A huit ans, Brian
Lackey se réveille dans la cave de sa maison, le nez en sang, sans aucune idée
de ce qui a pu lui arriver. Sa vie change complètement après cet incident :
peur du noir, cauchemars, évanouissements... Dix ans plus tard, il est certain
d'avoir été enlevé par des extraterrestres et pense que seul Neil Mc Cormick
pourrait avoir la clé de l'énigme. Ce dernier est un outsider à la beauté du
diable, une petite frappe dont tout le monde tombe amoureux mais qui ne
s'attache à personne.
Gregg continue à s’intéresser aux marginaux dans Mysterious Skin tout en se délestant de
l’approche tapageuse de sa fameuse trilogie de l’apocalypse (Totally Fucked Up (1993), The Doom Generation (1995) et Nowhere (1997)). Le sujet très sensible
du film (la pédophilie et ses répercussions sur les victimes) demandait en
effet une tonalité plus en retenue, ce qui permet une passionnante évolution
pour Araki qui filme pour la première fois une histoire dont il n’est pas l’auteur
en adaptant le roman de Scott Heim.
Ce qui a fait de Brian (Brady Corbet) et Neil (Joseph
Gordon-Levitt) des marginaux, c’est un traumatisme d‘enfance qu’ils ont vécu de
manière différente. Brian, cadet choyé d’une famille wasp classique occulte l’abus
qu’il a subit par une interprétation biaisée (un enlèvement extraterrestre) et
des réminiscences physiologiques (saignement de nez, évanouissement) qui
traduisent un trouble qu’il ne peut s’expliquer. Neil fils unique d’une famille
monoparentale et souvent livré à lui, est plus conscient des actes auxquels il
a été confronté tout en en ayant également une vision altéré. Gregg Araki évite
ainsi le cliché des familles dysfonctionnelles propres à faire de leurs
progénitures des proies idéales aux prédateurs sexuels. Chaque foyer comporte
ses failles (l’absence concrète ou symbolique du père étant la principale) tout
en constituant des cadres aimants (très beau personnage de mère libéré d’Elizabeth
Shue) qui n’empêchent pas les personnages d’être exposés à l’horreur.
L’illustration de l’abus constitue une manière de
caractériser Brian et Neil pour Araki. La relation complice qu’entretient Neil
avec l’entraîneur de base-ball (Bill Sage) n’expose son anormalité que de façon
fugitive à travers le point de vue subjectif de l’enfant, chaque transgression
ayant une dimension « ludique » jusqu’à l’irréparable. L’introverti
Brian occulte totalement la chose même si le subconscient (les scènes de rêve,
le dessin de l’alien kidnappeur portant des baskets de base-ball) laisse
ressurgir la vraie horreur qu’il refoule par l’enlèvement extraterrestre. Araki
filme ainsi les conséquences et la reconstruction des héros à travers la
reconstitution qu’ils feront de leur agression. Neil qui s’est senti aimé et
valorisé dans cette relation recherche un rapport similaire en se prostituant
auprès d’adultes pathétiques. Brian s’égare également auprès d’excentriques
victimes d’ET, tandis que le puzzle passé se rassemble pour une réalité bien
plus sordide.
Gregg Araki fait montre d’une pudeur palpable dans le
traitement de son sujet où tout passe par la mise en scène. L’agression assez
frontale de Neil est ainsi découpée de manière à rendre la scène à la fois
surréaliste et crûment réelle. Le découpage sépare enfant et adulte (les scènes
furent effectivement tournées séparément) pour exprimer l’approche subjectif
par un gros plan qui capture ses sensations, à la fois extérieur et partie
prenante de l’instant. La figure de l’adulte prenant des attitudes et une
gestuelle inappropriée surgit comme dans un rêve pastel, tout en tendresse
manipulatrice plutôt que par la violence. Araki peut retrouver le style plus
démonstratif d’antan pour saisir le ressenti de Brian, les éclairages bleus et
jeux d’ombres marqués traduisant son interprétation surnaturelle de l’abus. Les
effets de montage heurtés jouent de l’ellipse pour revenir brutalement sur le
visage hébété de l’enfant, traumatisé pouvoir en expliquer la raison.
L’interprétation remarquable vient compléter le tableau,
Joseph Gordon-Levitt tout en présence malingre et taciturne et Brady Corbet semblant
n’avoir jamais quitté la sidération de ce moment fatidique de son enfance.
Lorsque les personnages se montreront prêts à affronter ce qu’ils ont vécu et
fait, la pudeur des images n’a d’égale que la crudité de la confession. La fin
ouverte ne nous dit pas s’ils se remettront, mais l’essentiel était de l’accepter,
tel est le cœur du film dont l’univers se réduit à la connexion des victimes
dans sa dernière image.
Sorti en dvd zone 2 français chez MK2
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