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dimanche 31 mai 2020

69 - Sang-il Lee (2004)

Nagasaki, en 1969. Ken est la forte tête du lycée, chef d'une petite bande. Pour séduire la belle Kazuko, il a compris la technique : se mettre à la mode soixante-huitarde qui se répand dans le monde entier, même s'il n'y comprend pas grand chose. Le tout est de se la jouer rebelle. . Alors Ken et ses potes préparent un festival évidemment expérimental.

L'œuvre littéraire de Ryu Murakami est peuplée de personnages torturés et autodestructeurs s'enfonçant dans des situations aussi glauques que surréalistes, le tout baignés dans un humour noir à éviter pour les âmes sensibles. Il existe pourtant une exception dans ce tableau avec le roman 69, désopilante chronique autobiographique où l'auteur revenait sur sa jeunesse tumultueuse lors de sa dernière année de lycée en 1969. Sang-il Lee en signe donc en 2004 cette adaptation plutôt réussie. L'attrait du roman reposait sur l'écho constant entre les émois adolescents et l'agitation socio-politique d'alors (Mai 68, Guerre du Vietnam), qu'elle soit mondiale ou plus spécifiquement japonaise.

Nous suivons donc Ken (Satoshi Tsumabuki), lycéen féru de culture occidentale qui va avec ses camarades concrétiser ses marottes politiques et artistiques en deux gestes très différents. Ce sera d'abord la vandalisation du lycée par des barricades, tags et bannières aux messages engagés puis, plus tard, l'organisation d'un festival culturel avec concert et projection de films. Ces deux hauts faits n'empêchent pas nos héros d'être de vrais adolescents avec toute la joyeuse futilité qui en découle. La plupart des grandes causes de Ken naissent ainsi de la volonté d'épater la belle Kazuko "Lady Jane" Matsui (Rina Ohta) et le réalisateur joue habilement des scènes de fantasmes haut en couleur pour illustrer les "motivations de Ken, tout en mine ahurie et attitude frimeuse. Sang-il Lee caractérise d'ailleurs brillamment chaque personnage par un gimmick visuel, un gag récurrent, qui fait toujours mouche car prolongé par la prestation de l'excellent casting.

Par ce décalage dynamique se rejouent par l'image les tordantes montées de mythomanie du personnage, que Murakami désamorçait en une phrase laconique à l'écrit après être parti dans des descriptions délirantes et qui passe ici à travers le timing comique du montage. Le placide et séduisant Adama, (Masanobu Andō) surnommé ainsi pour sa ressemblance avec Salvatore Adamo, fait au contraire naître l'humour par son stoïcisme face à l'agitation ambiante, la logorrhée et les élucubrations de Ken se dégonflant justement par un retour sur la mine impassible d'Adama. Cela fonctionne aussi dans une dimension plus dramatique avec Iwase (Yuta Kanai) complexé par le charisme et le savoir de ses deux amis. Là aussi un simple gag traduit cette relation inégale lorsqu'il ramène trois boissons chaque fois qu'ils se retrouvent tous, et qu'un micro-évènement fait systématiquement qu'il n'aura pas la sienne.

La fascination de la jeunesse japonaise (et qui trouvait son équivalent en France aussi à l'époque d'ailleurs) pour la culture occidentale est bien capturée, servant une facette poseuse où l'on recrache son discours marxiste pour épater la galerie sans comprendre tout le sens de ce que l'on dit, où l'on cite Rimbaud et se délecte des films de Godard que qu'on a probablement pas vu. Là encore la petite pointe d'exagération dans le discours, la légère moue trop fière vient désamorcer par l'image ce que Murakami moquait avec causticité et autodérision (puisque Ken est bien le double de l'auteur). Même un élément impossible à faire passer pour le lecteur occidental (le gag récurrent qui voit Ken passer du patois japonais local à l'accent tokyoïte snob quand il veut convaincre d'un projet farfelu quelconque) se ressent mieux dans le film pour le spectateur attentif où la sonorité japonaise traînante et gouailleuse du cru passe à un ton plus grave, pédant et mesuré. L'humour fonctionne donc très bien notamment lors de la fameuse scène de vandalisation nocturne du lycée.

Le seul point où le film rate le coche est la facette sociale. Dans le roman l'aspect amour/haine pour l'imagerie américaine fonctionnait mieux avec cette ville portuaire de Sasebo où s'érigeait une base américaine. Tout creux qu'il soit, le discours politique des personnages trouvait un vrai arrière-plan qui n'existe pas vraiment ici où l'on croise un GI noir caricatural. L'autre élément fondamental était l'opposition entre l'éducation castratrice et la volonté si japonaise de (faire) rentrer dans le rang. Les professeurs (pour nombre d'entre eux ayant connus la guerre) s'y montraient violents et intolérants, stimulant les facéties des héros.

La brutalité du professeur de sport est dans le film uniquement source de gags et du coup le mini "Mai 68" du lycée pur soutenir Ken brimé ne fonctionne pas faute d'une implication suffisante dans ce qui précède. De même la préparation du festival, vrai fil rouge plein de rebondissements, est bien trop elliptique et frustrante et la béatitude de l'évènement se savoure moins bien sans le labeur qui l'a précédé. Le rythme est un peu plus flottant dans la dernière partie alors que Sang-il Lee avait si bien capté l'énergie du court roman dans un premier temps. Un très bon moment donc qui rend bien justice au livre malgré quelques imperfections.

 Sorti en dvd japonais

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