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lundi 22 avril 2019

Nickelodeon - Peter Bogdanovich (1976)


En 1910, un nouveau divertissement populaire fait des ravages : il s'agit des premiers pas du cinéma à cinq sous, des films muets avec des sous-titres et un accompagnement au piano. L'essor de l'industrie cinématographique conduit les producteurs indépendants à s'installer en Californie. Par hasard, quatre jeunes gens d'origines et de professions différentes se trouvent propulsés dans cette fabuleuse épopée...

Peter Bogdanovich s’est toujours différencié de ses contemporains et collègues du Nouvel Hollywood par son rapport au passé. Si la plupart cherchent à balayer le passé et innover dans le type de récit abordé, la manière de les narrer, les thématiques ou la facture technique, (y compris un Scorsese quand il fait New York New York) Bodganovich de par son parcours entretient une déférence plutôt qu’une défiance vis-à-vis du vieil Hollywood. Avant de passer à la mise en scène, Bogdanovich est un cinéphile historien qui eut l’occasion de s’entretenir voire de nouer de vraies amitiés avec toutes ses idoles à la carrière finissantes telles que John Ford, Howard Hawks, Raoul Walsh, Alfred Hitchcock… Parmi ces interlocuteurs de choix, on trouve également Allan Dwan, pionnier d’Hollywood et fin observateur de toutes les mues du système durant sa longue carrière. Il gratifiera Bogdanovich de savoureuses anecdotes sur les premières heures rocambolesque du cinéma muet aux Etats-Unis. Entretemps Bogdanovich est devenu un cinéaste de premier plan grâce à La Dernière Séance (1971) et a creusé ce sillon nostalgique et cinéphile dans la néo screwball comedy On s'fait la valise, docteur ? (1972), le road-movie période Grande Dépression La Barbe à papa (1973) et la comédie musicale Enfin l’amour (1975). 

Il a alors le projet de signer un film évoquant de manière réaliste et amusée l’odyssée des pionniers du muet. Au même moment, les producteurs Robert Chartoff et Irwin Winkler entretiennent une volonté similaire sur la foi d’un script brillant de W. D. Richter pour lequel ils envisagent Arthur Penn à la réalisation. Informé par son agent et se doutant bien que deux productions sur le même sujet ne pourront voir le jour, Bogdanovich prend les devants et va proposer ses services à Chartoff et Winkler ainsi qu’à la Columbia qui finance le film. Si le studio est satisfait de s’attacher ce nom prestigieux, Winkler se montrera méfiant quant à la volonté du réalisateur de remanier entièrement le script de Richter. Bogdanovich va ainsi accentuer (fort des anecdotes recueillies de la part des intéressés) la dimension réaliste ainsi que la tonalité de comédie alors que la première mouture de Richter était nettement plus dramatique (et réussie selon Winkler).

Le fétichisme nostalgique du réalisateur se ressent à travers les intertitres accompagnant les ellipses tout au long du film, les fondus d’ouverture et de fermeture, ou encore le look à la Harold Lloyd du personnage de Ryan O’Neal, tout cela concentré en début de film. La narration chorale nous montre comment, des réflexes saltimbanques et mercantiles du producteur Cobb (Brian Keith) en passant par les parcours sinueux de l’avocat Harrigan (Ryan O’Neal), de l’homme à tout faire Buck Greenway (Burt Reynolds) et l’artiste de scène Kathleen Cook (Jane Hitchcock), l’entrée dans le monde du cinéma se fait à coup de hasard et de débrouillardise. Les péripéties voient un vague talent d’écriture propulser Harrigan réalisateur, l’appât du gain et une belle allure font de Buck une vedette masculine, une imagination débordante propulse la jeune Alice (Tatum O’Neal qui reforme le duo de La Barbe à papa avec son père) scénariste.

La force de Bogdanovich est d’exprimer cette ère de tous les possibles dans un pur élan comique. Il reprend la science screwball du quiproquo pour lier le destin de ses héros (les rencontres heurtées et les échanges de valises impromptus entre Harrigan, Buck et Kathleen), une bagarre rocambolesque signe l’alliance et l’amitié entre Harrigan et Buck. On retrouve ici la frénésie burlesque de On s'fait la valise, docteur ? mais dépassant le seul plaisir du gag pour servir la nature tout aussi improvisée et défricheuse des élans créatifs de l’équipe cinéma. En témoigne la virevoltante scène de la montgolfière où une réaction en chaîne d’incident aboutit à des situations incroyables que Harrigan n’hésite pas à capturer dans l’objectif de sa caméra, quitte en refaçonner son histoire autour de ses impressionnantes nouvelles images. Bogdanovich exprime d’ailleurs là la primauté de l’expérience formelle sur une narration primaire en ces premiers temps, pour le meilleur et pour le pire d’ailleurs quand Harrigan découvrira que Hobb mélangé les images de ses films à de seules fins comique au détriment de l’histoire.

Le réalisateur s’avère aussi méticuleux dans le détail trivial (la mauvaise odeur régnant dans les premières salles de cinéma) que dans d’autres plus cruciaux mais oubliés avec le lobbying sur les brevets de caméra bloquant tout nouvel entrant dans le milieu. Le triangle amoureux du film est assez classique mais Bogdanovich le dynamise par son approche tendre et amusée et où l’urgence (la fuite du tournage pour se marier de Buck et Kathleen) se dispute à la mélancolie silencieuse notamment à travers le dépit amoureux de Harrigan. C’est d’ailleurs par l’interprétation sensible de Ryan O’Neal que s’exprime rapport changeant de l’époque face au média cinématographique. L’improvisation initiale cède à de vraies velléités artistiques qui se heurtent d’abord aux élans mercantiles (rattachés aux origines saltimbanques de l’exploitation cinéma) puis industriels du cadre des studios. Après l’anarchie initiale des productions indépendantes, un saisissant travelling nous faisant passer d’une ambiance à une autre sur les différents plateaux nous amène à une rigueur, organisation et finalement spontanéité étouffée par la logique industrielle. 

Tout cela peut amener à un tout cohérent et artistiquement ambitieux mais Harrigan n’en sera que le spectateur en voyant la première projection publique de Naissance d’une nation de D.W. Griffiths (1915) qui fait basculer le cinéma dans une nouvelle ère. La flamme est pourtant toujours là et la scène finale se montre autant nostalgique que tournée vers l’avenir, l’odyssée picaresque à laquelle nous venons d’assister n’étant que le début. Le film sera malheureusement un cuisant échec public et critique qui parachève une production houleuse où Bogdanovich enchaînera les déconvenues, notamment le refus du studio de le laisser tourner en noir et blanc (injustice réparée avec les éditions vidéos plus tardive respectant la volonté du réalisateur. Aujourd’hui il reste un des plus méconnus et attachants film de son auteur. 

Sorti en bluray et dvd zone 2 français chez StudioCanal 

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