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jeudi 22 août 2019

Premier rendez-vous - Henri Decoin (1941)


Micheline vit dans un orphelinat. Cette jeune collégienne, à la recherche d'affection et de réconfort, répond à une petite annonce et se rend à un rendez-vous dans un café. Elle y rencontre un professeur d'âge mûr. Celui-ci, timide et conscient de la déception de Micheline, se dérobe au profit de son neveu, Pierre, un jeune homme qui devient le prince charmant.

Battement de cœur (1940) avait marqué à la fois un accomplissement et une conclusion au moment de sa sortie. Le film constitue le dernier sommet de la collaboration entre Danielle Darrieux et Henri Decoin en tant que couple, et fait preuve d’une insouciance et provocation en contradiction avec le contexte hostile des prémices de la Deuxième Guerre Mondiale – le film sort en pleine « Drôle de guerre ». Tout a changé au moment du tournage de Premier rendez-vous. Bien qu’encore mariés, Danielle Darrieux et Henri Decoin sont désormais séparés et la France sous occupation allemande. Sollicité par la Continentale – société de production française aux financements allemands – Henri Decoin y retrouve le producteur Alfred Greven qu’il avait côtoyé lors de certains tournages en Allemagne.

Decoin parvient à imposer ses conditions - notamment de ne pas avoir à tourner d’œuvre de propagande – et amène donc avec lui Danielle Darrieux qui constituait un atout commercial essentiel pour une des premières productions Continental. Si les choses se dérouleront relativement bien sur Premier rendez-vous, la suite sera compliquée pour Danielle Darrieux. Elle sera contrainte de participer au médiatisé voyage de promotion à Berlin pour faire libérer son amant portoricain  Porfirio Rubirosa, emprisonné en Allemagne, puis de tourner deux autres films pour la Continentale avec  Caprices et La Fausse Maîtresse en 1942 – son mariage avec Rubirosa la libèrera de son contrat et elle ne tournera plus jusqu’à la libération.

Premier rendez-vous renoue avec la veine piquante sous influence américaine de Battement de cœur, continuité assurée par le scénariste Max Kolpé non crédité à l’époque car juif mais auquel Henri Decoin reversera le salaire. La donne semble cependant avoir changée, notamment au niveau de la morale. L’ancrage social contemporain de Battement de cœur s’estompe notamment à travers le personnage de Danielle Darrieux à la candeur bien plus marquée dans ce même registre de la jeune fille. Echappée de maison de correction intégrant une école de pickpocket dans le film précédent, elle est désormais une orpheline élevée chez les religieuses entretenant une correspondance chaste et romantique avec un illustre inconnu. Les traits peu séduisants et vieillissants de Nicolas Rougemont, l’auteur de ses lettres (Fernand Ledoux), s’opposent à la beauté juvénile de Micheline (Danielle Darrieux) au point que le premier préfère passer pour l’émissaire du vrai idéal romantique, Pierre (Louis Jourdan). Si la dimension morale correspond à un lissage amenant un contexte français plus intemporel et idéalisé, le triangle amoureux et ses deux figures masculines antinomique illustre la différence entre la France vieillissante qui a perdue (Fernand Ledoux) et celle jeune et fringante telle qu’elle se rêve (Louis Jourdan).

La dualité du film correspond donc à ses aspirations romantiques contradictoires de l’héroïne. La vulnérabilité et l’innocence de Micheline offre un parfait pendant à la maladresse de Fernand. L’attitude apeurée puis progressivement confiante de Micheline (dont l’espièglerie jaillit dans une scène où elle se déguise en garçonne) ravive l’instinct protecteur de Nicolas Rougemont, créant une délicieuse promiscuité entre eux. La féminité et sexualité de Micheline ne se ressent que dans l’interaction avec une masculinité juvénile. On la découvre en nuisette peu avant qu’elle n’observe la vigueur des élèves du collège de garçon en pleine séance de sport. L’éveil érotique ne peut que s’associer à un physique avenant, et l’attrait romantique également, Micheline ne pouvant voir les jolis mots des lettres de Nicolas que dans le visage séduisant de Pierre. Si notre sympathie va à l’amour mélancolique et fragile de Nicolas, la morale (l’écart d’âge conséquent avec Micheline) et ce contexte de réhabilitation masculine française (les années 40 étant également celle du phénomène Jean Marais) va vers l’accomplissement du couple Micheline/Pierre, au détriment de la dynamique du récit. L’effronterie de Danielle Darrieux brisant la goujaterie bourgeoise de Claude Dauphin amenait un progressisme moderne et une romance réellement singulière dans Battement de cœur.

Premier rendez-vous en proposant à la fois distance et pleine plongée dans les conventions ne fonctionne pas complètement dans les attentes contradictoires qu’il amène pour le spectateur. Louis Jourdan (anticipant ses rôles de séducteur égoïste de sa période hollywoodienne) n’apparaît pas suffisamment sympathique pour que l’issue romantique attendue soit satisfaisante. La célébration de la jeunesse fonctionne finalement mieux dans le revirement de la classe de collégiens chahuteurs (où l’on croise un jeune Daniel Gélin) qui finit par faire preuve d’une belle empathie pour son professeur. La mise en scène alerte de Decoin est cependant bien là et le spectacle reste plaisant même si le contexte de production plus contraignant n’en fait pas une réussite aussi éclatante que Battement de cœur même si le succès public sera immense. 

Sorti en bluray et dvd zone 2 français chez Gaumont 

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