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jeudi 31 janvier 2019

Yang ± Yin: Gender in Chinese Cinema - Stanley Kwan (1996)

Stanley Kwan par la place accordée aux femmes dans sa filmographie est souvent considéré comme le George Cukor asiatique. Il partage également avec le cinéaste hollywoodien le fait d'être gay et va s'interroger à travers ce documentaire sur la représentation LGBT dans le cinéma chinois. En questionnant la symbolique plus ou moins explicite des films, il va ainsi scruter le regard de la société chinoise sur les sexualités sortant de la norme traditionnelle. En évoquant ses premiers émois et contacts avec la nudité masculine dans un hammam lorsqu'il était enfant, Stanley Kwan ravive aussi ses souvenirs filmiques de cette exposition à l'écran. Le cinéma martial en est le vecteur idéal et, s'il l'on entraperçoit le Bruce Lee sec et véloce de La Fureur du Dragon, c'est surtout les héros masochistes et les amitiés viriles d'un Chang Cheh qui provoquent le trouble.

Chang Cheh affirme avoir voulu redonner une place centrale à l'homme dans une industrie chinoise où les vraies stars étaient féminines. Son idéal héroïque masculin oscille entre entre l'archétype imposant et/ou menaçant que représente des acteurs comme Wang Yu ou Ti Lung, mais parallèlement il peut aussi introduire une figure plus vulnérable comme David Chiang. Les films de Chang Cheh se partagent ainsi entre un machisme assumé et une imagerie crypto-gay dans les manifestations de camaraderie masculine appuyée dont la femme est exclue. Le propos de Chang Cheh en interview jure avec certains extraits particulièrement parlants dans l'analogie freudienne (les héros "pénétrés" par des sabres et autres armes phalliques dans des postures où le martyr de la douleur se dispute au plaisir masochiste).

Stanley Kwan aborde cette schizophrénie entre le refoulé et l'explicite avec John Woo (disciple de Chang Cheh s'il en est) à travers des extraits de Le Syndicat du Crime (1987) ou The Killer (1989). Le prolongement de la chevalerie chinoise dans un contexte du polar se conjugue ainsi à une même esthétique ambigüe lors de scènes aussi marquantes que l'extraction de balles entre le policier et le tueur dans The Killer. John Woo affirme comme Chang Cheh célébrer l'amitié masculine dans volonté plus visuelle et viscérale que dialoguée et intellectuelle, et laisse à l'interprétation des spectateurs le côté gay.

Un autre aspect passionnant du documentaire est la force d'une société où la famille est encore régie par les codes traditionnels. La place d'autorité centrale et du père et la primauté accordée au fils plutôt qu'aux filles en termes d'éducation force les garçons à masquer toute fragilité. Les avancées économiques permettent aux familles de vivre mieux, d'être moins nombreuses et ainsi de délester les garçons d'une forme de pression ce qui autorise à être plus vulnérable. Des réalisateurs comme Ang Lee, Tsai Ming-liang, Edward Yang ou Hou Hsiao-Hsien témoignent du rapport à leur père, que Stanley Kwan illustre par des extraits de leurs film notamment Garçon d'honneur (1993) reflet de l'éducation plus portée à l'ouverture d'Ang Lee. La dernière scène du documentaire est d'ailleurs très touchante avec Stanley Kwan interrogeant sa mère sur le sujet et faisant par la même occasion son coming out.

L'autre réflexion pertinente sera le rapport au passé dans la façon d'amener la question de genre dans différentes adaptations d'une même œuvre. Les films contemporains peuvent s'avérer paradoxalement plus conservateur à travers divers exemples. Phantom Lover de Ronny Yu (1995) privilégie ainsi l'imagerie romantique classique façon Fantôme de l'Opéra aseptisé quand l'original Song of midnight (1937) osait une sexualité plus déviante lorgnant sur Frankenstein dans la mutation de son héros. Il en va de même avec le célèbre Adieu ma concubine (1993) où tout en semant le trouble sexuel, la conclusion choisit la tragédie plutôt que la réunion des amants gay du livre pourtant respectée dans une adaptation antérieure. Le plus brillant est bien sûr Tsui Hark dont la confusion des genres est un motif majeur dont il fait parfois une malédiction mais qui questionne toujours les réels penchants de ses héros à travers l'ambiguïté qui guide les amours tourmentés de Swordsman II (1992) ou The Lovers (1994).Le questionnement entre tradition et modernité et la quête d'identité y sont souvent représenté par la présence androgyne de Ling Ching-hsia à laquelle une belle place est accordée.

Le propos est captivant et émouvant pour l'amateur du cinéma de Hong Kong avec tous les intervenants majeurs de l'industrie qui participent au documentaire. On appréciera notamment les réflexions pertinentes du regretté Leslie Cheung, éludant la question de sa propre homosexualité tout en ayant toujours été ouvert à ce type de rôle. Le doc n'évoque d'ailleurs pas Happy Together (1997) de Wong Kar Wai (pas encore sorti voire tourné à ce moment-là), vrai film de la rupture par sa passion amoureuse masculine gay qui brise le tabou pour la société chinoise et hongkongaise. Indispensable.

Pour l'instant inédit en dvd ou bluray 

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