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dimanche 28 juin 2020

Match Point - Woody Allen (2005)


Jeune prof de tennis issu d'un milieu modeste, Chris Wilton se fait embaucher dans un club huppé des beaux quartiers de Londres. Il ne tarde pas à sympathiser avec Tom Hewett, un jeune homme de la haute société avec qui il partage sa passion pour l'opéra. Très vite, Chris fréquente régulièrement les Hewett et séduit Chloé, la sœur de Tom. Alors qu'il s'apprête à l'épouser et qu'il voit sa situation sociale se métamorphoser, il fait la connaissance de la ravissante fiancée de Tom, Nola Rice, une jeune Américaine venue tenter sa chance comme comédienne en Angleterre...

Tout en demeurant toujours plaisant, en ce début des années 2000 le cinéma de Woody Allen ronronnait un peu. Match Point témoigne ainsi d’un regain d’inspiration du réalisateur et d’un retour en grâce critique. La réussite du film vient notamment de la délocalisation londonienne du récit (à l’origine situé dans les Hamptons, une région huppée du nord-est de Long Island dans l'État de New York), la BBC qui coproduit le film exigeant un tournage en Angleterre, avec des équipes et un casting anglais. Cet éloignement de son confort new yorkais revigore l’inspiration et l’audace d’Allen, aidé également par d’heureux hasard comme le désistement tardif de Kate Winslet pour Scarlett Johansson qui va emmener le film dans une autre dimension.

Match Point est à rapprocher de ce qui est un des chefs d’œuvres du réalisateur, Crimes et délits (1989). Là où ce dernier divisait en deux intrigues distinctes les questionnements autour de la culpabilité et l’ambition, Match Point les regroupe en une dans un récit où plane (tout comme dans Crimes et délits) l’influence littéraire de Crime et châtiments de Dostoïevski, et celle cinématographique de Une place au soleil de George Stevens (1951) dont il est un quasi remake. C’est une nouvelle fois ce cadre anglais qui apporte la patine rendant le film singulier malgré les modèles avoués.  L’humour juif désespéré ainsi que la culpabilité religieuse qui faisait vaciller les héros de Crimes et délits disparaissent ici pour servir un contexte de lutte des classes typiquement anglais. Chris Wilton (Jonathan Rhys-Meyer) ancien tennisman issu d’un milieu modeste, parvient à se glisser dans les bonnes faveurs de la richissime famille Hewett. Toute son ascension repose sur une suite de hasard et coïncidences, mais également sur ses choix personnels. Le parvenu n’est accepté par les nantis qu’en acceptant d’être remodelé par eux. La simple concession de laisser son ami Tom (Matthew Goode) payer l’addition lors de leur première rencontre en entraîne d’autres qui vont progressivement l’assujettir. Désormais petit ami de Chloé, cadette des Hewett, il va accepter que son père (Brian Cox) lui trouve un job plus lucratif. Lors d’un dialogue, Chris admet avoir endossé la carrière de tennisman pour échapper à la pauvreté, mais les fameux hasards (une balle tombant d’un côté ou de l’autre du filet) ne lui auront fait qu’approcher l’élite de son sport après tant d’efforts. A l’inverse, les petits arrangements intimes avec ses attentes premières le conduiront à intégrer l’élite sociale.

Woody Allen enraye cette progression avec l’introduction du personnage de Nola (Scarlett Johansson). Elle incarne en tout point son double négatif au féminin. C’est une parvenue américaine (quand Chris est irlandais) ayant aussi intégré la famille Hewett en se fiançant à Tom. Alors que Chris se fond sans opposition aux préceptes de ses bienfaiteurs, Nola poursuit sa carrière « vulgaire » d’actrice au dam des exigences de la matriarche (Penelope Wilton). Allen dresse un parallèle constant entre eux, la passivité intéressée de Chris face à l’insoumission de Nola, de façon marquée face à la pression des belles-familles et beaucoup plus subtile et insidieuse lors des scènes de couple. Le dîner à quatre en est un brillant exemple. Les parvenus se plient au menu de leur riche compagnon, de manière naturelle pour Nola prenant le même plat que Tom et de façon humiliante pour Chris rabroué par Chloé après son choix rustique et terre à terre d’un poulet rôti – soit le plat le plus simple pour le pauvre ne sachant pas lire une carte sophistiquée. Les dialogues sont à l’avenant pour appuyer cette idée et signalent là une connivence implicite de classe, une attirance mutuelle entre Chris et Nola, par des jeux de regards subtils.

Woody Allen ne croit pas en la destinée ou une quelconque influence divine, le drame se noue uniquement par une suite de hasards et des choix qui en découlent pour les personnages. Lors de la première étreinte entre Chris et Nola, le hasard de Chris cherchant un livre lui fait apercevoir Nola dépitée errant sous la pluie, et il fait alors le choix de la suivre ce qui va lancer leur liaison. Toute la mécanique du récit repose sur ce principe. Il existera un court moment où les personnages pourront réellement être ensemble, où la rupture est possible, mais les réticences morales initiales de Nola puis le goût pris par Chris de sa luxueuse nouvelle vie en décideront autrement. Reste donc la libération sexuelle dévorante où se joue à nouveau cette notion de classe. Chloé exige de Chris un enfant pour perpétuer la lignée glorieuse des Hewett, pour faire comme ses amies déjà toutes mamans, c’est un palier de plus dans l’ordre social où est engoncé le héros. Avec Nola, c’est la sensualité pure, le désir dans ce qu’il a de plus passionné et charnel, sans calcul. Woody Allen surprend là par l’atmosphère torride qu’il instaure dès la stupéfiante scène de rencontre autour d’une table de pingpong (parallèle d’ailleurs à celle d’Une place au soleil autour d’une table de billard) où la tension sexuelle est à son comble. Le regard malicieux de Scarlett Johansson, la moue boudeuse de ses lèvres charnues et sa démarche lascive lorsqu’elle quitte la pièce, tout cela fait monter la température et fait comprendre que Chris sera prêt à risquer sa réussite en construction pour une seule étreinte avec elle. 

Alors que le hasard précédait le choix tout au long du récit, Woody Allen inverse la dynamique dans la dernière partie. Chris désormais dépendant de son confort de vie ne peut plus s’abandonner aux hasards imprévisibles de la passion amoureuse. Il fait donc le choix de se débarrasser de Nola, son expérience auprès des nantis lui ayant conféré la détermination autant que l’imagination pour le faire. Jonathan Rhys-Meyers excelle à interpréter ce cheminement, et la scène de meurtre n’en est que plus glaçante à travers l’anxiété qu’il dégage. Le filmage d’Allen est glacial mais le jeu au bord de la rupture de Rhys-Meyers amène une forme d’humanité cruelle à l’acte. La réussite sociale est une drogue (et le jeu fébrile de l’acteur est bien celui d’un junkie) dont même l’amour ne peut nous sevrer. Woody Allen comme dans Crimes et délits laisse planer l’ombre du remord et de la culpabilité pour le héros à travers une ultime scène onirique. Mais si Dieu et la destinée n’existent pas, il ne nous reste, à une échelle d’autant plus pessimiste, qu’à s’arranger avec notre conscience et profiter de la vie. En faisant le choix du cynisme calculateur, Chris laisse le hasard le dédouaner de son crime. Une balle basculant d’un côté ou de l’autre du filet, une bague tombant d’un côté ou de l’autre d’un pont, le hasard ne s’embarrasse pas de morale ou de justice. 

Sorti en bluray et dvd zone 2 français chez TF1 Vidéo 

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