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vendredi 29 juin 2018

Le Roman de Genji - Murasaki Shikibu Genji Monogatari, Gisaburō Sugii (1987)


Le film relate l’histoire du prince Genji à la cour impériale du Japon pendant l’époque de Heian. Sa mère étant morte alors qu’il était encore jeune, le Genji ne peut prétendre au trône et par conséquent, l’Empereur l’engage à fonder une nouvelle branche impériale. Au fil de l’œuvre, la vie du Genji oscille entre ses amours et ses ambitions politiques, la passion et la solitude. Charmeur et raffiné, il n’aura de cesse de façonner son idéal féminin.

Les années 80 constituent une sorte d’âge d’or de l’animation japonaise cinématographique qui produira nombre de films ambitieux et plus adultes. Dans un premier temps cela se fera dans le sillage de Star Wars avec des adaptations SF de Space Cruiser Yamato (1979 et 1980), Gundam (1981) Cobra (1982) ou Macross, Do your remember love (1984) sans compter l’émergence du studio Ghibli. Cet élan conduira également à l’adaptation de classiques de la littérature japonaise dont Train de nuit dans la voie lactée de Gisaburō Sugii (1985) d’après Kenji Miyazawa. Le succès critique et public du film amènera Gisaburō Sugii à s’attaquer à un autre monument littéraire lorsqu’il adaptera Le Dit du Genji d’après Murasaki Shikibu. Ecrit au XIe siècle, le texte figure parmi les plus anciens et connus de la culture japonaise, que ce soit à l’école, les différentes études universitaires qui y ont été consacrées mais aussi des transpositions plus accessibles. 

On compte notamment un film réalisé par Kōzaburō Yoshimura en 1951 et un manga de Waki Yamato dans les années 80 et plus récemment une série animée en 2009. Murasaki Shikibu était une suivante de la cour impériale à l'époque de Heian (Xe-XIe siècle). Dans Le Dit du Genji, les aventures du héros éponyme servent vision virulente de l’envers du décor de cette cour entre trahison et ambition, récit romanesque dans les amours tumultueuses de Genji mais aussi une démonstration de la haute tenue des arts de l’époque à travers les nombreux poèmes qui parcourent l’ouvrage. Les rééditions du livre prolongeront d’ailleurs cette notion avec des illustrations reflétant autant les mœurs que l’inspiration picturale de cette période. 

C’est une même ambition qui guide Sugii dans cette version animée. Le Dit du Genji par ses personnages complexes et torturés est considéré comme le premier roman « psychologique » de la littérature japonaise où les protagonistes y dépassant le seul statut de symbole/métaphore associé au conte traditionnel. Sugii creuse cette facette en la conjuguant à une recherche esthétique somptueuse. Il s’inspire de la peinture de cette période Heian pour imprégner ses images du mysticisme du bouddhisme alors prégnant, le croisement d’épure des arrière-plans et de détail du décor se fond dans une horizontalité inspirée des emakino (long rouleau portatif illustré) qui s’inscrivent dans une volonté illustrative et narrative. Cela donne un singulier mélange d’abstraction et de réalisme qui font du cadre du récit un véritable espace mental servant les élans du cœur de Genji. Toutes les intrigues de palais ne sont en effet là que pour constituer des causes et conséquences aux amours du héros. Les rapports de force se définissent par la désinvolture avec laquelle il passe d’une amante à une autre, son désir et sa nature d’homme « parfait » dépassant les réticences de ses conquêtes mais aussi les risques encourus. 

Les amantes sont en effet sa belle-mère et femme de l’empereur, la veuve de son oncle, sa propre épouse délaissée mais aussi sa belle jeune nièce qu’il élèvera dans la volonté de la posséder à l’âge adulte. La sentimentalité à fleur de peau et la grande beauté de Genji surmonte toute les réticences dans un trouble que Sugii traduit avec une sensualité magnifiée par un art certain de la retenue. Une épaule ou une jambe pâle et dénudée dépassant d’un kimono, une longue chevelure en cascade recouvrant dos ou attribut féminin, tout concours à un érotisme latent et brûlant alors que les scènes d’étreinte en restent à l’ellipse ou au fondu enchaîné discret. Tout le jeu sur les clair-obscur, le visible et le caché par les éléments de décor comme les paravents ou les portes coulissantes expriment cette sensualité feutrée, tout en prologeant le propos du livre qui dénonçait la décadence et l’hypocrisie des mœurs de la cour.

La vulnérabilité du héros, traduite par son statut précaire à la cour (fils d’une courtisanne, il est exclu de la succession tout en restant une menace car il est le fils préféré de l’empereur), s’inscrit aussi paradoxalement dans son rapport aux femmes où ne se ressent jamais une volonté de domination machiste – malgré ses actes discutables. Cela se devine au fil d’un récit qui exprime toutes les facettes du dépit amoureux comme l’éloignement, l’adultère, la mort… Que ou qui recherche réellement Genji à travers toutes ses conquêtes ? Un indice concret nous est donné avec la ressemblance physique de la belle-mère et de la nièce, mais aussi symbolique lorsque les pétales de fleur de cerisiers viennent tomber avant chaque séparation douloureuse. Sugiro Sugii fait ainsi s’exprimer cette dimension psychologique voire psychanalytique par ses seuls choix formels, dans un récit exigeant, à la lenteur hiératique et aux envolées oniriques envoutantes.  Une nouvelle grande réussite pour le réalisateur qui sait si bien adapter son approche au matériau monumental auquel il s’attaque. 

Sorti en bluray et dvd zone 2 français chez Rimini

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