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lundi 20 juillet 2020

Les Adolescentes - I dolci inganni, Alberto Lattuada (1960)


Une jeune fille de bonne famille, Francesca, dix-sept ans, se réveille un matin consciente de son attirance pour Enrico, un architecte qui a vingt ans de plus qu'elle. Une attirance qui va hanter cette journée d’été au cours de laquelle la jeune fille, de rencontres en rencontres, va décider de ne pas résister à l’appel de la vie adulte. Au risque de subir une douce désillusion…

Après le succès de Guendalina (1957), Alberto Lattuada poursuit son portrait de la jeune fille dans Les Adolescentes. Malgré quelques élans sensuels fonctionnant plus sur l’imagerie que les vrais actions des personnages, Guendalina était un film sur l’éveil amoureux, l’abandon définitif de l’enfance pour l’adolescence et ces premiers émois sentimentaux. Les Adolescentes a une ambition différente pour Lattuada, celle de capturer l’éveil et l’assouvissement charnel chez l’adolescente, ou plus précisément les atermoiements d’avant l’acte puis la perte de repère d’après. La scène d’introduction dévoile brillamment cette idée. Nous y observons la jeune Francesca (Catherine Spaak) endormie, sa chemise de nuit épousant les formes de sa poitrine soulevée par une respiration inégale, tandis que son visage poupin s’agite étrangement. Un mouvement de caméra nous la révèle dans une pose lascive qui nous révèle ses jambes, avant qu’elle ne se réveille en sursaut, les traits troublés. Elle adopte alors une posture typiquement enfantine en remontant ses genoux sur son visage, ne laissant voir que ses yeux perdus dans la confusion de ses pensées. Les mots sont inutiles pour comprendre que Francesca vient de faire un rêve érotique, et par la seule image Lattuada explicite tout le questionnement du film quant à l’expression inconsciente de ce désir : l’assouvir ? L’étouffer ?

Le film se déroule sur l’unité de temps d’une journée où chaque rencontre et situations rencontrées par Francesca reposera sur cette hésitation. La première étape servira à nous montrer l’objet de l’attention de Francesca, celui qui agite ainsi ces nuits, à savoir Enrico (Christian Marquand) un ami de la famille de vingt ans son ainé. Lattuada traduit par sa mise en scène la mue de Francesca de la fillette à la femme dans le travail sur l’espace et le regard changeant d’Enrico sur elle. La distance entre les personnages se fait dans les déambulations des personnages au sein de la maison où ils échangent de loin. Lorsqu’ils sont plus proches les regards insistants et les appels du pied des dialogues d’une Francesca en quête d’attention ne trouvent en contrechamps que les réponses allusives et le visage d’un Enrico plus obnubilé par son chien mort que sa charmante interlocutrice. Pourtant une conversation téléphonique avec une fiancée jalouse à laquelle il décrit Francesca pour la titiller laisse entendre qu’il n’a rien perdu de l’élégante silhouette de sa visiteuse. C’est là que notre héroïne voit l’ouverture et se montre audacieuse, et que Lattuada brise toutes les frontières formelles initiales avec un gros plan où Francesca pose sa main sur celle d’Enrico, puis un autre où elle l’embrasse. Pourtant après cet élan qui avive le désir d’Enrico, Francesca va fuir. La quête du contact et sa crainte, encore et toujours.

