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dimanche 17 janvier 2021

Conversations avec Georges Lautner - José-Louis Bocquet


Georges Lautner occupe une place singulière dans l’histoire du cinéma français. Il a une patte trop singulière pour être uniquement considéré comme un modeste artisan, mais sa modestie et la versatilité de projets vus comme des « boulots » plutôt que la volonté de construire une œuvre l’empêche pour certains d’être considéré comme un auteur. C’est l’épreuve du temps traversés par des œuvres cultes comme Les Tontons Flingueurs (1963), Les Barbouzes (1964), la redécouverte de certaines merveilles tournées avec sa muse Mireille Darc comme Galia (1966) et quelques succès avec les icônes Alain Delon/Jean-Paul Belmondo qui ont permis à Georges Lautner de rester dans l’imaginaire cinéphile. Au début des années 2000, la carrière cinématographique de Lautner est malheureusement déjà derrière lui suite à l’échec de L’Inconnu dans la maison (1992). C’est le moment que choisit José-Louis Bocquet (journaliste, scénariste, romancier), grand admirateur du cinéaste, pour réaliser une série d’entretiens avec lui afin de lui redonner la place qu’il mérite.

L’un des gros point forts du livre est de publier à la fois les entretiens mais aussi leurs à côtés. Les circonstances de la rencontre, les imprévus lors des discussions, les humeurs changeantes de Lautner qui orientent la discussion, tout cela est également livré sans fard par Bocquet. Du coup cela permet de cerner le caractère à la fois bougon et bonhomme de Lautner, mais aussi la mélancolie de son humeur à cette période où il comprend bien qu’il ne tournera plus. Cela rend indulgent sur certains points que l’on aurait aimé voir plus approfondis (hormis Galia, la collaboration prolongée avec Mireille Darc n’est guère abordée) ou d’autres assez délicat balayés du revers de la main durant la conversation (le choix d’engager Éric Blanc, acteur noir en premier rôle pour L’Invité surprise (1989) qui causera l’échec du film suite à un sketch controversé sur l’homosexualité du présentateur Henry Chapier à la télévision). L’entretien nous ramène aux débuts méconnus de Lautner, au fonctionnement du cinéma français entre les années 60 et 80, les grandes rencontres avec Jean Gabin sur Le Pacha (1967), Alain Delon (Les Seins de glace (1975) et Mort d'un pourri (1977) et Jean-Paul Belmondo (avec lequel il connaît son plus gros succès public sur Le Professionnel (1981).

Un tournage était la volonté de réunir sa famille de cinéma (le directeur photo Maurice Fellous, l’assistant réalisateur Robin Davis, Michel Audiard, les divers techniciens…) qu’il faisait vivre, d’où le choix de toujours accepter la proposition de projet suivant pour se prémunir en cas d’insuccès. Ce pragmatisme n’empêchait pas une vraie rigueur et inventivité formelle. Lautner explique ainsi devoir sa carrière à sa capacité à mettre en valeur les acteurs dans des gros plans qui tout en magnifiant l’interprétation faisait preuve d’une vrai recherche dans la composition. Il dépeint comment les quelques « clients » qu’il a eu à diriger le forcèrent à se montrer ingénieux dans son rythme et découpage, tel un Lino Ventura suivant son instinct et auquel il fallait adapter sa mise en scène. Bocquet eu la surprise lors de certains échanges de se trouver en présence de collaborateurs emblématiques de Lautner ce qui amène quelques confidences sur le système D et la débrouille mise en place pour résoudre des problèmes de tournages insolubles, que ce soit les productions à l’économie des débuts et celles plus nanties de la période à succès. Maurice Fellous ou le cascadeur (et second rôle viril) Henri Cogan nous gratifie ainsi de quelques anecdotes savoureuses.

C’est un peu plus amer au moment d’aborder les difficiles années 80 du réalisateur, et on sent son décalage entre la relation de confiance entretenue avec un producteur comme Alain Poiré à Gaumont, et l’interventionnisme des chaînes de télévisions nouveaux grands décideurs. C’est un pli que Lautner n’a pas réussi à prendre ce qui causera sa fin de carrière prématurée. C’est donc un ouvrage attachant malgré quelques manques (qui se comblent aisément à travers les bonus de dvd de ses films notamment tout ce qui concerne Mireille Darc dans Galia (1966), La Grande sauterelle (1967), Fleur d’oseille (1967)) où l’auteur se fait admirateur tout en restant lucide. 

Disponible aux éditions La Table Ronde

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