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jeudi 14 février 2019

Adieu Philippine - Jacques Rozier (1962)


Paris, été 1960. Michel doit bientôt partir en Algérie pour le service militaire. En attendant, il est machiniste à la télévision et fait la connaissance de Liliane et Juliette, deux amies inséparables comme des amandes « philippines ». Michel songe à ses derniers jours de liberté, quitte son travail et part en vacances sur les routes de Corse où les deux filles décident de le rejoindre.

Avec ses deux court-métrage Rentrée des classes (1956) et Blue Jeans (1958), Jacques Rozier s’était avéré un précurseur des préceptes de la Nouvelle Vague. Lorsqu’A bout de souffle (1959), film manifeste du mouvement, remporte le succès public et critique que l’on sait, c’est donc tout naturellement que Jean-Luc Godard recommande Rozier au producteur Georges de Beauregard soucieux de réitérer l’exploit. 

 Adieu Philippine constitue le mélange de deux projets différents de Jacques Rozier, celui d’une comédie musicale baptisée Embrassez-nous ce soir et d’un autre (coécrit avec sa compagne  Michèle O’Glor) dépeignant les dernières semaines d’un appelé avant son départ en Algérie. Ces prémisses entre la légèreté d’un genre et la gravité d’un contexte illustrent bien les contrastes du film et de la filmographie à venir de Jacques Rozier. Le film célèbre ainsi une forme de fougue juvénile et une tonalité picaresque tout en adoptant un rythme languissant. La légèreté de l’ensemble est contrebalancée par l’ombre du réel qui rattrapera les personnages de manière inéluctable. Cela se manifeste par le carton d’ouverture ("1960, sixième année de guerre en Algérie") ou par l’apparition d’un camarade revenu d’Algérie dont le mutisme sur son expérience en dit long. 

L’ensemble du récit apparaît donc comme l’ultime étape, la dernière parenthèse avant la perte d’innocence qui transformera Michel (Jean-Claude Aimini) ou pire ne le verra pas revenir. Le personnage incarne donc à lui seul ce détachement à un réel qu’il veut oublier, et ce dès la première scène où il apparaît nonchalant dans l’urgence d’un tournage de télévision en direct – milieu bien connu par Jacques Rozier qui y fut assistant et lui rend hommage le temps d’un dialogue où il souligne la rapidité d’exécution de la télé par rapport au cinéma. C’est un même croisement d’urgence et de langueur rieuse qui habite la longiligne Liliane (Yveline Céry) et la gironde Juliette (Stefania Sabatini) qui se dispute les faveurs de Michel. C’est au départ un jeu de séduction où elles voient avec amusement le jeune homme passer de l’une à l’autre, où elles se plaisent à titiller sa susceptibilité et le rendre jaloux. La joyeuse vie parisienne, des sorties ensoleillées du dimanche au dancing nocturnes endiablés, représentent donc cet élan initial dans une urbanité chargée qui masque les émotions et fige l’instant.

A l’inverse la seconde partie en Corse n’accorde plus ce détachement que par intermittences (Liliane et Juliette sabordant les tentatives de séduction de Michel auprès d’autres jeunes vacancières). Les magnifiques grands espaces laissent s’introduire l’introspection et la mélancolie. L’inconsistance juvénile qui témoignait de l’absence de lendemain par la complicité des jeunes filles est désormais synonyme de conflit. Pour Michel c’est la quête du dernier souvenir tendre avant le départ, et pour les maintenant rivales Liliane/Juliette la dispute à celle qui marquera le plus de son empreinte l’appelé. L’opposition peut être explicite par des querelles en forme de pure gamineries, ou implicite et bouleversante avec ce plan sur le visage en larmes de Liliane sous sa tente alors que Juliette est partie rejointe Michel sur sa couche à l’extérieur.

Le filmage de Rozier se fond dans cet approche, moderne, inventif et percutant en ville (les travellings nerveux qui accompagnent les déambulations de rue de Juliette et Liliane) puis contemplatif, silencieux et ample lorsque dans les élans charnels en Corse. Le marivaudage et l’atmosphère estivale sixties oscille entre veine documentaire, trivialité (la rencontre avec un bellâtre italien chantonnant) et stylisation hypnotique. 

On pense à cette scène de bal où Rozier capture le triomphe mutuel et la séduction de chacune des jeunes filles, que ce soit la cha cha sensuel de Liliane le regard rivé à la caméra, ou celui perdu mais triomphant de Juliette agrippé au bras de Michel. Ce mariage image/musique accompagne l’émotion alors totalement sincère et expressif de la conclusion. Michel embarque le cœur lourd vers sa triste destination sur un chant corse traditionnel évoquant le départ des soldats, tandis que Liliane et Juliette arpente sur le rythme de cette musique la jetée d’où elles feront leurs adieux. Adieu Philippine, c’est donc aussi et surtout la fin de l’adolescence et l’entrée dans les maux de l’âge adulte. 

 Sorti en dvd zone 2 français chez Potemkine

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