Nagasaki, en 1969. Ken est la forte tête du
lycée, chef d'une petite bande. Pour séduire la belle Kazuko, il a
compris la technique : se mettre à la mode soixante-huitarde qui se
répand dans le monde entier, même s'il n'y comprend pas grand chose. Le
tout est de se la jouer rebelle. . Alors Ken et ses potes préparent un
festival évidemment expérimental.
L'œuvre littéraire de Ryu
Murakami est peuplée de personnages torturés et autodestructeurs
s'enfonçant dans des situations aussi glauques que surréalistes, le tout
baignés dans un humour noir à éviter pour les âmes sensibles. Il existe
pourtant une exception dans ce tableau avec le roman 69,
désopilante chronique autobiographique où l'auteur revenait sur sa
jeunesse tumultueuse lors de sa dernière année de lycée en 1969. Sang-il
Lee en signe donc en 2004 cette adaptation plutôt réussie. L'attrait du
roman reposait sur l'écho constant entre les émois adolescents et
l'agitation socio-politique d'alors (Mai 68, Guerre du Vietnam), qu'elle
soit mondiale ou plus spécifiquement japonaise.
Nous suivons
donc Ken (Satoshi Tsumabuki), lycéen féru de culture occidentale qui va
avec ses camarades concrétiser ses marottes politiques et artistiques en
deux gestes très différents. Ce sera d'abord la vandalisation du lycée
par des barricades, tags et bannières aux messages engagés puis, plus
tard, l'organisation d'un festival culturel avec concert et projection
de films. Ces deux hauts faits n'empêchent pas nos héros d'être de vrais
adolescents avec toute la joyeuse futilité qui en découle. La plupart
des grandes causes de Ken naissent ainsi de la volonté d'épater la belle
Kazuko "Lady Jane" Matsui (Rina Ohta) et le réalisateur joue habilement
des scènes de fantasmes haut en couleur pour illustrer les "motivations
de Ken, tout en mine ahurie et attitude frimeuse. Sang-il Lee
caractérise d'ailleurs brillamment chaque personnage par un gimmick
visuel, un gag récurrent, qui fait toujours mouche car prolongé par la
prestation de l'excellent casting.
Par ce décalage dynamique se rejouent
par l'image les tordantes montées de mythomanie du personnage, que
Murakami désamorçait en une phrase laconique à l'écrit après être parti
dans des descriptions délirantes et qui passe ici à travers le timing
comique du montage. Le placide et séduisant Adama, (Masanobu Andō)
surnommé ainsi pour sa ressemblance avec Salvatore Adamo, fait au
contraire naître l'humour par son stoïcisme face à l'agitation ambiante,
la logorrhée et les élucubrations de Ken se dégonflant justement par un
retour sur la mine impassible d'Adama. Cela fonctionne aussi dans une
dimension plus dramatique avec Iwase (Yuta Kanai) complexé par le
charisme et le savoir de ses deux amis. Là aussi un simple gag traduit
cette relation inégale lorsqu'il ramène trois boissons chaque fois
qu'ils se retrouvent tous, et qu'un micro-évènement fait
systématiquement qu'il n'aura pas la sienne.
La fascination de la
jeunesse japonaise (et qui trouvait son équivalent en France aussi à
l'époque d'ailleurs) pour la culture occidentale est bien capturée,
servant une facette poseuse où l'on recrache son discours marxiste pour
épater la galerie sans comprendre tout le sens de ce que l'on dit, où
l'on cite Rimbaud et se délecte des films de Godard que qu'on a
probablement pas vu. Là encore la petite pointe d'exagération dans le
discours, la légère moue trop fière vient désamorcer par l'image ce que
Murakami moquait avec causticité et autodérision (puisque Ken est bien
le double de l'auteur). Même un élément impossible à faire passer pour
le lecteur occidental (le gag récurrent qui voit Ken passer du patois
japonais local à l'accent tokyoïte snob quand il veut convaincre d'un
projet farfelu quelconque) se ressent mieux dans le film pour le
spectateur attentif où la sonorité japonaise traînante et gouailleuse du
cru passe à un ton plus grave, pédant et mesuré. L'humour fonctionne
donc très bien notamment lors de la fameuse scène de vandalisation
nocturne du lycée.
Le seul point où le film rate le coche est la
facette sociale. Dans le roman l'aspect amour/haine pour l'imagerie
américaine fonctionnait mieux avec cette ville portuaire de Sasebo où
s'érigeait une base américaine. Tout creux qu'il soit, le discours
politique des personnages trouvait un vrai arrière-plan qui n'existe pas
vraiment ici où l'on croise un GI noir caricatural. L'autre élément
fondamental était l'opposition entre l'éducation castratrice et la
volonté si japonaise de (faire) rentrer dans le rang. Les professeurs
(pour nombre d'entre eux ayant connus la guerre) s'y montraient violents
et intolérants, stimulant les facéties des héros.
La brutalité du
professeur de sport est dans le film uniquement source de gags et du
coup le mini "Mai 68" du lycée pur soutenir Ken brimé ne fonctionne pas
faute d'une implication suffisante dans ce qui précède. De même la
préparation du festival, vrai fil rouge plein de rebondissements, est
bien trop elliptique et frustrante et la béatitude de l'évènement se
savoure moins bien sans le labeur qui l'a précédé. Le rythme est un peu
plus flottant dans la dernière partie alors que Sang-il Lee avait si
bien capté l'énergie du court roman dans un premier temps. Un très bon
moment donc qui rend bien justice au livre malgré quelques
imperfections.
Sorti en dvd japonais
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