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mercredi 18 mars 2020

La Belle équipe - Julien Duvivier (1936)


Cinq amis - Jean, Charlot, Jacquot, Mario et Raymond, dit Tintin - traînent leur misère d'ouvriers au chômage. Mais un jour, miracle, ils gagnent 100 000 francs à la loterie ! Chacun commence à rêver de ce qu'il va faire de son pactole mais Jean n'a pas envie de voir leur petit groupe s'éparpiller. C'est ainsi qu'il propose à l'équipage de rester soudé et d'acheter un terrain en commun sur les bords de la Marne afin d'y construire une guinguette.

La Belle équipe est considéré comme un des fleurons du cinéma dit du « Front Populaire » même si ce titre est à nuancer sur certains points. Si le film capture le zeitgest gauchiste de cette France du milieu des années trente, Charles Spaak et Julien Duvivier rédigent leur scénario des mois avant la victoire du Front Populaire aux législatives de mai 1936 et La Belle équipe sorti en septembre de la même année se voit donc malgré lui associé à cette tendance. La légende veut que Jean Renoir en pleine préparation de La Grande Illusion ait eu accès au scénario et, y voyant un sujet taillé pour lui ait proposé d’échanger les projets mais se serait heurté au refus de Duvivier. On a une idée de ce qu’aurait pu donner le film sous la caméra de Renoir avec Le Crime de Monsieur Lange (1936) au postulat voisin. Soit un film pour le coup nettement plus marqué par les idéaux de gauche de Jean Renoir, ce qui est moins visible chez un Duvivier nettement plus pessimiste et désenchanté envers son prochain.

Dès lors l’union des cinq ouvriers au chômage Jean (Jean Gabin qui façonne là son mythe gouailleur prolétaire), Charlot (Charles Vanel), Jacquot (Charles Dorat), Mario (Raphaël Médina) et Tintin (Raymond Aimos) repose avant tout sur leur amitié. Le chômage, le dénuement matériel, le logement insalubre, tout cela se surmonte grâce à l’aide et à l’entrain des copains et la bonne fortune du gain collectif à un billet de loterie est supposée décupler ce sentiment. Le récit ne s’inscrit contexte socio-politique marqué et choisit d’en rester au microcosme des personnages. Ainsi, tout comme leur bon fond individuel contribuait à une solidarité collective dans la misère, ce seront également des travers bien humain qui causeront leur perte. Duvivier magnifie cependant ce collectif tant que le rêve de guinguette est un objectif commun en construction à travers d’euphorisantes scènes de travaux en commun. Les aptitudes ouvrières des héros sont ainsi au service d’eux-mêmes plutôt que d’un patron (sans que cela soit souligné outre mesure, une nouvelle fois c’eut été différent avec un Renoir) et résister face à l’adversité ce n’est plus simplement survivre, mais entretenir vigoureusement le rêve avec cette magnifique séquence pluvieuse où ils s’unissent pour maintenir les tuiles branlantes de la guinguette. 

Duvivier endosse ainsi la dimension populaire de son sujet par la forme plutôt que le fond à travers une atmosphère festive, rigolarde et chantante (le titre Quand on s'promène au bord de l'eau entonné par Gabin qui deviendra un immense succès), mais aussi poétique avec sa caméra se promenant et capturant les abords du canal de la Marne dans une pure esthétique impressionniste. Ce passage de l’hiver au printemps où doit ouvrir la guinguette correspond donc aussi à celui de la misère à la réussite pour les protagonistes. Cependant la scène où tous repus de fatigue en fin de journée « rêvent » déjà des lieux bruyant d’agitation et filmé le visage exalté par Duvivier trahit déjà la fatalité qui les guette. L’amorce de la séquence laisserait à penser qu’une ellipse va nous conduire à retrouver le décor achevé et le but atteint, mais non, ce sera un retour à la normale comme si, même aussi près du but, la réussite ne pouvait encore n’être que fantasmée.

Comme souvent chez Duvivier (notamment dans Pépé le Moko (1937)) la femme est l’élément déclencheur de la déchéance. Nul volonté machiste de la part du réalisateur mais, dans ce que l’homme est prêt à céder (ou pas) à l’objet de son cœur et de ses désirs, il libère les entrailles qui causeront sa perte. La dislocation du groupe passera ainsi d’abord par l’exil de Jacques face à un amour interdit pour l’innocente et lumineuse Huguette (Micheline Cheirel) déjà fiancé à Mario. Le collectif ainsi entamé, il peut voler en éclat face à un versant plus vénéneux et malveillant de la féminité avec la vamp Gina (Viviane Romance). C’est par elle qu’arrivent les premières scènes où l’individu se substitue au groupe (visuellement dans la mise en scène et symboliquement par le retour de l’individualisme) pour se faire happer par ses charmes, que ce soit le tourmenté et toujours amoureux Charles ou le pourtant si droit et fidèle Jean. Les tragédies se succèderont alors jusqu’au point de non-retour tant ce cheminement reflète ce qu’il peut y avoir de meilleur et de faible en l’homme. 

Cet humanisme désespéré où Duvivier avait réussi à s’extraire d’une lecture idéologique va pourtant être rattrapée par son contexte. Lors des projections aux exploitants, la fin pessimiste du film déplait et les producteurs inciteront un Duvivier réticent à en tourner une plus optimiste (une seule courte scène sera vraiment retournée le changement de ton reposant sur le montage). Les deux fins seront soumises au vote d’un panel de spectateurs qui choisiront l’optimiste à 306 voix sur 366. Duvivier et Spaak se soumettent donc la mort dans l’âme et le film justifie ainsi (malgré la rupture de ton que constitue cette conclusion) son association au Front Populaire par cet épilogue qui restera longtemps le seul connu. Cette fin originale sera l’objet d’un conflit entre ayant-droits rendant le film longtemps invisible mais la restauration récente a désormais réintroduit de façon définitive l’issue plus sombre et conforme à la vision de Duvivier. 

Sorti en bluray et dvd zone 2 français chez Pathé 

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