Le trouble sensuel et amoureux s’exprimera aussi avec les adolescentes entre elle, le temps d’un détour par le lycée. Le mystère de la lettre d’amour adressée à l’une des camarades exprime donc le rapprochement lorsque la destinataire provoque et tente d’embrasser Francesca qu’elle soupçonne d’en être la rédactrice. On découvrira pourtant qu’il s’agit d’une autre fille, attirée par la beauté mais fuyant et/ou craignant la passion physique. Toute cette ambiguïté repose aussi sur l’érotisme feutré avec lequel Lattuada filme le groupe d’adolescentes, les robes remontant légèrement et révélant jupons qui dépassent et haut des cuisses, ou une scène de vestiaires où les interactions enfantines sont contrebalancées par les corps désirables et dénudés. Le réalisateur sait équilibrer la forme et le ton pour ne jamais rendre redondante la répétition de ce mouvement sous toutes les formes qu’il prend tout au loin du film. La comédie enlevée intervient ainsi lorsque Francesca rend visite son amie Maria Grazia (Juanita Faust) dont l’attitude introvertie et solitaire est l’inverse de celle de sa truculente mère (Milly). Lorsque Francesca exprime à son amie son désir pour Enrico, celle-ci y voit une possible fin de leur amitié, donnant à nouveau à voir la face inversée où cet attrait sexuel est craint et/ou fuit par une camarade de son âge. Sa mère pourtant recommande avec délectation cet assouvissement à Francesca, la seule manière de connaître un homme dans son entièreté. 

Après avoir scrutée cette poursuite/fuite de manière retenue ou abstraite, Francesca peut l’observer au sein d’un couple dysfonctionnel. Ce recul peut être une manière de rendre l’étreinte de la réconciliation plus ardente encore entre le fougueux Renato (Jean Sorel) et la froide Princesse (Donatella Erspamer), qui s’invectivent de la plus cruelle des manières avant de se retrouver dans une des scènes les plus élégamment excitantes du film. Catherine Spaak est absolument fascinante, narratrice volubile ou observatrice silencieuse autour d’un acte autant appelé que ressenti avec appréhension. Lattuada explicite le tabou qu’était la perte de virginité d’une jeune fille à l’époque, mais aussi la difficulté d’en discuter. Ainsi hormis la provocation évidente du propos à la sortie du film (les foudres d’une censure et d’un public puritain s’abattront sur le film mais n’empêcheront pas son succès), c’est la subtilité du rapport frère/sœur entre Francesca et Eddy (Oliviero Prunas) qui interpelle. La dernière partie du film voit Francesca interrompre insidieusement la virée entre copains pour qu’Eddy ramène celle-ci auprès de Francesco. La fuite et l’assouvissement concerne aussi ce frère qui devine l’attirance de sa sœur, l’encourage et la réprouve dans un même silence ambigu et qui fuit la discussion possible lorsqu’il sait « l’irréparable » commis. Jugement moral ? Patriarcal ? Impossibilité à échanger sur un sujet si sensible au sein d’une fratrie au vu des mœurs de l’époque ? – Sur ce dernier point lorsque Francesca déplore qu’ils ne parlent jamais de leur problème de « garçons » ou de « fille », Eddy la rabroue par un « Mes problèmes de garçons, je les résous seuls ». 

L’ambivalence du désir est superbement affirmée dans le dernier acte, notamment par le travail sur la photo dont les jeux d’ombres laissent voir les gestes tendre, mais masque l’expression des visages. L’attrait ne s’exprime que par les mots neutres et l’union tant attendue passe par l’ellipse. Ce n’était pas (encore) un désir physique explicite pour une Francesca déçue, mais une curiosité, une étape, ce que n’a pas su voir (ou trop tard) son amant plus âgé – l’écart d’âge participant à la provocation du film et qu'on retrouvera dans La Fille du même Lattuada (1978). Lattuada boucle la boucle avec le retour de Francesca dans sa chambre d’adolescente. Le découpage et la progression sont similaires à la séquence initiale de son réveil, mais entre les lueurs du matin et l’obscurité de la nuit tardive, c’est comme si un siècle s’était écoulé. La démarche est moins hésitante, les traits sont plus mûrs lorsqu’elle s’observe dans le miroir, et le regard moins dans l’expectative. Francesca a appris de l’attrait qu’elle exerce et ressent pour les hommes, elle saura désormais en jouer et s’y abandonner, comme l’exprime ce regard face caméra final plein de froide assurance.

En salle le 29 juillet 

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