour Stan et qui facilite ce saut dans le vide. A l’inverse Stan habitué à payer des modèles pour se soumettre docilement à ses fantasmes est d’abord amusé puis perturbé par cette « victime » libre et consentante. Sur un pied d’égalité émotionnelle, le plaisir de cette soumission s’estompe et mène donc le couple à sa perte.

L’esthétique avant-gardiste est le vecteur de tous ces questionnements des personnages. La galerie d’art moderne est une simple toile de fond au départ, mais c’est en figeant le fantasme dans une œuvre ou une pratique artistique qu’il s’épanouit le plus. Clouzot capture ainsi dans un montage frénétique la première séance photo de Stan happé par les poses lascives de son modèle qu’il dévore littéralement de son appareil. Le trouble s’amorce également dans les préparatifs de cette même séance quand Stan prépare ses éclairages avec Josée comme modèle provisoire. Cette dernière toujours dans une hésitation coupable lorsque Clouzot filme simplement l’exécution de cette soumission fait montre d’une provocante sensualité quand on en visualisera la réalisation (notamment une photo où elle lance un sacrément langoureux). L’atmosphère pop art du film n’est donc pas un apparat où Clouzot cherche à être « à la mode » mais le prisme par lequel les désirs interdits peuvent s’exprimer et où aboutissent toutes les expérimentations entrevues dans L’Enfer : séquences oniriques, éclairages baroques exacerbant les sentiments... 

Laurent Terzieff passe du prédateur carnassier de son univers à l’amoureux tourmenté dès qu’il s’expose au réel (le week-end en amoureux qui tourne court et le seul rapprochement charnel se fera dans un découpage sensuel mais nous plaçant néanmoins à distance) tandis que le visage d’Elizabeth Wiener est saisi dans tout ce mélange de plaisir, douleur et honte inhérent à cette soumission. Dès lors le réel s’avère insupportable et à fuir plus ou moins consciemment par le suicide. C’est donc tout naturellement que le fantasme s’épanouira dans un tourbillon psychédélique hypnotique où en frôlant la mort, toutes les contraintes morales peuvent s’estomper pour ne plus laisser qu'un le plaisir sensoriel s’exprimer. 

Sorti en dvd zone 2 français chez StudioCanal et ressort en salle en ce moment

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